Il y a un an, de passage dans un abattoir de porcs dans le Finistère, Emmanuel Macron avait qualifié une centaine de salariés d’« illettrés ». Le ministre de l’Économie s’était aussitôt excusé. Mais, devenu candidat à la présidence, il a vite récidivé. Récemment, c’est à Hénin-Baumont, un bastion du Front national, qu’il dénonça l’alcoolisme et le tabagisme des habitants de ce bassin minier du nord de la France. Certes, les statistiques montrent que ces fléaux sont importants dans la région. Mais ce qui étonne, c’est de voir un candidat issu de la gauche mettre si peu de gants pour parler d’une population ouvrière aussi durement frappée par le chômage et la misère.
Mais s’agissait-il véritablement de bourdes ? Pendant qu’au Québec on se gausse de Rambo à Tout le monde en parle, en France, il y a longtemps que l’image de l’ouvrier a cédé le pas à celle du beauf. En deux décennies à peine, on est passé du mineur Étienne Lantier incarné par Renaud dans Germinal aux « beaufs finis » de Camping 2. Le politologue Laurent Bouvet n’hésite pas à parler de « prolophobie ».
En parallèle, cela fait des années que l’on voit se développer une gauche qui n’a plus aucun lien politique et culturel avec « les petits, les obscurs, les sans-grade » (Edmond Rostand). La primaire de la gauche nous en offre un exemple éloquent. La victoire annoncée de Benoît Hamon pourrait symboliser celle d’un programme qui n’a plus vraiment de rapport avec ces anciennes classes laborieuses.
Même que le candidat prend acte que la révolution informatique créera de moins en moins d’emplois. La théorie a beau être contestée, ce programme est à mille lieues de ce que réclamait traditionnellement le monde ouvrier, qui n’a jamais rêvé d’un revenu universel garanti, de la légalisation du cannabis et de la réduction de la semaine de travail à… 32 heures ! Il s’agit là de revendications surtout populaires dans les milieux professionnels des grandes villes et chez les travailleurs intermittents. Tous les sondages montrent d’ailleurs que, si Hamon était désigné candidat, les socialistes n’auraient pas la moindre chance de se qualifier au second tour de la présidentielle.
« Nous assistons à la fin du Parti socialiste tel qu’il s’est reconstruit depuis 1971 avec François Mitterrand », affirmait sur France Inter le philosophe Marcel Gauchet. Benoît Hamon pourrait en effet devenir dimanche le représentant d’un parti plus proche d’un Québec solidaire « à la française » que du PS de Mitterrand et de Jospin. Bref, un parti qui, dans un monde en plein bouleversement, ne cherche pas tant le pouvoir qu’à se rassembler sur ce que ses militants nomment pompeusement des « valeurs de gauche ».
La même chose est arrivée au Parti travailliste britannique depuis l’élection, en 2015, de Jeremy Corbyn auquel Benoît Hamon aime se comparer. Aujourd’hui, les travaillistes ne voient pas le jour où ils retrouveront le pouvoir. Fait significatif, le parti est passé complètement à côté du tremblement de terre du Brexit. Il n’a même pas senti venir les premières secousses qui se sont pourtant produites dans des circonscriptions traditionnellement travaillistes. En Espagne, le même virus a contaminé Podemos, dont les dirigeants, engagés dans une lutte sans merci pour savoir qui représente la « vraie gauche », ne semblent pas convaincus de l’importance de quitter la rue pour les Cortes.
Le sociologue Jean-Pierre Le Goff voit dans ces exemples « une nouvelle fuite en avant » d’une gauche « qui se refuse à affronter les défis du nouveau monde pour se réfugier une nouvelle fois dans des discours incantatoires et des utopies pour sauver une doctrine en morceaux ». Comme si, déroutée par une Histoire qui ne rentre pas dans ses dogmes, cette gauche préférait un entre-soi douillet et le confort de l’opposition aux affres du pouvoir. Comme si, pour elle, le magistère moral était finalement plus important que la confrontation au réel.
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