Robert Dutrisac - Le consensus dans les milieux politiques à Québec veut que le chef libéral, Jean Charest, joue son va-tout cet été.
Tous les partis fourbissent leurs armes en vue d’une campagne déclenchée à la mi-août pour une élection générale le lundi 17 septembre. Drôle de coïncidence, mais tellement commode pour Jean Charest, la juge France Charbonneau a ajourné les audiences publiques de sa Commission d’enquête sur la corruption et la collusion jusqu’à ce même lundi. L’élection pourra donc avoir lieu sans que des révélations émanant de la commission ne viennent perturber le plan de match des libéraux. Si l’élection avait lieu après cette date, ce serait une autre histoire. C’est pour ça que le consensus dans les milieux politiques à Québec veut que le chef libéral joue son va-tout cet été.
C’en est devenu gênant : chaque fois que l’UPAC fait un coup de filet, l’unité ramasse un libéral notoire. Jeudi, c’était l’entrepreneur Gaëtan Paradis, un organisateur libéral qui, de surcroît, a tenu chez lui une soirée privée de financement à laquelle participait Jean Charest. En avril, c’était le « bénévole de l’année » décoré de la main de Jean Charest, Louis-Georges Boudreault, épinglé en même temps que l’entrepreneur Normand Trudel qui, tout comme Gaëtan Paradis, a accueilli chez lui le chef libéral pour un cocktail de financement.
Il y a tout lieu de croire qu’il en sera de même lorsque la commission Charbonneau, au-delà du portrait, accablant mais général, brossé par le justicier Jacques Duchesneau, se penchera sur des cas particuliers, avec des noms et des dates. Quand Jean Charest affirme qu’il a 18 mois pour déclencher des élections, c’est vrai, mais seulement s’il accepte de baigner dans les relents de collusion et de corruption que dégageront à coup sûr les audiences publiques de la commission Charbonneau, sans parler des risques de révélations impliquant directement des libéraux.
Bref, ce n’est pas pour rien que Jean Charest a refusé pendant deux ans et demi, malgré le tort politique que cela lui causait, de tenir une commission d’enquête publique sur l’industrie de la construction. Chaque semaine d’audiences de la commission Charbonneau est une mauvaise semaine pour les libéraux.
Pour dissiper les rumeurs d’une élection ce printemps, l’attaché de presse du premier ministre, Hugo D’Amours, avait eu ce mot : une armée qui se prépare à passer à l’offensive fait du bruit. Si l’armée était plutôt silencieuse au plus fort de la crise étudiante il y a quelques semaines, ce n’est plus le cas.
Il y a eu cette copie du diaporama électronique (Powerpoint) qui est malencontreusement tombée entre les mains du Parti québécois. La nature de ce document, intitulé Ballot question, qui a servi à l’exposé présenté aux députés et aux apparatchiks libéraux le 6 juin au Palais Montcalm, ne fait aucun doute : il s’agit bel et bien de l’argumentaire électoral du Parti libéral, non pas pour un scrutin dans 6, 12 ou 18 mois, mais pour l’élection du 17 septembre.
Il y a aussi cette publicité à la télévision et sur le Web que s’est payée le Parti libéral. Jean Charest y apparaît blanc comme neige. Un message paradoxal où il explique pourquoi il est impopulaire, où il dit qu’il fait « le choix de la responsabilité ». Le chroniqueur du quotidien The Gazette Don Macpherson a vu dans cette prestation le « fantôme de Jean Charest », d’autres y verront un ange, une sorte de chérubin dodu qui nous entretient de politique. « Être premier ministre du Québec, ce n’est pas un concours de popularité », affirme-t-il. Mais être le chef d’un parti politique qui cherche à se faire réélire, c’en est un.
Sur YouTube, le message du premier ministre avait été vu 87 000 fois hier, c’est six fois moins que le demi-million de visionnements des parodies loufoques du même message.
Tout ne baigne pas dans l’huile dans le camp libéral. Jean Charest a exercé de fortes pressions sur ses députés les plus âgés pour qu’ils se représentent. Le vétéran Yvon Vallières a décidé de passer outre et d’annoncer qu’il ne sera pas de la prochaine campagne. Monique-Gagnon Tremblay et Julie Boulet sont en réflexion. Cette insistance du chef libéral est le signe que le parti éprouve des problèmes de recrutement.
La perte du bastion libéral d’Argenteuil est un coup dur. L’organisateur en chef Karl Blackburn ne fait pas l’unanimité. On souligne que c’est lui qui a décidé que le chef livrerait son message dans Argenteuil le soir des élections partielles plutôt que dans LaFontaine. En décembre, lors de l’élection partielle dans Bonaventure, une circonscription que les libéraux ont conservée, les militants avaient enjoint à Karl Blackburn de rester chez lui pour s’occuper eux-mêmes de l’élection du candidat Damien Arsenault.
En revanche, Jean Charest, qui a pris pour seule cible le PQ de Pauline Marois, table sur la polarisation autour du conflit étudiant pour s’imposer. Au désordre et à la turbulence que peut inspirer le PQ, le chef libéral oppose la stabilité, la loi et l’ordre.
De son côté, la chef du Parti québécois, Pauline Marois, a diffusé un message, sans que ce soit une réplique à la publicité du chef libéral, qui misait sur l’unité, la fierté. « Les jeunes nous ont rappelé que le monde change. Huit millions d’hommes et de femmes se questionnent sur notre avenir », dit-elle.
L’optimisme règne au PQ, tout un contraste avec l’implosion appréhendée d’il y a un an. Les péquistes croient en leurs chances ; députés et militants sont gonflés à bloc.
Les péquistes ne tiennent toutefois rien pour acquis. D’une part, ils admettent que le Parti libéral a gagné des points en raison du conflit étudiant. Pauline Marois n’arbore plus le carré rouge après s’être associée, comme la plupart de ses députés, à un mouvement qu’elle ne contrôle pas. Mais ses conseillers comptent sur le fait que le PQ pourrait rallier la plupart des électeurs qui en ont marre de Jean Charest, un sentiment qui les poussera à aller voter en masse pour se « libérer des libéraux ». S’il y a un enjeu à ces élections, c’est bien celui-là, croient-ils. « Ça existe, le vote utile », a-t-on fait remarquer.
Le chemin vers une victoire péquiste est semé d’impondérables. Ainsi, si les élections sont déclenchées à la mi-août, cela coïncidera avec la rentrée dans les cégeps des étudiants qui étaient en grève. Des votes de grève seront tenus, la loi 78 pourrait être appliquée, la violence pourrait éclater. Au bénéfice peut-être du parti de la loi et de l’ordre, craignent les stratèges péquistes.
De même, grâce à la loi 78, toute manifestation de plus de 50 personnes qui se retrouverait sur le chemin de Jean Charest durant la campagne électorale pourrait être déclarée illégale. L’entourage du chef libéral n’a qu’à dévoiler l’itinéraire à la dernière minute ; les manifestants ne pourront pas prévenir la police de leurs intentions huit heures à l‘avance, comme le veut la loi.
Quant à la Coalition avenir Québec, elle nage dans « le brouillard » et elle a un problème de notoriété, selon François Legault. On compte sur la grogne envers les vieux partis. On note qu’il y a beaucoup d’indécis et que le contexte politique est « volatil ». Mais pour que la CAQ décolle, il faudrait une vague similaire à celle qui a permis au Nouveau Parti démocratique de terrasser le Bloc québécois.
Rien n’est joué. Les enquêtes d’opinion vont se succéder d’ici le mois d’août. Si les chiffres sont mauvais, Jean Charest n’ira pas à l’abattoir, assure-t-on. Or, dans l’hypothèse où il reporterait les élections, sa situation pourrait devenir intenable : l’establishment qui l’a placé à la tête du Parti libéral en 1998 pourrait miser sur un autre cheval, a-t-on confié. Le chef libéral est pris ente deux feux.
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