La réforme du mode de scrutin

Les divagations du tandem Laviolette-Dubuc

Élection Québec 2012


par Paul Cliche,
_ auteur du livre "Pour réduire le déficit démocratique, le scrutin proportionnel"
Le journal électronique L’Aut’Journal au jour le jour a publié, dans son édition du 9 août, un texte au style vitrioleur pondu par le tandem péquiste Marc Laviolette et Pierre Dubuc dénonçant Québec solidaire comme ayant une «vision provincialiste» parce que ce parti considère que l’instauration d’un mode de scrutin proportionnel, afin de remplacer l’actuel scrutin majoritaire, constitue un des enjeux importants de la présente campagne électorale.
Respectivement président et secrétaire du groupuscule SPQ Libre, MM. Laviolette et Dubuc expliquent que pour les péquistes la réforme du mode de scrutin n’est pas prioritaire et doit attendre l’accession du Québec à la souveraineté. «Faire de la réforme du mode de scrutin une priorité, soutiennent-ils, c’est accepter qu’il y aura d’autres élections provinciales avant l’accession du Québec à l’indépendance. C’est reporter l’indépendance aux calendes grecques. C’est s’enfermer dans une approche purement provincialiste», ajoutent-ils.
Ce raisonnement incongru, voire tordu, n’a même pas le mérite de la vraisemblance, car il est évident que d’autres élections devront se tenir avant l’accession du Québec à la souveraineté ne serait-ce que parce qu’un éventuel gouvernement péquiste –même s’il était majoritaire- ne tiendra probablement pas de référendum sur la souveraineté dans un premier mandat. De plus, on ne voit pas logiquement le lien qu’il pourrait y avoir entre le fait de réformer le mode de scrutin et le danger de reporter l’indépendance aux calendes grecques.
Après 40 ans, le PQ a biffé de son programme
_ l’engagement de réformer le mode de scrutin

Le duo Laviolette-Dubuc se plaint aussi que Québec solidaire cible le PQ comme responsable du refus de réformer le mode de scrutin. La raison en est bien simple et les faits parlent d’ex-mêmes. C’est ce parti, en effet, qui dès sa fondation à la fin des années 1960, a inscrit cette réforme comme un des principaux articles de son programme. Son fondateur René Lévesque décrivait même le scrutin majoritaire actuel, qui déforme substantiellement les résultats électoraux au profit du parti vainqueur, comme «démocratiquement infect». On a même longtemps considéré que cet engagement faisait partie de l’ADN du parti souverainiste.
18 années au pouvoir sans rien faire
De 1970 à 2011 donc, l’engagement a été renouvelé de congrès en congrès et même inscrit dans les plateformes électorales de 1976 et 1994 alors que le PQ a été porté au pouvoir. Après maintes tergiversations et commissions d’étude, le premier ministre Lévesque a même fait préparer, en 1984, un projet de loi instaurant un scrutin proportionnel régional à la scandinave bien adapté aux besoins du Québec. Mais il n’a pu le présenter à l’Assemblée nationale car plusieurs députés péquistes s’y sont opposés lors d’un caucus tenu in extremis sous le leitmotiv malencontreux «La souveraineté avant la démocratie!». Au congrès de mai 2000, le premier ministre Bouchard a fait reporter l’engagement «après l’accession du Québec à la souveraineté». Ainsi, pendant ses 18 années au pouvoir, le PQ n’a rien fait pour réaliser cet engagement. Finalement, après 40 ans. il a été biffé du programme au congrès d’avril 2111 avec la bénédiction de la chef Pauline Marois.
Quant au parti libéral, il s’est converti sur le tard aux vertus de la proportionnelle ayant été maintenu dans l’opposition en 1998 même s’il avait obtenu plus de votes que le PQ. Le gouvernement Charest a présenté, en 2004, un avant projet de loi instaurant un système mixte (majoritaire-proportionnel) à l’écossaise. Mais il l’a ensuite retiré en 2006 même si, dans les mois précédents, quelque 2000 intervenants s’étaient prononcés en faveur d’un scrutin de ce type devant la commission parlementaire la plus courue dans l’histoire de l’Assemblée nationale. La raison? Le premier ministre a cédé, pour des motifs électoraux, aux pressions d’un groupe d’élus municipaux ruraux dirigés par le président de la Fédération québécoise des municipalités, Bernard Généreux. Or, voilà-t-il que ce dernier se présente aux élections du 4 septembre comme candidat péquiste dans la circonscription de Blainville!
C’est un secret de polichinelle que la véritable raison du blocage péquiste est de garder captive le plus longtemps possible la mouvance progressiste dont fait partie Québec solidaire pour préserver son hégémonie sur le mouvement souverainiste. D’où les appels pressants de voter stratégique qui fusent à chaque élection.
Quant à MM. Laviolette et Dubuc, ils étaient naguère -le premier en tant que président de la CSN et le second comme directeur de l’Aut’Journal- de fervents promoteurs du scrutin proportionnel. La maison d’édition de M. Dubuc a même publié le livre que j’ai écrit sur le sujet en 1999. Que leur est-il arrivé depuis qu’ils se sont joints au PQ? Comment expliquer une telle volte-face qu’on pourrait même qualifier de reniement?
Montréal, 11 août 2012

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Paul Cliche76 articles

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Membre fondateur du Mouvement pour une démocratie nouvelle et auteur du livre Pour une réduction du déficit démocratique: le scrutin proportionnel ; membre de Québec Solidaire; membre d’ATTAC Québec; membre à vie de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal.





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9 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    14 août 2012

    Monsieur Cliche,
    Je vous lis depuis longtemps, et presque toujours à propos de la même question.
    Vous ne m'avez pas encore convaincu, bien que je sois un partisan de la proportionnelle, théoriquement parlant. Oui, je suis pour une plus juste représentativité, mais il s'avère que le Québec barre toujours majoritairement plus à droite qu'à gauche, et plus fédéraliste que souverainiste.
    Le résultat serait clair: un gouvernement minoritaire qui devrait obtenir le soutien d'au moins un autre parti. Si on tient compte des intentions de vote au moment où j'écris ceci, le PQ (40), QS (9) et ON (2) et les Verts (3)n'auraient que 54 députés contre 71 pour la CAQ et le PLQ. Le PQ serait donc obligé de s'entendre avec la CAQ. Un mariage invivable voué à un rapide divorce. Et des tractations sans fins feraient que la province - eh, oui, la province - serait livrée au tenants du statu quo, voire pire.
    Intéressante pour QS ou ON, voire la CAQ, la proportionnelle nous confine au statut de province gérée par la droite fédéraliste pendant encore longtemps, avec tous les dommages inhérents à cela.
    Concentrez-vous plutôt sur les batailles importantes: réduire l'influence politique de la droite fédéraliste-provincialiste tout en combinant cela à la lutte pour l'indépendance, la république. Une fois souverain, le Québec pourra alors opter pour le type de proportionnelle qu'il voudra.
    Mes salutations

  • Archives de Vigile Répondre

    13 août 2012

    "Quand ils ont dit que la Proportionnelle est juste, ils croient avoir tout dit. Et je vois bien une espèce de justice au premier moment, c’est-à-dire quand on nomme les députés ; mais encore faudrait-il y regarder de près.
    Si l’électeur est moins libre et moins éclairé dans son choix, est-ce juste ? Si les comités départementaux ont tous pouvoirs pour imposer tel candidat et surtout pour en éliminer un autre, est-ce juste ? Si un homme droit et sûr prête son appui, par nécessité, à des ambitieux aussi riches d’appétits que de talents, mais de pauvre caractère, est-ce juste ? Si un ferme et libre esprit ne peut être élu qu’en traitant avec un parti, est-ce juste ? Si les partis ainsi organisés ont presque tout pouvoir pour échapper à la pression des électeurs, et tromper leurs espérances, est-ce juste ? Si l’élite, déjà si puissante, se trouve fortifiée encore par ce nouveau système électoral, est-ce juste ? Si l’influence des politiciens sur les vrais amis du peuple, déjà trop forte, s’exerce alors irrésistiblement, par les délibérations et les votes à l’intérieur du parti, est-ce juste ?
    Et enfin, si l’écrasement des minorités est injuste dans la circonscription, par quel miracle devient-il juste au parlement ?
    Car il faut bien que l’on décide enfin, et que la majorité l’emporte. En somme, quand vous dites que la Proportionnelle c’est la justice, j’ouvre bien les yeux, car j’aime la justice, mais je ne comprends rien, je ne perçois rien de ce que vous annoncez."
    Émile Chartier, dit Alain, philosophe français (1868-1951)
    Propos, 14 juillet 1914.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 août 2012

    Monsieur Cliche,
    Je pense qu'il faudrait aller encore au-delà du scrutin proportionnel tellement notre démocratie est amoindrie présentement.
    Peut-être faudrait-il penser à une forme de démocratie participative pour l'ensemble des citoyens ou à une chambre citoyenne issue d'un tirage au sort ou je ne sais...
    Car présentement, nous n'avons rien d'autre qu'une politique-spectacle, spectacle qui atteint son paroxysme lors d'une campagne électorale.
    Maudite politique-spectacle, maudit spectacle...

  • Jean-Louis Pérez-Martel Répondre

    12 août 2012

    Monsieur Cliche,
    S’autodétruire par l’obsession d’un idéal incongru ?
    L’obsession de vouloir implanter au Québec le scrutin proportionnel est une affaire des MULTICULTURALISTES et de ceux qui veulent enlever à la MAJORITÉ FRANCOPHONE (Canadiens français) le POUVOIR POLITIQUE de décider de préserver leur destinée NATIONALE.
    La BALKANISATION institutionnalisée du Québec, tant souhaitée par les MARXISTES internationalistes que par les FÉDÉRALISTES, est la voie politique vissant à neutraliser ce POUVOIR détenu jusqu’aujourd’hui par cette majorité démographiquement fragile dans ce contexte de MULTI-ETHNICO-POLITIQUE. C’est-à-dire, la fragmentation des groupes ayant des intérêts exclusifs rendrait ingouvernable l’ÉTAT QUÉBÉCOIS par la seule dynamique de ce dualisme inter-ethno-politique qui provoquerait l’atomisation des forces antagonistes cherchant à imposer des LOIS et de répartir le pouvoir dans l’Administration, favorables selon leur poids politique à l’ASSEMBLÉE NATIONALE.
    En d’autres mots, tous ceux qui veulent détruire le POUVOIR de la majorité politique au Québec, ceux qui n’ont pas le sens patriotique de l’HISTOIRE et ceux qui agissent par obsession machiavélique sont les seuls à vouloir implanter un système électoral de scrutin proportionnel au Québec. Un système électoral qui a rendu ingouvernables les pays qui ont adopté ce mode de scrutin en conséquence des rivalités et des intérêts opposés entre les multiples groupes ethniques composant ces pays.
    JLPM

  • Archives de Vigile Répondre

    12 août 2012

    On peut imaginer bien des formules, mais l'essence de la démocratie dépend moins des formes qu'on lui donne que du sentiment partagé de vivre ensemble et de la valorisation des vertus citoyennes dans une certaine égalité, deux «qualités» qui sont en pleine déliquescence. Désolé pour les formules imposées par le haut, c'est juste un peu trop facile. Faux débat, superficiel.
    GV

  • Archives de Vigile Répondre

    11 août 2012

    Le mode de scrutin proportionnel, existe depuis plus de cent ans au Danemark,(pour ne nommer que celui-là) et il n'y à pas eu de gouvernement majoritaire depuis 115 ans dans ce pays,ce sont des gouvernements de coalition qui gouvernent, ils gouvernent d'abord pour la population,et non en fonction du parti et de ses amis.Comme bien d'autres, le P.Q à tenu des promesses qu'il n'aurait pas dû et ignorées celles qu'il aurait dû tenir, dont la proportionnelle.
    Bravo monsieur Dugay pour cet excellent article.
    Bernard Marquis

  • Archives de Vigile Répondre

    11 août 2012

    « La représentation proportionnelle est un système éminemment raisonnable et évidemment juste; seulement, partout où on l’a essayée, elle a produit des effets imprévus et tout à fait funestes, par la formation d’une poussière de partis, dont chacun est sans force pour gouverner, mais très puissant pour empêcher. C’est ainsi que la politique devint un jeu des politiques. »
    Émile Chartier, dit Alain, philosophe français (1868-1951)
    Propos, 1er septembre 1934.

  • Pierre Schneider Répondre

    11 août 2012

    Ben tanné des chicanes de cour d'école de la gauche bien-pensante pendant que la droite s'organise pas à peu près pour nous en faire manger toute une, car une alliance PLQ-CAQ dans un gouvernement minoritaire, quel qu'il soit, sonnera le glas de tous nos espoirs.

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    11 août 2012

    Dans le contexte actuel, le vote proportionnel assurerait le pouvoir à l'alliance PLQ-CAQ. Or, il s'agit d'une fatalité pour le projet souverainiste :
    http://www.vigile.net/Vote-strategique-ou-idiot-utile
    Pour des raisons partisanes, Québec Solidaire ne peut faire ce constat, pourtant indéniable.
    JCPomerleau