Du mensonge en politique

Élection présidentielle étasuniennes — 2012


Au moment de se rendre aux urnes, beaucoup s’en souviennent avec révolte ou résignation : le mensonge fait partie de la politique.
Il est généralement pire en dictature, où le mensonge coïncide souvent avec la nature même du régime (« l’État des travailleurs » sous le communisme). Mais il peut également faire des ravages en démocratie, lorsque l’argent, la démagogie et la crédulité populaire se mettent de la partie.
Des théorèmes ont été élaborés selon lesquels, même dans le meilleur système électif, le mensonge est consubstantiel à l’action politique, du moins inévitable à un certain degré. Par exemple, un adage prétend qu’il est impossible d’être tout à la fois militant, efficace et totalement honnête (variante de celui qui prétend qu’on ne peut être à la fois militant, honnête… et intelligent). Est-il possible de survivre en politique en ne disant que la vérité, toute la vérité et rien que la vérité ?
En France, un nouveau gouvernement, socialiste, arrive au pouvoir. Les indicateurs sont au rouge et le resserrement des finances publiques s’annonce douloureux. Mais en cette rentrée 2012, cette vérité n’est pas bonne à dire. Du moins, pas encore. « Je ne serai pas le premier ministre de l’austérité », répète avec obstination Jean-Marc Ayrault, alors que s’accumulent les nouvelles catastrophiques sur le plan économique : croissance zéro, chômage de masse qui dépasse maintenant les 3 millions ; désindustrialisation ; déficit du commerce extérieur (70 milliards d’euros en 2011), etc.
On peut imaginer qu’avant longtemps, M. Ayrault - ou mieux encore, le président François Hollande - se résoudra à une dramatique allocution télévisée, qui commencerait par « Françaises et Français, ce soir, je vais vous dire la vérité… » Ils n’y sont pas encore.
Le mensonge en politique, c’est aussi, parfois, le déni et le mensonge à soi-même.
***
Mais un test, autrement sérieux, du mensonge et de la vérité en démocratie nous viendra sans doute, cet automne, des États-Unis d’Amérique. Dans un tout autre registre, cette fois, que celui d’une gauche idéaliste, vouée à la redistribution sociale-démocrate, et qui se heurterait soudain à la dureté du réel.
Ici, il s’agit plutôt d’une offensive frontale de la droite dure pour faire élire une équipe - le ticket Mitt Romney-Paul Ryan - qui proclame, avec un aplomb complet, l’exact contraire de ce qu’elle veut et de ce qu’elle va faire. Qui accuse l’adversaire - devenu ennemi à abattre - de tous les maux qu’elle a souvent provoqués elle-même. Qui va mettre la hache dans les services sociaux, tout en jurant de protéger les plus faibles. Qui pratique la politique de la terre brûlée, tout en affirmant que l’herbe repoussera bientôt, comme par magie, plus verte et plus moelleuse que jamais…
L’un des grands thèmes de la présidentielle américaine de 2012, écrivait hier Paul Krugman dans le New York Times, « c’est l’affrontement entre ceux qui veulent le maintien d’un système de sécurité sociale, et ceux qui souhaitent sa destruction. Mais c’est aussi un test des nouvelles frontières du mensonge en politique. C’est la première fois qu’un de nos grands partis fait campagne sur des thèmes totalement mensongers, lançant des affirmations qui contredisent complètement ses vrais objectifs. Mais si le tandem Romney-Ryan gagne, soyez sûrs que ce ne sera pas la dernière fois. »
Du mensonge partiel, réversible et peut-être inévitable en politique - appelons-le « véniel » -, la démocratie aux États-Unis est passée à la vitesse supérieure en cette année 2012.
La machine à propagande pourra-t-elle faire croire à une majorité d’électeurs - même une courte majorité - que le blocage législatif aux États-Unis est la faute de Barack Obama, alors que les sénateurs et représentants républicains font de l’obstruction systématique depuis quatre ans ? Que le président Obama veut soustraire 700 milliards au programme Medicare (soins de santé pour le troisième âge), alors que tel est, précisément, le programme du Parti républicain ? Que la perte de la cote AAA de Standard and Poors, à l’été 2011, était la faute du président… et non celle des élus républicains qui bloquaient toute autorisation de nouveaux emprunts par l’État, le menaçant de paralysie immédiate ?
Le matraquage télévisé de ces énormes mensonges - car l’ère du mensonge généralisé en politique, c’est aussi l’ère des dépenses publicitaires illimitées pour les diffuser - sera-t-il efficace ? Tout porte à croire que c’est très, très possible. Ce serait là une tragique perversion de la démocratie, dans un pays qui en fut longtemps le héraut mondial.

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François Brousseau92 articles

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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.





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