Jusqu'à dimanche dernier, je ne savais pas que j'habitais le quartier de Paris qui compte le plus de vedettes de cinéma au mètre carré. Et je ne vous parle pas des beaux quartiers de la capitale française comme Saint-Germain-des-Prés ou la riche banlieue de Neuilly. Je vous parle de la côte de Belleville et de Ménilmontant dans le 20e arrondissement. L'ancien quartier d'Édith Piaf et de Marie Trintignant où les touristes ne vont jamais.
Les 25 écoliers français qui sont montés sur la scène du Palais des festivals dimanche dernier pour recevoir la Palme d'or à Cannes, je les croise tous les jours dans la rue. Car j'ai pour voisins les héros du film de Laurent Canet, Entre les murs, qui raconte la vie quotidienne d'une école secondaire d'un quartier populaire. Le collège Françoise-Dolto où a été tournée cette adaptation d'un roman de François Bégaudeau n'est qu'à deux pas de chez moi, sur la petite rue des Pyrénées.
Si le film doit nous apprendre quelque chose, c'est peut-être que la vie s'accommode mal des stéréotypes. Combien de fois avons-nous entendu décrire l'école française comme un enfer où la guerre civile faisait rage? Le premier à propager ce mensonge a d'ailleurs été l'actuel président, Nicolas Sarkozy. Pourtant, Laurent Cantet met en scène des jeunes d'origines très diverses qui parviennent à vivre ensemble. Loin des stéréotypes sur la France souvent véhiculés dans le monde anglo-saxon, et incidemment au Québec, le film montre des jeunes de toutes les origines qui vivent sous un régime qu'il faut bien qualifier de «laïcité ouverte», pour utiliser les mots de MM. Bouchard et Taylor.
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Lorsqu'il sortira au Québec, peut-être le film de Laurent Cantet aidera-t-il à dissiper quelques préjugés. Même les esprits les plus brillants et les mieux intentionnés parviennent parfois difficilement à ne pas simplifier les choses. Ainsi, le rapport Bouchard-Taylor tourne-t-il les coins un peu rond dans sa façon de présenter la laïcité des autres, et notamment celle des Français. S'il fallait céder à l'ironie, on serait presque tenté d'inciter nos commissaires à un peu d'«ouverture» sur le monde en la matière.
Personne ne peut le nier, le débat sur les accommodements raisonnables et la laïcité a largement débuté en Europe. La controverse sur le port du voile en France, qui a déjà cinq ans, a été en toile de fond du débat québécois. Or, je dois dire mon étonnement de voir traitée de façon si cavalière la laïcité française, que nos commissaires se plaisent à qualifier chaque fois d'«intégrale», de «rigide» et de «restrictive».
C'est probablement le résultat d'une approche trop théorique. Car, dans la pratique, la laïcité française que nos commissaires décrivent comme un épouvantail est tout aussi accommodante que la laïcité québécoise. Et elle l'est même plus à certains moments. Il y a longtemps que les cantines des écoles et des hôpitaux français accommodent les juifs et les musulmans en leur offrant des menus sans porc. Le respect des fêtes religieuses n'a jamais posé problème non plus. L'école française a beau exclure l'enseignement religieux et interdire le port de signes ostentatoires, la culture religieuse a été réintroduite depuis plusieurs années par l'entremise de cours d'histoire qui devraient nous servir d'exemples. Il y a longtemps que les Français ne croquent plus du curé. De nombreuses écoles secondaires et lycées accueillent d'ailleurs des aumôneries. L'État prend même en charge l'entretien de tous les lieux de culte construits avant 1905, ce qui évite de les convertir en condos comme on le fait parfois au Québec. La France est le premier pays européen qui a offert la citoyenneté aux juifs après la Révolution et leur intégration est toujours aussi exemplaire.
En même temps, nos nouveaux curés semblent toujours aussi allergiques au mot république que l'étaient nos anciens. Nos grands prêtres de l'interculturalisme caricaturent d'autant plus la France que cela leur permet de poser en partisans du compromis entre l'affreuse intégration républicaine à la française, qui ose inscrire la laïcité dans une constitution, et la salade garnie multiculturelle anglo-saxonne. Le Québec n'aurait donc qu'à couper la poire en deux. Façon un peu simple d'éviter un débat difficile. De même, les commissaires font-ils l'impasse sur l'échec pourtant flagrant des politiques multiculturelles dans deux grands pays qui s'en étaient faits jusque-là, avec le Canada, les principaux défenseurs: la Grande-Bretagne et les Pays-Bas.
Il serait en effet embarrassant de reconnaître que les Québécois ne sont pas les seuls à ressentir une insécurité culturelle et que celle-ci est même partagée par des peuples aussi anciens que les Néerlandais et les Britanniques. Il deviendrait alors impossible d'attribuer le malaise québécois à la seule enflure médiatique.
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Même s'il n'est pas exempt de problèmes, l'exemple français ne devrait pas agir sur nous comme un repoussoir. Il a aussi de quoi nous inspirer. Loin des formules alambiquées, les Français ont en effet le mérite de la franchise. En France, l'expression «français de souche» n'a pas encore été mise hors-la-loi et ce n'est pas faire insulte aux immigrants que de parler d'assimilation. Loin de l'hypocrisie multiculturelle (ou interculturelle), l'attitude française a le mérite de mettre l'accent sur l'intégration aux valeurs, à la langue, mais aussi à la culture de la majorité. Et cela se fait sans nier l'apport des nouveaux venus. Que serait en effet la France sans les Ferré, Montand, Cioran, Chagall, Beckett, Little et combien d'autres?
Ce n'est pas un hasard si le film qui vient de l'emporter à Cannes raconte la vie quotidienne d'une classe où de jeunes enfants d'immigrants font non seulement l'apprentissage de la langue, mais aussi de la littérature française. Sans le ciment de la culture commune, pas de nation.
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crioux@ledevoir.com
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