S’il faut en croire Mme Fortier la rectrice surpayée de McGill, le Québec aurait tout à gagner de donner le site du Royal Victoria pour planter sur la montagne un grand pôle d’excellence en développement durable (La Presse 06/12/2020). Qui pourrait trouver à redire ? L’environnement est une préoccupation mondiale et il ne serait que justice qu’une université de réputation mondiale comme McGill fasse sa part. L’élite scientifique qu’elle rassemble déjà n’en serait que plus forte encore si elle pouvait compter sur une injection de fonds publics pour en soutenir les prétentions. Après tout, la vénérable institution draine déjà plus de la moitié des fonds de recherche consacrés aux universités québécoises, elle accueille avec son club ferme de Concordia plus des trois quarts des étudiants étrangers qui viennent en anglais s’encanailler rue Prince-Arthur entre deux séminaires de « classe mondiale ».
Évidemment, tout cela et bien d’autres choses encore ne devrait pas nourrir quelque réflexion que ce soit sur la notion de privilège, encore moins sur celle d’iniquité. McGill ne rate jamais une occasion de clamer son appartenance à la province. Sa rectrice souscrit aux nobles ambitions de faire rayonner le Québec. Peu lui chaut cependant que ce rayonnement ne serve guère la construction et la volonté de construire ici une société où le français et la culture québécoise imprégnerait l’ensemble de l’architecture institutionnelle comme c’est le cas dans toute société normale. La rectrice insiste sur le mot rayonnement sans trop s’étendre sur la définition de ce qui doit rayonner. Et encore moins sur ce qui doit rayonner avec l’appui des contribuables du seul demi-État français d’Amérique.
Quiconque a déjà pu constater ce que donne en Asie ou ailleurs ce rayonnement auquel McGill contribue pourrait aisément en témoigner : la référence québécoise y est insignifiante, si ce n’est pour évoquer les charmes de la latin atmosphere qui rend le séjour si agréable. D’autres qui ont déjà pignon sur rue à Brossard ne tariront pas d’éloges sur les vertus des programmes qui assortissent la diplomation d’un certificat de sélection du Québec, un formidable produit d’appel comme on dit en marketing et qui rend si attrayante une inscription à McGill ou à Concordia. La marchandisation de l’université, McGill ne s’en scandalise pas trop. De fait, sans l’apport des étudiants étrangers cette université ne pourrait maintenir aucun de ses programmes clés. La raison est facile à comprendre : la démographie n’en justifie ni n’en soutient la viabilité. Elle n’a plus d’assises assez solides dans la société anglo-québécoise pour se maintenir. Elle ne peut le faire qu’en usant et abusant de la faiblesse du gouvernement du Québec et de l’ensemble des dirigeants universitaires qui n’osent pas reconnaître que la reine est nue.
On ne reprochera pas tant à la rectrice de jouer son jeu qu’au monde universitaire francophone son esprit démissionnaire et son refus de nommer un chat un chat, une iniquité, une iniquité. Cela fait des siècles que les dirigeants de l’UQAM se plaignent du sous-financement et une éternité que les constituantes du réseau n’en finissent plus de quémander. Et que dire du silence des syndicats de professeurs et de chargés de cours qui restent silencieux et résignés devant les projets qui consacrent leur marginalisation et, pis encore, leur déclassement professionnel et leur relégation dans des enclos de folklorisation.
Il faut être singulièrement candide pour s’imaginer que le grand projet de McGill ne signerait pas le déclassement et le déclin rapide de l’UQAM, déjà en passe de se faire damer le pion par Concordia. Le devenir des universités et de la recherche en français sera définitivement scellé. On connaît trop bien les réflexes de colonisé à la base du silence coupable de notre élite de gestionnaires universitaires engoncés dans les certitudes bureaucratiques. Un grand projet en anglais les fera baver d’envie. Le mimétisme leur dictera leurs plus lubriques pulsions et ils ne tarderont pas à tenter de se convaincre que la meilleure façon de composer avec l’ogre de la montagne sera de s’angliciser encore davantage, d’offrir des programmes en anglais vendus avec toute la rhétorique compensatoire des parvenus déjà trop contents de se trouver dans les estrades en se gaussant d’être aux premières loges du spectacle de la grandeur… des autres.
Ils se perdront trop tard en lamentations. Et ne se rendront pas compte que ce qu’ils tiennent pour de la grandeur n’est en réalité qu’un manque d’ambition. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : McGill manque d’ambition. Si tant est que sa rectrice dise vrai et que cette université soit réellement soucieuse de faire rayonner le Québec, elle ferait de ce projet un puissant levier pour l’ensemble du monde universitaire montréalais, voire québécois. On s’étonne sans trop s’en surprendre que les recteurs des universités de Montréal, de Polytechnique, de l’UQAM et de l’ETS n’y aient pas songé. Si un projet comme celui du Royal Victoria doit avoir de l’envergure, il doit précisément l’être d’une dimension nationale. Il devrait être l’occasion de former une grande institution de convergence qui démultiplierait la force de frappe de ce méga centre. Le gouvernement Legault ne comprend franchement pas grand-chose à ce que la construction et la défense de la nation peuvent bien signifier. C’est franchement scandaleux de le voir renforcer la logique du développement séparé.
Si le gouvernement du Québec avait le sens de l’intérêt national, il cesserait de financer l’apartheid académique et assortirait son soutien d’une obligation d’inscrire les ambitions de McGill dans une architecture institutionnelle au service du français et du développement d’un système universitaire national.
Si McGill avait de l’ambition et si son attachement au Québec était autre chose qu’une formule rhétorique, c’est l’idée d’une institution d’envergure nationale qui devrait charpenter son projet.
Si McGill était aussi vertueuse et inclusive comme nous le répète à l’envie ses thuriféraires, le projet du Royal Victoria inclurait les universités françaises.
Si McGill était si soucieuse de partager le destin du Québec, un destin français, elle accepterait de fonctionner dans une structure où elle serait ce que la démographie et l’histoire en ont fait et devraient en faire : un partenaire minoritaire, méritoire certes, mais néanmoins enjoint par son statut à s’inscrire dans la dynamique nationale du Québec.
Si McGill était si soucieuse de l’avenir français au Québec elle accepterait que ce projet s’incarne dans une institution française. Une institution qui consacrerait le statut de notre langue au centre-ville.
Non, décidément McGill manque d’envergure. À moins que ne se dégagent de ses réflexes les plus primaires les relents de la vieille maxime orangiste : Never under french rules !