Au moment où la communauté internationale se réunit au Pérou pour jeter les bases d’un accord ambitieux de lutte contre les changements climatiques, Stephen Harper a fait savoir mardi qu’il n’entend pas réglementer le secteur pétrolier et gazier, pourtant responsable de la hausse continue des émissions de gaz à effet de serre canadiennes.
« Honnêtement, dans le contexte actuel du secteur pétrolier et gazier, il serait insensé d’imposer des pénalités unilatérales à ce secteur. Nous ne ferons certainement pas cela », a affirmé le premier ministre au cours de la période des questions à la Chambre des communes.
Critiqué par le NPD, qui lui reprochait l’absence de progrès dans le dossier climatique, M. Harper a soutenu qu’Ottawa n’entend pas réglementer le secteur des énergies fossiles tant qu’une « réglementation continentale » n’aura pas été négociée. « Notre engagement envers les Canadiens est que nous réduirons les émissions de gaz à effet de serre tout en protégeant les emplois canadiens, a-t-il ajouté. […] Nous ne tuerons pas d’emplois. »
Il faut dire que l’Alberta et les pétrolières qui y exploitent les sables bitumineux s’inquiètent déjà du recul marqué du baril de brut, qui atteint ces jours-ci son prix le plus bas en cinq ans. Dans ce contexte, le secteur fossile redoute encore plus l’imposition d’un système qui viendrait contraindre de quelque façon que ce soit ses émissions de gaz à effet de serre (GES). Surtout que la tendance actuelle est à la hausse marquée.
La production des sables bitumineux doit en effet dépasser les trois millions de barils par jour en 2020, une croissance facilitée par la construction de nouveaux pipelines. À ce moment, le Canada devrait avoir raté ses cibles de réductions revues à la baisse par les conservateurs, après qu’ils ont jeté le protocole de Kyoto à la poubelle.
Le gouvernement Harper s’était pourtant engagé à mettre en oeuvre une réglementation dans le secteur pétrolier et gazier, laissant même entendre en 2013 qu’une ébauche était dans les cartons. Les déclarations du premier ministre mardi confirment que ce ne sera pas le cas.
Ardent défenseur
S’adressant mardi à la conférence de l’ONU sur le climat à Lima, au Pérou, la ministre de l’Environnement Leona Aglukkaq a néanmoins présenté le Canada comme « un des plus ardents défenseurs d’un accord définitif qui comprend tous les grands émetteurs ». Mais Mme Aglukkaq n’a donné aucune précision sur les cibles de réduction de GES que le Canada pourrait se fixer en prévision du futur accord sur le climat, qui doit être signé à Paris l’an prochain. Et aucun échéancier pour la présentation des objectifs n’a été précisé.
« Le Canada est prêt à aider ses partenaires internationaux et continuera de mettre en oeuvre des mesures en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en maintenant la croissance de l’économie, a également affirmé la ministre conservatrice. Notre bilan est éloquent. Nous avons prouvé qu’il est possible de protéger l’environnement tout en soutenant la croissance de l’économie. »
Ce n’est pas l’avis du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, qui a plutôt exhorté Ottawa « à être porteur de plus grandes ambitions, à être plus visionnaire pour l’avenir de la planète » avant l’ouverture des négociations ministérielles qui se tiennent cette semaine à Lima. Ban Ki-moon est d’ailleurs formel : le Canada doit faire des efforts pour réduire sa dépendance à l’exploitation pétrolière.
À Ottawa, libéraux et néodémocrates ont eux aussi dénoncé mardi la position défendue par Stephen Harper aux Communes. « Le premier ministre est en train de chercher des excuses pour justifier son inaction depuis des années quant à nos obligations de veiller à nos responsabilités environnementales », a laissé tomber le chef libéral Justin Trudeau. S’il prend le pouvoir l’an prochain, il a d’ailleurs promis de fixer un prix aux émissions de carbone, selon une formule à définir.
Aucune crédibilité
Pour Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat chez Greenpeace, rien ne saurait justifier l’inaction du Canada. « Stephen Harper refuse d’imposer une réglementation qui forcerait les pétrolières à payer pour la pollution qu’elles génèrent. Cela fait sept ans qu’il promet de légiférer pour les GES dans le secteur de la production de pétrole et gaz. Mais de toute évidence, il n’a pas l’intention de bouger d’ici les prochaines élections. »
« Il n’a aucune crédibilité lorsqu’il refuse de suivre les États-Unis, qui ont réglementé la production de pétrole, ont un plan pour atteindre leurs objectifs de réduction des GES pour 2020 et ont une cible ambitieuse pour 2025 », a ajouté M. Bonin.
La Chine et les États-Unis ont en outre conclu récemment un accord, impensable il y a quelques années, sur une réduction des émissions de GES. L’Union européenne a pour sa part pris des engagements en ce sens jusqu’en 2030. Enfin, il y a quelques jours, l’Allemagne a annoncé un plan pour se détourner du charbon, l’énergie fossile la plus polluante.
Les gestes posés au cours des dernières semaines par plusieurs grandes puissances ont d’ailleurs été salués mardi par Ban Ki-moon, à Lima. « Les gouvernements répondent [à l’urgence climatique] d’une manière inédite », a-t-il souligné. Mais, a-t-il ajouté, « je suis très préoccupé par le fait que notre action collective n’est pas à la hauteur de nos responsabilités à tous ».
Il faut dire que les niveaux actuels des émissions mondiales de GES conduisent la planète vers une hausse des températures 4 à 5 °C à la fin du siècle. Un tel scénario serait tout simplement catastrophique pour le maintien de la vie sur Terre.
La communauté scientifique est plutôt d’avis qu’il faudrait limiter la hausse globale à 2 °C d’ici la fin du siècle, par rapport au début de l’ère préindustrielle. Pour y parvenir, il faudrait que l’humanité se donne un objectif de « zéro émission » de GES au plus tard en 2100, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
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