Le hasard (?) a voulu que la diversité fasse l'objet de quelques manchettes en très peu de temps. Le prétexte était trop bon pour ne pas partager un certain malaise. Et qu'on se rassure tout de suite : je ne m'oppose pas à une saine diversité et je ne me crois ni borné ni rétrograde. (Cela dit, n'est-il pas significatif de me sentir obligé de rassurer le lecteur à ce sujet ?)
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Il y a d'abord l'absurde : les propos de Louise Harel, disant craindre les enclaves ethniques à Montréal, sont perçus chez certains représentants des communautés culturelles comme des propos semant la division et le sectarisme (1). Affirmer craindre les divisions et le sectarisme serait donc semer la division et le sectarisme : j'avoue n'y rien comprendre.
Tout se passe comme si la diversité était devenue une notion pure échappant au principe de non-contradiction. La diversité serait-elle devenue un nouveau tabou ? Un concept sacré dont on ne ferait usage qu'avec la plus grande circonspection, celle-là même réservée aux dogmes ? (2)
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Nous apprenons également que la fête de la Saint-Patrick serait la « deuxième fête nationale des Québécois » (3). Au-delà du clin d'oeil se voulant sympathique, le texte exprime malgré tout, il me semble, une certaine confusion que je m'explique difficilement.
Je constate en effet, année après année, l'intérêt (démesuré?) suscité par cette fête au Québec et tout ceci m'apparaît assez étrange. Serait-ce simplement parce que cette fête est particulièrement festive et qu'elle arrive avec le printemps ? Je n'ose le croire : il n'y aurait alors rien là de très édifiant.
Il ne s'agit pas de nier l'apport des Irlandais dans la construction de l'identité québécoise. Il ne s'agit pas davantage de bouder son plaisir. Mais je demande : devrions-nous alors aussi fêter la Fête nationale des Français ? Ou devrions-nous comprendre que puisque nous sommes majoritairement d'origine française cette Fête nationale (des Français) est implicitement remplacée par la nôtre ? Et que faire de l'apport amérindien, sans parler des autres cultures, à notre identité ?
Le temps n'est-il pas plutôt venu de reconnaître que ces divers apports ethniques et culturels font désormais partie de notre identité et que, par conséquent, ils ne sont pas extérieurs à nous-mêmes mais bien déjà en nous-mêmes ? La célébration de la fête nationale du Québec ne devrait-elle donc pas suffire seule à cette tâche ?
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On nous rapporte par ailleurs que Guy A. Lepage sera le nouvel animateur de la Fête nationale. La diversité est encore ici le mot d'ordre : la fête sera « ouverte sur le monde », « ouverte sur le Québec cosmopolite » (4). Si je m'en tiens au texte cité, l'idée serait de permettre aux invités de s'exprimer en d'autres langues que le français, la Fête nationale devant apparemment se muer en célébration du cosmopolitisme québécois. Une première question : pourquoi donc ?
Il y a par ailleurs un problème : on ne voit pas en quoi, ni comment, ce cosmopolitisme relève spécifiquement du Québec (ne s'agit-il pas d'une fête nationale ?). Célébrer notre cosmopolitisme alors ? Qu'est-ce à dire ?
Ajoutant à la confusion, le titre du texte mentionne « une fête ouverte sur le monde » alors qu'on peut lire « une fête ouverte sur le Québec cosmopolite » dans le corps du même texte. Est-il donc possible qu'il n'y ait pas de différence entre ces deux types d'ouverture ?
Mais alors : de quelle fête parlons-nous ?
Je suis de ceux qui croient que toute nation est le produit d'un métissage et que la diversité de sa composition exprime la réussite de l'intégration des personnes de toutes origines en son sein. Le dire et le savoir ne devrait pas imposer l'obligation pour cette nation de mettre ce métissage en spectacle. La diversité n'a pas davantage à être érigée en spectacle pour s'imposer : la véritable diversité devrait pouvoir s'exprimer naturellement dans une nation.
Qu'un Québécois d'origine italienne participe et chante à la Fête nationale devrait aller de soi. Mais que celui-ci chante en italien m'apparaît constituer une contradiction et ne refléter en fin de compte qu'un besoin assez singulier, pour ne pas dire pathologique, de mettre notre diversité en spectacle, comme s'il s'agissait de prouver à quel point nous sommes « ouverts » (ou « non xénophobes », si l'on tient -- et bien entendu nous y tenons -- à faire preuve de toute la vertu qui est de mise).
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Nous le savions mais il est bon de le répéter : nous assistons à une survalorisation de la diversité, une diversité festive et spectaculaire, une diversité déculpabilisante, une diversité recherchée pour elle-même, une diversité désormais érigée en dogme. Une diversité dont l'envers pourrait bien se rapprocher d'une certaine forme de mépris de soi.
Cette attitude ne relève donc pas davantage de la maturité que la fermeture à laquelle elle prétend s'opposer. Elle révèle même, il me semble, une difficulté fondamentale dans l'ordre de la représentation de soi et de l'intégration à soi.
Sylvain Maréchal
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(1) « Propos controversés - Des représentants des communautés culturelles somment Louise Harel de se rétracter », Le Devoir, 16 mars 2009.
« Des représentants montréalais de diverses communautés culturelles ont demandé hier à l’ex-ministre péquiste Louise Harel de se rétracter à la suite des propos qu’elle a tenus la semaine dernière au sujet des arrondissements montréalais.
(...)
Commentant la proposition du maire de Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles, Cosmo Maciocia, de réduire de 19 à 10 le nombre d’arrondissements à Montréal, Mme Harel a indiqué la semaine dernière qu’une telle restructuration risquait de faire apparaître des enclaves ethniques à Montréal. Estimant que les arrondissements ont déjà trop de pouvoirs, elle disait craindre que Montréal ne se retrouve avec "une ville italienne, une ville haïtienne, une ville anglophone, une ville arabe — Ville Saint-Laurent —, une ville juive, etc."
Ces paroles ont été fort mal reçues par certains membres des communautés culturelles. "[...] On revit encore la même histoire au sujet de deux catégories de citoyens. En 2009, ce n’est plus acceptable", a expliqué Tony Sciascia.
De son côté, l’imam Salam Elmenyawi croit qu’il importe de dénoncer immédiatement ce type de propos. "[...] Il faut mettre un frein immédiat à tout propos qui sème la division et le sectarisme dans notre société", a-t-il fait valoir. »
(2) Dans le même ordre d'idée, il est amusant de lire les avis concernant la candidature de M. Sabia à la tête de la CDPQ. Pour ceux qui s'opposent à sa nomination, il ne fallait surtout pas laisser planer de doutes et montrer que leur position ne constituait pas une entorse au principe de la diversité, que celle-ci soit linguistique, culturelle ou nationale, devenait alors une nécessité incontournable. On peut par exemple lire :
« Le problème de Michael Sabia, ce n’est pas qu’il est anglophone et qu’il baragouine le français » (Pierre Duhamel, « Michael Sabia ? Jamais ! » sur son blogue de L'Actualité, 12 mars 2009). Ici, l'incompétence seule de M. Sabia est en cause, le fait que celui-ci « baragouine le français » ne constituant pas un problème, semble-t-il.
« Et ça n’a rien à voir avec de la xénophobie. [...] Qu’il soit ontarien, américain ou japonais importe peu ». (Ariane Krol, « Le français de Michael Sabia » sur le blogue cyberpresse, 16 mars 2009). Ici, l'origine et l'appartenance culturelle de M. Sabia ne sont pas en cause, seule sa faiblesse dans la langue française faisant défaut.
(3) John Saywell, « La Saint-Patrick, la deuxième fête nationale des Québécois », PQ (Argenteuil), daté du 16 mars 2009 sur Vigile.
« Selon l’historien Louis-Guy Lemieux, "Nous sommes tous des Irlandais ou presque" et c’est beaucoup dire. En fait, on dit que 40 % des Québécois ont du sang irlandais dans leurs veines.
(...)
Le 17 mars, le jour de la Saint-Patrick et de la fête nationale des Irlandais, levons une bonne bière à cet ancien peuple des îles vertes ! Saluons leur courage et leur audace et remercions-les de leur contribution à la société québécoise. »
(4) Mario Cloutier, « Saint-Jean : Guy A. Lepage veut une fête ouverte sur le monde », La Presse, 12 mars 2009.
« Le nouvel animateur de la Fête nationale militera lui aussi en faveur d'une fête ouverte sur le Québec cosmopolite, toutes cultures et langues confondues.
"[...] je trouve ça réjouissant qu'on puisse écouter des gens chanter dans une autre langue que le français sans se sentir menacés. Ce n'est pas parce que tu chantes en italien que tu ne te feras pas servir en français dans un magasin. Il ne faut pas être fermé dans la vie", explique-t-il.
Les invités ne sont pas tous choisis, mais cet esprit d'ouverture, selon lui, doit être poussé jusqu'à sa limite afin de permettre à des chanteurs anglophones, comme Patrick Watson par exemple, de chanter en anglais à la Fête nationale.
"Je n'ai aucun problème avec ça, lance-t-il. Les gens qui viennent d'ici et qui diffusent partout dans le monde leur musique ont droit à tout mon respect et tous mes égards."
Ainsi, à ceux et celles qui rêvent encore d'un retour à la Saint-Jean sur le mont Royal et aux ceintures uniquement fléchées, l'homme au franc-parler lance un avertissement. »
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
23 mars 2009Tr;s bon texte monsieur Maréchal.
De toutes façons, Guy A Lepage n'est qu'un bouffon. Et au bouffon on a jamais demandé de raisonner, puisqu'essentiellement il résonne. C'est tout ce qu'on lui demande, et c'est tout ce qu'on attend de lui. Alors on va être servi.
Ce qui est inquiétant, c'est la décision prise de lui passer la clé. Ça c'est une décision qui manque de raison. Qui l'a prise cette décision?