Candidates aux primaires républicaines, Sarah Palin et Michele Bachmann affolent les foules et les médias par leurs éclats, leurs positions ultraconservatrices et leurs propos parfois délirants. Par Philippe Boulet-Gercourt
Sarah Palin et Michele Bachmann (AFP)
(Article paru dans "le Nouvel Observateur" du 23 juin 2011)
Elle a les yeux revolver et les petites phrases qui tuent. Dès qu'elle l'ouvre pour défourailler contre Washington, les amoureux des armes à feu dégainent leur carnet de chèques. Elle est la reine des obsédés de la lutte anti-avortement, l'idole des créationnistes, l'égérie du Tea Party. Elle ne doute de rien, surtout pas d'elle-même : « La personne à laquelle je me compare est Barack Obama, c'est une comparaison qui m'est très favorable. » Elle ne sort jamais sans sa panoplie de mère-de-famille-saine-et-normale mais cultive soigneusement son look de babe qui électrise les foules. Elle rend les médias dingues. Elle s'appelle... Michele Bachmann.
Une campagne qui s'annonce crazy, crazy, crazy !
Deux Sarah Palin pour le prix d'une ? C'est la dernière bizarrerie d'une campagne présidentielle 2012 qui s'annonce crazy, crazy, crazy ! A gauche, le suspense est nul : Barack Obama n'aura pas de concurrent sérieux. A droite, c'est une autre affaire : les primaires n'ont jamais été aussi ouvertes. Mitt Romney, le favori, a progressé dans les sondages mais reste le leader le plus faible de toute l'histoire politique américaine moderne. A chaque scrutin, depuis 1952, un favori s'était clairement dégagé à droite dix-huit mois avant l'élection. Cette fois, non. Demandez par exemple aux républicains du New Hampshire pour qui ils voteront lors des primaires de février prochain : 87% répondent qu'ils n'en ont pas la moindre idée. La droite de la droite, déjà mobilisée en masse, n'est guère excitée par Romney, cet ancien gouverneur du Massachusetts au look raide de banquier de Wall Street, qui a fait voter dans son Etat une réforme de l'assurance-maladie ayant servi de modèle à celle d'Obama.
Sarah Palin en 2008 dans l'Ohio (AFP)
Entrent en scène Michele et Sarah. Frissons garantis. Pas besoin de présenter la seconde, candidate à la vice-présidence en 2008. La première, elle, est une élue du Minnesota qui a fondé le comité du Tea Party à la Chambre des Représentants, devenant son relais officiel à Washington. Les deux femmes se sont toujours fait des mamours : nous sommes de super « copines », a dit Sarah, des «amies», a renchéri Michele. Seul problème, comme on dirait dans un mauvais western : il y a une femme de trop dans cette campagne... Pendant longtemps, Sarah Palin a eu la grand-rue pour elle toute seule : célèbre du jour au lendemain grâce à son « ticket » de vice-présidente avec McCain, l'ex-gouverneur de l'Alaska est devenue un personnage de télé-réalité, avec sa série télévisée, son contrat avec Fox News, ses soucis familiaux très publics et ses sorties en Harley. Elle a démissionné de son poste de gouverneur (« Seuls les poissons morts vont avec le courant », a-t-elle expliqué), vient d'acheter une maison en Arizona, a joué à cache-cache avec les journalistes le temps d'un périple en bus sur la côte Est et continue de fasciner les médias.
Sarah Palin en Harley Davidson le 29 mai 2011 en Virginie (Sipa)
Palin n'a pas encore décidé si elle voulait ou non sacrifier ses millions pour se lancer dans la campagne présidentielle. Son handicap ? Les électeurs républicains sont quand même plus de 40% à refuser d'envisager de voter pour elle. Dans l'ensemble de la population, son impopularité n'a cessé de progresser, avec 60% d'opinions défavorables. « Elle est une célébrité politique excentrique marginalement pertinente », tranche le commentateur de droite Joe Scarborough.
Michele Bachmann, elle, a fait le parcours inverse. Elle s'était fait connaître par des propos délirants, sur le mariage gay («Les petits enfants de maternelle vont être obligés d'apprendre que l'homosexualité est normale, naturelle et qu'ils devraient peut-être l'essayer»), le réchaufement climatique (« Le dioxyde de carbone est naturel, pas nocif [ ...] et pourtant on nous dit qu'il faut réduire cette substance naturelle, réduire le mode de vie américain pour réduire arbitrairement quelque chose que la Terre produit naturellement»), Barack Obama (« Son voyage en Inde va coûter 200 millions de dollars par jour au contribuable, ses «comités de la mort" décideront qui peut recevoir des soins médicaux, et en quelle quantité»), ou Darwin (« Il y a des centaines et des centaines de scientifiques, parmi lesquels de nombreux prix Nobel, qui croient au dessein intelligent», résurgence du créationnisme)...
Michele Bachmann à Washington le 10 février 2011 (Sipa)
Réélue en novembre dernier, Michele Bachmann devient la chef de file de plus de soixante congressmen du Tea Party et demande à occuper la quatrième position hiérarchique du Parti républicain à la Chambre des Représentants. On lui rit au nez, lui offrant par là même un statut d'outsider parfait. Elle devient le relais officiel de l'Amérique « réelle » dans les travées du Parlement. Elle décroche une place dans une commission parlementaire, bosse ses dossiers, limite ses outrances verbales et s'entoure de vieux pros de la politique qui la préparent comme un pur-sang à la présidentielle, gommant les aspects les plus hard et peaufinant les petites phrases. Bachmann est cinglée mais elle n'est pas bête. Palin a pour elle l'instinct, Bachmann, la discipline. Le 13 juin, lors d'un débat télévisé entre les prétendants républicains organisé par CNN, elle cartonne. Plusieurs sondages la montrent à quelques encablures seulement de Mitt Romney.
13 juin 2011, Michele Bachmann lors d'un débat télévisé entre les prétendants républicains organisé par CNN. (Sipa)
Palin, elle, ronge son frein. Elle attend avec impatience les retombées d'un documentaire de deux heures à sa gloire, « The Undefeated », qui est sorti en salles la semaine dernière. Assez pour reprendre la main ? Bachmann met en avant son expérience de parlementaire. Son stratège, Ed Rollins, sort sa grosse Bertha : entre Bachmann et Palin, lâche-t-il, « les gens vont dire : « Je vais faire un choix et soutenir la femme intelligente qui est tout aussi attirante ». Puisqu'on vous dit que ces deux-là sont amies... Plus la belle Sarah attend, plus Michele risque de lui ravir sa couronne. Shakespearien !
Reste la question à 10 000 dollars : l'une ou l'autre a-t-elle une chance d'emporter la nomination ? Ce serait le rêve d'Obama. On n'en est pas là. Dans l'Iowa, Bachmann a toutes les chances de faire un joli score. Elle est née dans l'Etat et a fait carrière dans celui d'à côté. Son concurrent régional, l'ex-gouverneur du Minnesota Tim Pawlenty, est un robinet d'eau tiède. Palin pourrait elle aussi faire un malheur dans cet Etat rural conservateur. Mais l'Iowa est tout sauf un baromètre. On peut y gagner au milieu des bottes de foin et se faire dézinguer par la suite. Dans le New Hampshire, Bachmann ou Palin auront du mal à convaincre. Mais l'une ou l'autre pourrait se refaire un peu plus tard, dans les Etats sudistes. En temps normal, on ne donnerait pas cher de leur peau. Mais l'Amérique de 2011-2012 est tout sauf normale. Elle est dans les cordes, humiliée, en colère, prête à des sautes d'humeur extrêmement dangereuses. Sarah Palin s'est peut-être trop brûlé les ailes avec les médias, Michele Bachmann a peut-être trop déliré contre les gays, les «pro-choice» (défenseurs de la liberté d'avorter) et le président Obama. Mais s'il doit y avoir une surprise, mauvaise pour l'Amérique et le monde, elle proviendra sans doute de Michele ou de Sarah.
Philippe Boulet-Gercourt- Le Nouvel Observateur
(Article paru dans "le Nouvel Observateur" du 23 juin 2011)
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