Retenons d’abord que l’apocalypse annoncée ne s’est pas produite. On se souviendra qu’en juin dernier, en pleine campagne du Brexit, les partisans du « out » avaient certes pris quelques libertés avec les chiffres de l’immigration. Mais leurs adversaires, eux, avaient annoncé rien de moins qu’un marasme économique sans précédent. Un véritable cataclysme qui ferait perdre à chaque famille britannique une grande partie de son pouvoir d’achat. Or, la mise en garde ne venait pas d’un vague député populiste élu au Parlement européen, mais du Conseil du trésor lui-même.
On se demandera après cela pourquoi les peuples préfèrent confier leur destin aux populistes. Brexit ou pas, la Grande-Bretagne a connu en 2016 une des meilleures croissances des pays du G7 (2,1 %) et les prévisions demeurent plutôt positives pour les deux années à venir (1,4 % et 1,7 %). Tout cela malgré certains signes de ralentissement et une baisse de la livre sterling qui n’a pas que des effets négatifs.
C’est dans ce contexte que la première ministre Theresa May a présenté cette semaine sa vision d’un Brexit « dur ». Réclamer le beurre et l’argent du beurre, quoi de plus normal au moment d’entrer dans des négociations qui dureront au moins deux ans ? Le beurre, c’est le refus catégorique de la libre circulation des personnes par les Britanniques, qui veulent reprendre le contrôle de leur immigration. L’argent, c’est évidemment l’accès au marché unique qui se négociera probablement à la pièce.
Theresa May était d’autant plus motivée qu’elle avait reçu la veille le soutien de Donald Trump promettant la signature rapide d’un accord commercial avec le Royaume-Uni. Cette annonce n’aura surpris que ceux qui avaient cru aux menaces proférées par Barack Obama pendant la campagne du Brexit. Rappelons-nous le chantage qui avait précédé le vote, et auquel avait activement participé Justin Trudeau.
En face, l’Union européenne a beau bomber le torse, on voit mal comment un édifice aussi lézardé pourra refuser de lâcher du lest. C’est d’ailleurs l’opinion du Canadien Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, selon qui le « continent » (déjà ébranlé par la crise de l’euro, des migrants et la montée des populismes) a plus à perdre d’un Brexit que le Royaume-Uni. « Ce sont les 27 qui risquent bien de se retrouver à vouloir conserver les faveurs de la perfide Albion », écrit aussi le correspondant à Londres du quotidien français L’Opinion.
Certes, ces négociations seront ardues. Mais, depuis le célèbre « I want my money back » de Margaret Thatcher, Bruxelles a-t-elle déjà refusé aux Britanniques l’« Europe à la carte » qu’elle réclamait ? Sans compter que le symbole de la « libre circulation des personnes » est aujourd’hui contesté par les peuples européens eux-mêmes.
Il se pourrait aussi que, dans les mois qui viennent, Français et Allemands aient mieux à faire que de se colletailler avec les Britanniques. Ils devront en effet trouver le moyen de s’adapter à la nouvelle politique européenne de Donald Trump.
Si les sympathies de Trump pour Vladimir Poutine ont de quoi inquiéter l’Europe de l’Est, certaines des déclarations du futur président ne font que confirmer le retrait américain déjà largement entrepris par George W. Bush et Barack Obama. Donald Trump redit en plus vulgaire ce que Bush et Obama disaient déjà, à savoir que sa priorité est la Chine et qu’à l’exception des Français et des Britanniques, les Européens ne paient pas le juste prix de leur défense.
Là où Donald Trump se démarque de ses prédécesseurs, c’est lorsqu’il annonce la fin d’une certaine mondialisation naïve. On croyait rêver cette semaine à Davos en entendant le communiste Xi Jinping donner des leçons de libre-échange au président américain. Lorsqu’il critique Angela Merkel d’avoir fait une erreur en ouvrant les portes de l’Europe à un million de migrants, Donald Trump ne fait qu’exprimer l’opinion d’une majorité d’Européens et même d’Allemands. Une opinion qui s’impose aujourd’hui à la chancelière elle-même. Même chose en France lorsqu’il dit que l’Union européenne n’est qu’un véhicule au service de la puissance allemande. « Les Européens, qui croyaient vivre dans le monde idéal de la communauté internationale et du droit, se réveillent dans Jurassic Park », dit l’ancien ministre socialiste Hubert Védrine.
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