La grande illusion

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Le pouvoir d’attraction de l’anglais opère un retour fulgurant






Une langue officielle, c’est bien, mais deux, c’est mieux. À l’aube du 150e anniversaire du Canada, la formule est jolie, mais trompeuse. Le bilinguisme anglais-français en ce pays n’est en fait qu’une grande illusion.




Hissé qu’il est au rang de religion politique par Pierre Elliott Trudeau, les francophones sont nombreux à le pratiquer par choix ou obligation. Les anglophones hors Québec jurent qu’ils y croient, mais les pratiquants sont aussi rares qu’un banquier pauvre dans un paradis­­ fiscal.




Trônant hier à la une du Devoir­­, un sondage réalisé pour le ministère du Patrimoine canadien confirme ce vieux secret­­ de polichinelle.




En cette ère post-factuelle, rien d’étonnant non plus à ce que 34 % seulement des anglophones considèrent le français comme une langue menacée au Canada.




Inutile




Menacée, elle l’est pourtant bel et bien. Pour la vaste majorité des anglophones hors Québec, le français n’est plus qu’un équivalent moderne du latin. Sur ce constat, je persiste et signe.




Pour la plupart des Anglo-Canadiens­­, la langue française est inutilisée parce qu’inutile. À force de ne pas leur servir dans la vraie vie – au travail, dans les affaires ou les arts –, elle se meurt d’inanition. Le besoin même de l’apprendre s’efface avec elle.




Au Québec, le portrait est inversé­­. L’anglais est utilisé parce qu’utile. Au travail, dans les affaires ou les arts, c’est une langue vivante, voire omni­présente.




En d’autres termes, le bilinguisme anglais-français est fantasmé au Canada anglais, mais réel au Québec.




Sans un fort contingent de Québécois francophones, d’Anglo­­-Québécois et de francophones hors Québec pour le soutenir, on n’en parlerait plus depuis­­ longtemps.




Pendant que les Anglo-Canadiens­­ peuvent rêver aux carrières les plus prestigieuses sans maîtriser l’«autre» langue officielle, l’anglais est souvent un prérequis au Québec. Y compris pour des emplois au salaire minimum­­.




Fragile




Placer la «dualité linguistique» au cœur de l’«identité» canadienne est chose facile. Or, selon Statistique Canada, à peine 11 % des jeunes Anglo-Canadiens peuvent soutenir une conver­sation en français. À l’opposé, le bilinguisme­­ progresse rapi­­dement au Québec.




Se basant sur les données de Statistique Canada, le mathématicien Charles Castonguay le résumait avec clarté dans un texte signé en 2013: «Parmi les 20-29 ans au Québec en 2011, 78 % des anglophones se déclaraient bilingues, comparativement à 57 % des francophones. Dans la région de Montréal, l’écart se rétrécit encore plus, à 80 % et 70 % respectivement. Dans l’île, c’est 78 % et 79 %. Ces jeunes francophones montréalais seraient donc rendus un tantinet plus bilingues que les anglophones».




Bref, le pouvoir d’attraction de l’anglais opère un retour fulgurant. Cette semaine, Le Journal fait même état de la création au sein d’universités francophones de programmes d’administration des affaires bilingues ou en anglais.




Et que dire de la faculté satellite­­ de médecine en Outaouais­­ confiée à l’Université McGill?




Malgré les faits, le fond de l’air au Québec sur la question linguistique est à l’indifférence. Que faire quand l’une des «deux solitudes» du pays devient sourde à sa propre fragilité?



 




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