La question nationale municipale

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Les souverainistes doivent investir l'arène municipale.

La société québécoise peine à percevoir encore la pertinence de la question nationale. Ainsi, il paraît extrêmement difficile pour elle d’analyser les enjeux quotidiens à travers les lunettes de notre condition politique. C’est de la pensée magique : parce que nous n’avons pas réussi à régler durablement la question nationale, nous faisons comme si elle n’existait pas. Il y aurait d’un côté les « vraies affaires », soit les enjeux concrets, et de l’autre les caprices de drapeaux. Tout cela est un leurre : être une province et donc un demi-État a des conséquences majeures sur notre situation. Il y a un prix à la dépendance et à se faire imposer des priorités par un autre État.


Aujourd’hui, en pleine élection municipale on nous affirme qu’il serait grossier de confondre la question nationale avec la situation municipale et que les paramètres québécois ne peuvent s’appliquer aux différents cas relevant de la ville. Il n’y aurait, nous dit-on, pas de « manière souverainiste » ou de « façon fédéraliste » de déneiger les rues, de gérer les taxes ou d’envisager les relations de travail avec les employés municipaux. Seule la compétence, nous dit-on, devrait prévaloir dans le choix du premier magistrat d’une ville.


Or, limiter les affaires municipales à la simple administration quotidienne témoigne à la fois d’une étroitesse de point de vue, d’une pauvreté d’ambition et d’une adhésion à une conception purement gestionnaire du politique, où le projet commun cède la place à une vision strictement comptable. N’en déplaise à certains, la direction municipale implique l’établissement de relations avec deux gouvernements et la constitution de grands réseaux d’influence. Pourquoi pensez-vous que les milieux fédéralistes ont consacré autant d’énergies à investir les villes ?


De par l’échec flagrant de toute tentative de réformer le Canada, il est devenu beaucoup plus efficace de se contenter de postuler que la question nationale est passée date. La ligne du « ni souverainiste, ni fédéraliste », qui dans les faits revient à éviter toute remise en question du lien canadien, est particulièrement forte au niveau municipal. « Ne pas mélanger le municipal et le national » s’inscrit dès lors à merveille dans une telle entreprise mais trop peu saisissent pleinement à qui profite le crime.


Un candidat à la mairie de Québec, Nicolas Lavigne-Lefebvre, a plutôt choisi de prendre position, au sein de sa ville, en y appliquant un regard indépendantiste. J’ai pu lui parler cette semaine. Son parti, Option Capitale-Nationale, s’inspire notamment de la Catalogne dans la nécessité d’avoir des organisations indépendantistes fortes dans les villes pour favoriser la mobilisation lorsque cela comptera. Il fait aussi de l’électrification des transports une priorité, arguant que ce serait beaucoup plus rapide advenant l’indépendance du Québec, question d’intérêts nationaux. Les chasse-neiges fonctionneraient à l’électricité plutôt qu’au pétrole. Il y a donc bel et bien, me dit  M. Lavigne-Lefebvre, une manière indépendantiste de déneiger les rues...


Option Capitale-Nationale a fait du Port de Québec un sujet névralgique de sa campagne. Les gens de Québec, m’affirme son chef, aiment le fleuve. Or, l’accès se perd progressivement. Il ne resterait qu’un petit brin de plage à Beauport, qui sera d’ailleurs réduit. Les poussières de nickel que subiront les gens de Limoilou semblent concerner Nicolas Lavigne-Lefebvre, qui rappelle que le Port de Québec est un territoire canadien, et que l’application des normes québécoises, beaucoup plus sévères, aurait de quoi améliorer substantiellement la situation. Il aimerait par ailleurs que Régis Labeaume, ancien employé du Parti québécois ayant voté Oui à deux reprises, « agisse en souverainiste » et applique les normes québécoises en salubrité et en environnement au Port de Québec. Quant à son « autre rival », Jean-François Gosselin, il aimerait qu’il comprenne que Québec est la capitale de l’Amérique française et non petit village provincial. « Arrivez en ville ! », lui dit-il.


Le volontarisme des militants d’Option Capitale-Nationale est admirable. Petit à petit, l’oiseau fait son nid...


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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).