Dans un jugement audacieux, la Cour suprême de Colombie a déclaré que l’Amazonie colombienne était une personne non humaine.
Cette décision répond à une action présentée le 29 janvier 2018 par un groupe de 25 enfants et jeunes de diverses municipalités de Colombie réclamant la protection de l’Amazonie de la déforestation et de leurs propres droits fondamentaux à la vie, à l’eau et à un environnement sain.
Ce statut de sujet de droit a été reconnu à ce « poumon du monde […] dans le but de protéger cet écosystème vital pour le futur global, de la même manière que la Cour constitutionnelle a déclaré le fleuve Atrato […] comme entité “sujet de droit” titulaire du droit à la protection, à la conservation, à l’entretien et à la restauration, sous la responsabilité de l’État et des entités territoriales que l’intègrent ». [Traduction libre]
Cette déclaration garantit ainsi des droits à la nature et lui confère une personnalité juridique, de la même manière qu’ont été reconnus des droits et une telle personnalité à l’individu. Ce nouveau courant s’est imposé en Équateur, qui a introduit dans sa Constitution de 2008 les droits de la nature, comme l’ont également fait la Bolivie en adoptant en 2012 une loi sur les droits de la nature, la Nouvelle-Zélande qui a reconnu des droits au fleuve Whanganui en 2017 et l’Inde qui a emboîté le pas en mars 2017 concernant le fleuve Gange.
Il s’agit d’un mouvement qui vise à répondre aux problématiques environnementales comme les changements climatiques, la décontamination des rivières hautement polluées ainsi que la protection des régions d’une importance vitale pour les communautés.
Avec un tel changement de paradigme, l’homme n’est plus compris comme dominant la terre et les diverses espèces vivantes. Il est compris plutôt comme faisant partie de la nature. Une vision écocentriste, s’appuyant notamment sur des savoirs traditionnels autochtones et soulignant l’importance de respecter les droits autonomes des autres espèces et milieux de vie sur la Terre, tend ainsi à se substituer à l’approche anthropocentriste qui a prévalu à ce jour.
L’effet boule de neige de cette nouvelle vision semble pénétrer d’autres pays, tels le Mexique, où les droits de la nature ont été insérés en janvier 2017 dans la Constitution de la ville de Mexico, le Brésil, où un regroupement de juges a adopté une déclaration récemment à cet égard lors du Huitième Forum mondial de l’eau, mais aussi l’Afrique, qui cherche à faire reconnaître le fleuve Éthiopie comme sujet de droit, et l’Australie, qui semble se diriger vers la reconnaissance du fleuve Margaret comme personne non humaine.
Au Québec
Le cadre juridique du Québec ne serait pas incompatible avec une telle vision. En effet, la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et favorisant une meilleure gouvernance de l’eau et des milieux associés (Recueil des lois et règlements du Québec, RLRQ, c. C-6.2), prévoit que ces ressources en eau du Québec font partie du « patrimoine commun de la nation québécoise ». La loi prévoit en outre que « [l]a protection, la restauration, la mise en valeur et la gestion des ressources en eau sont d’intérêt général et concourent à l’objectif de développement durable, tout en ajoutant qu’« [a] fin de favoriser l’accès public au fleuve Saint-Laurent et aux autres plans ou cours d’eau […], le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs peut prendre des mesures à cette fin ». L’une de ces mesures de ne serait-elle pas de déclarer le fleuve Saint-Laurent comme sujet de droit et de personne non humaine ?
Cela serait d’autant plus justifié que le statut patrimonial des ressources en eau a dorénavant pour conséquence qu’un préjudice autonome peut être causé à la ressource. En fait, l’article 8 de la loi introduit le concept de responsabilité sans faute lorsque des dommages sont causés aux ressources en eau. D’ailleurs, le procureur général peut, en application de cet article, « au nom de l’État gardien des intérêts de la nation dans ces ressources, intenter contre l’auteur des dommages une action en réparation ». La loi reconnaît indirectement dans ce même article les droits à la conservation, à la réparation et à la protection des ressources en eau. Plus encore, la loi, en instaurant le programme favorisant la restauration et la création de milieux humides et hydriques, met en avant encore plus la protection de l’eau. Eu égard à ces développements, une déclaration élevant le fleuve Saint-Laurent et ses affluents au statut de sujet de droit, ou de personne non humaine, n’irait pas à l’encontre du droit actuel, mais renforcerait la préservation du grand réservoir hydrique qu’est ce grand fleuve.
En outre, il s’agirait d’un geste d’une symbolique incommensurable, étant donné qu’il ferait du Québec un État avant-gardiste emboîtant le pas à la Nouvelle-Zélande, à la Colombie, à l’Inde, à l’Équateur et à plusieurs autres États qui ont adopté des lois visant à reconnaître les droits de la nature ou sont maintenant disposés à le faire. En fait, bien que le Saint-Laurent a été désigné en 2017 comme « lieu historique » en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel, élever son statut à celui de sujet de droit et de personne non humaine permettrait de lui assurer une mise en valeur en tant que milieu de vie.