C’est la question à 3000 $ ! Quel est le pays où 75 % des musulmans sont en faveur de l’interdiction du port du voile islamique chez les fonctionnaires, y compris les enseignants ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, il s’agit bien de… la France !
Voilà en effet ce que nous apprenait une vaste enquête de l’IFOP publiée la semaine dernière. Non seulement la loi de 1905, dite de séparation de l’Église et de l’État, est-elle approuvée par 87 % des Français, mais elle est aussi plébiscitée par trois musulmans sur quatre ! La même enquête nous apprend que 66 % des musulmans s’opposent à toute modification de cette loi qui fonde, en France, l’interdiction faite à tout fonctionnaire de porter un signe religieux.
Au moment où les accusations fusent contre la loi de François Legault sur la laïcité de l’État, il n’est pas inutile de savoir que la laïcité peut aussi être un objet de consensus. Il restera à nous expliquer comment une telle loi pourrait être à la fois « islamophobe » et approuvée par une majorité de musulmans…
La réponse est peut-être plus simple qu’on le croit. Si des sociétés aussi diverses que la France, la Belgique, la Suisse ou l’Allemagne ont souhaité se doter de lois semblables à celle qui se discute aujourd’hui à Québec, ce n’est ni par xénophobie ni par islamophobie. C’est tout simplement parce que la diversité des sociétés modernes fait de la laïcité de l’État une exigence de plus en plus incontournable. Plus les sociétés sont pluralistes et plus les citoyens exigent de celui-ci une neutralité religieuse irréprochable. Surtout à une époque où la sécularisation n’est peut-être pas aussi inévitable qu’on l’a cru.
Loin d’être synonyme de discrimination, la laïcité de l’État est plutôt un prérequis à la liberté et à l’égalité. Dès 2003, la Cour suprême allemande avait reconnu le droit des citoyens dans leurs rapports avec l’État « de ne pas être exposés à une conviction religieuse qu’ils ne partagent pas ». Un droit par ailleurs déjà garanti au Québec pour les convictions politiques, puisque les fonctionnaires ont déjà l’interdiction de porter des symboles politiques.
Or, nulle part ce respect n’est plus important qu’à l’école. À moins d’assimiler celle-ci à un simple service accueillant des « clients » ou des « usagers ». L’école publique est ce lieu « par essence laïque » où les vérités transcendantes n’ont pas leur place, sinon comme objet d’étude, nous expliquait cette semaine la philosophe Catherine Kintzler. Et à plus forte raison face à des enfants que l’État a la responsabilité de protéger et devant qui le maître a un pouvoir considérable. « Le professeur ne peut pas enseigner du haut ou au nom d’une appartenance ou d’une croyance », dit Kintzler. Il ne peut pas non plus « s’assigner lui-même d’avance à une position qui laisserait penser qu’il encouragerait certains élèves ou certaines opinions ».
Contrairement à ce que laisse entendre une certaine vision absolutiste des droits, pour laquelle il n’y a jamais de « devoirs », les restrictions prévues par le projet de loi 21 ne suspendent ni le droit de croire ni le droit de pratiquer sa religion. Il n’est question ici que du droit de l’afficher pendant les heures de travail.
Pour le sociologue Guy Rocher, ce n’est « pas un scandale de demander aux enseignants de respecter les consciences des enfants et des élèves qui sont devant eux ». Lors de l’adoption de la loi 101, rappelle-t-il, Camille Laurin avait lui aussi été traité de nazi. N’avait-on pas alors tenté de nous convaincre que l’affichage commercial en anglais était un droit de la personne fondamental ?
Guy Rocher a raison de comparer les deux époques. Car le parallèle ne s’arrête pas là. Quarante ans plus tard, l’alignement politique est pratiquement le même. Face au Parti québécois, qui symbolisait alors l’alliance historique entre la droite nationaliste et la gauche sociale-démocrate, se dressait comme aujourd’hui un Parti libéral représentant le Montréal anglophone et multiethnique. On se souvient moins que le PLQ pouvait aussi compter sur une extrême gauche marxiste qui dénonçait avec la même vigueur que Québec solidaire aujourd’hui une « loi discriminatoire » visant à « provoquer la division ». Le vocabulaire n’a guère changé avec les années.
Peut-être vaut-il la peine de rappeler en terminant qu’un employé des services publics n’est pas tout à fait un travailleur comme les autres. Et qu’à ce titre il n’est pas déraisonnable d’exiger de certains d’entre eux un sens du devoir plus élevé que pour un vendeur de voitures. Après tout, les militaires, ne vont-ils pas jusqu’à risquer leur vie pour la patrie ? À moins de considérer la liberté religieuse comme supérieure à toutes les autres (« the first freedom », disent les Américains), l’exigence d’une certaine discrétion en matière religieuse durant les heures de travail est loin d’être démesurée.
Face au multiculturalisme qui tente d’imposer partout sa pensée unique, le premier ministre a eu raison d’affirmer dimanche dernier que « c’est comme ça qu’on vit ici ». Une façon simple de rappeler au monde que les Québécois ont beaucoup plus qu’une langue en partage.