Le crucifix reste dans le Salon bleu

Laïcité — débat québécois



Le gouvernement Charest n'hésite pas à «tabletter» les rapports qu'il a lui-même commandés. Est-ce le sort qui attend celui sur les accommodements raisonnables? Sitôt formulée, la proposition de retirer le crucifix de l'Assemblée nationale a été enterrée, hier. Mais d'autres pourraient survivre. C'est du moins ce qu'espèrent certains groupes directement concernés, qui voient les conclusions de la commission Bouchard-Taylor d'un oeil relativement favorable.

Fort attendu, le rapport Bouchard-Taylor était à peine dévoilé hier que les politiciens avaient mis de côté une des propositions des deux universitaires. Pas question de décrocher le crucifix du mur de l'Assemblée nationale, au nom de la laïcité de l'État.
«Il n'est pas question d'écrire l'histoire à l'envers. L'Église a joué un très grand rôle depuis 350 ans, le crucifix est un symbole de cette histoire, ce n'est pas seulement religieux», a soutenu hier le premier ministre Charest en conférence de presse. Quelques minutes plus tôt, l'Assemblée nationale, avait, unanimement, voté en faveur d'une motion proposée, en matinée, par l'Action démocratique.
Trois gestes seront faits rapidement par Québec, a annoncé Jean Charest.
Le gouvernement mettra plus d'efforts pour franciser les immigrants avant leur arrivée au Québec. Aussi, ceux qui aspirent à venir ici devront signer une déclaration les engageant à adhérer aux valeurs communes de la société, à la primauté du français, à l'égalité des sexes et à la laïcité de l'espace public.
En outre, Québec proposera sous peu, comme le souhaite le rapport, «un mécanisme» pour aider les gestionnaires d'établissements de santé et d'éducation à trancher dans les questions d'accommodements raisonnables.
Dans une déclaration solennelle, avant l'engagement quotidien de la période des questions, particulièrement intense hier, M. Charest a souligné «qu'aucune société ne peut réussir en se repliant. Pour que notre nation et notre économie puissent continuer à grandir, nous devons continuer d'accueillir. L'immigration n'est pas un droit. Immigrer au Québec est un privilège», a-t-il soutenu, ajoutant du même souffle que l'accueil des nouveaux arrivants restait «une responsabilité» qui incombait aux Québécois.
Le rapport dévoilé hier était loin d'avoir, à l'égard de la majorité francophone, le ton accusateur attendu depuis les fuites des derniers jours, les Québécois n'ont pas à rougir du sort réservé aux nouveaux arrivants, a précisé, d'entrée de jeu, le commissaire Gérard Bouchard en point de presse.
Échanges sulfureux
Mais à l'Assemblée nationale, les échanges sur ces questions sensibles ont vite pris l'allure de collisions. Pour Mario Dumont, les auteurs du rapport sont passés à côté de la cible, en ignorant la "culture normative", le dénominateur commun de la population québécoise. "S'il y a une chose qu'on a entendue à la commission, c'est la volonté d'une affirmation plus forte des valeurs communes, des éléments qui nous unissent, d'une identité québécoise", a soutenu le chef adéquiste, accusant plus tard Jean Charest de vouloir "se défiler bien vite" de ce débat exigeant, avec quelques mesures cosmétiques.
Les commissaires proposent de préparer pour les directeurs d'école des calendriers "multiconfessionnels" qui recensent les fêtes de nombreuses religions, relève Catherine Morissette, adéquiste de Charlesbourg. "Va-t-on changer la loi sur les normes du travail pour inclure 100 jours fériés!" a-t-elle lancé, avant d'ajouter qu'en mettant ainsi toutes les religions sur un pied d'égalité, "on risque, dans nos garderies et nos écoles, de devoir cacher dans le garde-robe nos arbres de Noël et nos lapins de Pâques!" Le leader parlementaire Sébastien Proulx n'est pas demeuré en reste, demandant, sans succès au premier ministre Charest si un enseignant aurait le droit de porter le kirpan - le poignard symbolique des sikhs - en classe.
Sur les accommodements raisonnables, les adéquistes "ont allumé le feu et se sont défilés", a répliqué M. Charest, rappelant que le parti de Mario Dumont n'avait pas témoigné ni soumis de mémoire à la commission Bouchard-Taylor, même si c'est son chef qui avait mis le feu aux poudres à l'automne 2007.
Le PQ commentera ce matin
Pauline Marois, la chef péquiste, ne réagira officiellement que ce matin au rapport, mais elle a souligné hier que le document «passe à côté de l'essentiel» et nie «le malaise identitaire au Québec auquel on se doit de répondre». «La question de l'identité exige plus que des demi-mesures la véritable solution à cette inquiétude est l'acte fondateur de la souveraineté», a-t-elle lancé.
En réplique, Jean Charest n'a pas manqué de souligner la critique acerbe faite dans le rapport quant au «nous», l'étiquette apposée aux propositions identitaires du PQ, l'automne dernier, un principe «divisif» qui s'oppose au «eux» des néo-Québécois. Mme Marois suggérait que l'on demande aux coprésidents Bouchard et Taylor de venir témoigner devant une commission parlementaire, avec la dizaine d'experts consultés par la commission. «On nous propose Bouchard-Taylor II, comme si une première ronde, la tournée du Québec, l'année qu'on vient de passer n'étaient pas assez», a soutenu Jean Charest.
Une constitution ?
L'ADQ, comme le PQ, réclament que Québec s'attelle à la rédaction d'une Constitution québécoise, un débat exigeant qui durera deux ans, et qui devra se conclure par un référendum, a rappelé Jean Charest. Le ministre des Affaires intergouvernementales Benoît Pelletier avait affirmé que ce travail pouvait être intéressant. «Pour une fois qu'il y en a un qui veut travailler, pourquoi le premier ministre ne le laisse pas faire!» d'ironiser Mario Dumont. «Le gouvernement a d'autres priorités», a précisé hier le constitutionnaliste Pelletier.
Pour Mario Dumont, le refus de Jean Charest d'aller de l'avant avec la Constitution québécoise que réclament les deux partis de l'opposition en dit long sur le «gouvernement de cohabitation» qu'il prétend avoir mis en place. «Quand son devoir de premier ministre est interpellé, il découche!» a lancé M. Dumont. Le chef de l'opposition propose que Québec demande un amendement constitutionnel pour qu'on reconnaisse formellement la nation québécoise.
Pour Jean Charest, l'ADQ et le PQ sont vites sur la détente pour amender la Constitution canadienne, une panacée invoquée à toutes les sauces, des problèmes de TQS jusqu'aux enjeux d'immigration. «Quand le seul outil que vous avez pour tous les problèmes, c'est un marteau, tout finit par ressembler à un clou», de lancer Jean Charest.
M. Charest a plutôt convié les députés à appuyer le projet de loi 63, qui établit la primauté de l'égalité des sexes, une formalité puisque le projet de loi était sur le point d'être adopté en troisième lecture à l'Assemblée nationale.
Commentaires
L'immigration n'est pas un droit. Immigrer au Québec, c'est un privilège. Et l'accueil des immigrants pour tous les Québécois est une responsabilité. Entre les deux, il faut savoir tracer la ligne.

Jean Charest, devant l'Assemblée nationale
Il ne valait pas la peine de faire tout ce dérangement pour si peu.

Mario Dumont, qui estime que les auteurs du rapport ont manqué la cible.
Les gens ont peur de quelque chose qui n'existe pas.

Mohammed S. Kamel, du Forum musulman canadien
La face hideuse du sectarisme et du racisme qui s'est montrée pendant ce processus doit être abordée de front.

Allan Adel, président de la Ligue des droits de la personne B'nai Brith


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