HISTOIRE

Des racines pirates au Québec? Certainement.

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Le Québec corsaire

Extraits de l’article Pirates et corsaires en Nouvelle-France par Francis Back


Dans l’imaginaire collectif, on associe le plus souvent les aventures des pirates et des corsaires aux mers tropicales.  Or, la Nouvelle-France possède une riche histoire dans le domaine du pillage maritime, soit comme victime, soit comme agresseur. Lançons quelques crochets d’abordage pour saisir certains aspects de ce patrimoine guerrier, en mettant l’accent sur la période allant du XVIe siècle aux années 1720; cette époque étant considérée comme l’âge d’or de la flibuste.


ROBERVAL AU LAC SAINT-JEAN EST NOMMÉ APRÈS UN PIRATE!


Devise de la ville de Roberval : « À cœur vaillant, rien d’impossible»


Dès ses premières années, la Nouvelle-France voit son destin lié à des actes de piraterie.  À la suite des voyages d’exploration de Jacques Cartier, Jean-François de La Rocque de Roberval (ndlr – Roberval au Lac-Saint-Jean a été nommé après lui!) reçoit, en 1540, la mission de fonder une colonie française dans la vallée du Saint-Laurent.  Afin de financer sa future colonie, Roberval n’hésite pas à écumer la Manche et à capturer plusieurs navires anglais sous le prétexte fallacieux qu’ils transportent des marchandises espagnoles. Malgré les protestations de l’ambassadeur d’Angleterre, le Roi de France ferme les yeux. La tentative de colonisation de Roberval sur les rives du Saint-Laurent sera un échec, et notre homme est de retour en France en 1543, complètement désargenté.



« Comment Roberval va-t-il rebâtir sa fortune?  En s’attaquant aux colonies espagnoles d’Amérique du Sud! En cette même année 1543, Roberval est à la tête d’une flotte qui attaque la ville de Baracoa (Cuba), rançonne La Havane (Cuba) et pille ensuite de petits établissements le long des côtes du Venezuela et de la Colombie. »



En Colombie, Roberval parvient sans peine à capturer le port de Santa Marta, le 16 juillet 1543, car la garnison espagnole, occupée à mater une révolte indienne, est alors absente. Les équipages de Roberval s’en donnent à cœur joie, allant jusqu’à vider les églises, pour ensuite brûler la ville, emporter les canons du fort et couler tous les navires!


L’année suivante, grâce à la complicité d’un renégat espagnol, Roberval s’empare sans coup férir de la ville de Carthagène (Colombie), dans la nuit du 24 juillet 1544. Roberval n’a qu’un homme de blessé lors de ce coup audacieux et il met la main sur une fortune.


LE FLEUVE SAINT-LAURENT N’EST PAS ÉPARGNÉ  


Par sa position géographique, située bien à l’intérieur du continent nord-américain, la ville de Québec semble à l’abri des pirates et des corsaires. Pourtant, en 1629, la ville tombe entre les mains de la flotte corsaire des frères Kirke, des citoyens anglais, mais natif de Dieppe. Québec ne sera restituée à la France qu’en 1632, cette ville ayant été capturée en temps de paix.


Le Saint-Laurent n’était donc pas sans dangers contre les « écumeurs des mers ».  En 1686, un petit navire de pêche qui part de Québec avec un équipage de « dix-huit bons matelots » est capturé sur le fleuve par un vaisseau « forban » ayant à son bord 60 hommes dont «la plus grande partie [est]française et monté de dix pièces de canon ». Le gouverneur Jacques-René de Brisay de Denonville réclame alors de la France que « vous nous assuriez la navigation et nous garantissiez de ces pirateries qui inquiètent fort nos marchands et nos pêcheurs ». Pourtant, en 1694, c’est au tour d’un navire de La Rochelle, le Saint-Joseph, d’être capturé sur le fleuve Saint-Laurent par un « corsaire de la Jamaïque ».


Mais c’est au mois d’octobre 1690, que la ville de Québec connaîtra sa pire menace corsaire avec l’apparition d’une flotte de 32 navires commandés par sir William Phips. Enrichi par la découverte d’une épave espagnole remplie d’or au large des côtes d’Haïti, William Phips est propulsé aux premières loges de l’élite coloniale par sa fortune.  Au printemps de l’année 1690, il s’attaque avec succès à l’Acadie et il se vante alors d’avoir pillé à Port-Royal « l’église […] et continué à piller sur mer, sur terre, et aussi sous la surface du sol, dans leurs jardins ». Enhardi par ses succès acadiens, William Phips propose aux autorités de la Nouvelle-Angleterre de prendre possession de Québec, une opération militaire qui sera financée… par la mise à sac de la ville! Nous connaissons la suite; le siège de Phips sera un échec (ndlr – Bataille de Québec 1690) et son pari forcé mettra l’État du Massachusetts au bord de la faillite, sans parler de la perte en hommes et en navires.


Voir aussi L’épave du Elizabeth and Mary (1690) Fouilles archéologiques : Rapport d’activités 1997 – de Baie-Trinité, Qc


LA VILLE DE QUÉBEC DEVIENT UN PORT CORSAIRE!  


Notamment sous le règne de Louis XIV, à la suite de la défaite cuisante de la marine française à la bataille de La Hougue (1692), le roi a recours au système de la « guerre de course » pour colmater les lacunes de sa flotte : c’est-à-dire à autoriser des navires « civils » à s’armer « en guerre » afin de combattre les ennemis du royaume le temps d’un conflit et à se payer à même le butin acquis.



Le navire représenté sur cet ex-voto de 1706 est le Joybert (ndlr – navire corsaire de Québec). L’armateur de Québec Louis Prat commande cette toile afin de remercier Sainte-Anne pour la prise du Pembroke Galley par le Joybert, commandé par Jean Léger de La Grange.


Les « Canadiens » sont séduits par cette façon de servir la couronne de France.  Par leur habilité guerrière et par leur réputation de tireurs d’élite, les Canadiens semblent avoir été d’excellents candidats à la guerre de course. En 1705, Antoine-Denis Raudot nous rapporte que « l’adresse d’un Canadien à bien tirer » épargne un navire de guerre français sur lequel il est à bord.  Ce navire est alors poursuivi par un corsaire flamand dont un des matelots, perché sur le haut du grand mât, inonde le pont du navire français de grenades.  Mais ce « Canadien s’en aperçut et tua d’un coup de fusil celui qui leur fessait tout ce mal.  Le capitaine du vaisseau ennemi fit aussi tôt remonter un matelot, mais un coup de la même main ne lui permit pas d’aller jusqu’en haut, et un troisième fut aussi tué ».



« Bien que l’on recrute les équipages corsaires dans l’ensemble du territoire de la Nouvelle-France, c’est dans la ville de Québec que se concentre le réseau d’armateurs qui financent ces expéditions guerrières. »



Parmi ces armateurs, mentionnons Louis Prat (ndlr : http://www.biographi.ca/fr/bio/prat_louis_2F.html), simple aubergiste à Québec, qui décide de se joindre, en 1704, à la « course des ennemis de l’État ». Prat finance la construction du navire le Joybert, qui, une fois sur mer capture la frégate anglaise le Pembroke Galley.  Fort de ce succès, Prat mettra en chantier plusieurs autres navires destinés à la guerre de course, de telle sorte qu’en 1716 les autorités coloniales reconnaissent que par lui « l’on s’est adonné ici à la construction de vaisseaux par l’exemple qu’il a donné ».  Pour la seule année 1707, on arme à Québec quatre vaisseaux pour la guerre de course; le Joybert et le Phillipeau, portant chacun 50 hommes d’équipage, une centaine de corsaires s’embarquent sur le Notre-Dame-des-Victoires et enfin 60 autres montent à bord du navire la Biche. Quoique les recherches restent parcellaires, ces données démontrent que l’activité corsaire est bien présente dans le port de Québec.


DOUBLET ET BEAUCHÊNE 


Il ne convient pas ici de faire la liste des capitaines corsaires de la Nouvelle-France sans pouvoir élaborer un tant soit peu sur leurs succès ou leurs échecs.  La carrière de John Outlaw, par exemple, est surprenante; ce capitaine de navire au service de la Hudson’s Bay Company est capturé par Pierre Le Moyne d’Iberville, en 1687. Outlaw passe alors au service de la France, marie Françoise Denis, en 1692, et fera une campagne corsaire dans les eaux de Boston, en 1697. Nous pourrions également citer les activités de la famille Le Moyne, d’Iberville en tête, ou la carrière de Jean Léger, dit Lagrange.  Nous porterons plutôt notre attention sur deux corsaires, l’un natif de France, Jean Doublet, et l’autre de Nouvelle-France, Robert Chevalier. Ces deux hommes ont le mérite de nous avoir laissé des autobiographies, où se mêlent des faits exacts, un manque flagrant de chronologie et une indéniable propension à la vantardise! En corrigeant plusieurs de leurs dires, retraçons en quelques mots leurs aventures… Jean Doublet naît à Honfleur, en 1655. Dès l’âge de sept ans, il accompagne son père, François Doublet, aux îles de la Madeleine, car ce dernier y a établi une « société de pêche à la morue et aux loups marins ».  De 1665 à 1672, les Doublet s’installent à Québec d’où ils poursuivent leurs entreprises de pêche.  De retour en France, en 1673, Jean Doublet entreprend des études comme pilote à Dieppe, études qu’il entrecoupe de campagnes maritimes sur des navires corsaires.  En 1691, Doublet reçoit enfin un premier commandement à bord de la frégate corsaire la Vipère (30 canons), qui prendra, cette année-là, trois navires marchands.



« Pendant 48 ans de navigation, du Groenland, où il s’empare de la flotte baleinière hollandaise, jusqu’au Chili où il attaque les colonies espagnoles, on présume que Jean Doublet a fait environ une centaine de prises sur l’ennemi. »



Par deux fois, Doublet joue de malchance et il est capturé en 1675 par les Hollandais, puis en 1687 par les Anglais. On le donnera souvent pour mort, car Doublet fait naufrage à sept reprises! Après une vie remplie de dangers, Doublet réussira un dernier exploit; celui de s’éteindre paisiblement, à l’âge de 73 ans, dans son domaine de Banneville la-Bertran (Normandie).


En 1732, l’écrivain Alain-René Lesage reçoit les mémoires de monsieur Robert Chevalier, dit de Beauchêne, capitaine de flibustiers dans la Nouvelle-France.  Il juge ce document digne « de la curiosité du public » et il en publie une version, hélas, fortement remaniée et romancée par sa plume. Selon Lesage, ces mémoires lui auraient été envoyés par la veuve du flibustier, peu après que Chevalier eut « pris querelle avec quelques Anglais » dans la ville de Tours, et qu’il « se battit le 11 décembre 1731 et trouva dans ce combat une mort qu’il avait impunément affrontée dans les abordages les plus périlleux ». Les registres paroissiaux de Tours nous confirment le décès de Robert Chevalier en ce 11 décembre 1731. Robert Chevalier, dit Beauchêne, est baptisé à Pointe-aux-Trembles, le 23 avril 1686. Selon ses dires, il aurait été capturé et adopté par les Iroquois après un de leurs raids dans la région du village de Chambly, en 1695.


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De retour dans la colonie, Chevalier s’engage, avec deux de ses frères, comme voyageur pour Detroit, en 1705. Robert Chevalier troque ensuite la profession de coureur des bois contre celle de corsaire, par son « envie que j’avais d’essayer la guerre sur mer ». En 1707, Chevalier se joint à l’équipage de la frégate la Biche. À Port-Royal (T.-N.), Chevalier passe ensuite au service du capitaine corsaire Pierre Morpain et il se retrouve alors à Saint-Domingue (Haïti) où il est surpris « par les chaleurs qui s’y font sentir ». À Haïti, Chevalier semble avoir favorisé Petit-Goâve comme port d’attache, et il entre au service de plusieurs capitaines corsaires dont un certain Montauban, et également un compatriote, « un Canadien de Québec, appelé Minet, bon homme de mer et aussi prudent que courageux » qui commande le Saint-Joseph.  La carrière corsaire de Chevalier semble s’être surtout concentrée aux Antilles et en Amérique du Sud (on mettra d’ailleurs sa tête à prix au Brésil).



« Le principal fait d’armes de Chevalier est d’avoir réussi, avec un navire de huit pièces de canons, à s’emparer d’un vaisseau anglais portant 46 bouches à feux et 300 hommes d’équipage, au large des côtes de la Jamaïque. »



Mais la victoire des Français sera de courte durée, car une voile pointe à l’horizon : il s’agit du navire anglais Jersey de 50 canons qui récupère la prise et capture les corsaires. Chevalier croupit ensuite dans une prison de la Jamaïque, puis d’Irlande. Dans sa geôle irlandaise, un Breton fait régner la loi parmi les prisonniers français.  Cependant, Chevalier lui « fit connaître que les Canadiens ne le cédaient aux Bretons, ni en force, ni en adresse », et il rosse ce fier-à-bras! Après son séjour forcé en Irlande, Chevalier semble avoir résidé en France, dans les villes de Brest, Saint-Malo et Nantes, pour ensuite trouver la mort à Tours dans les circonstances que nous connaissons.


LE FOYER CORSAIRE ACADIEN


L’Acadie a également un riche patrimoine corsaire que nous devons évoquer.  Très tôt, l’Acadie est victime de corsaires ennemis. Par exemple, le 1er août 1674, le corsaire hollandais Jurriaen Aernoutsz, parti de Curaçao (Antilles hollandaises) surgit devant Pentagouet à bord de la frégate Flying Horse. Aernoutsz s’empare facilement du fort de Pentagouet qui n’est défendu que par une trentaine d’hommes commandés par le gouverneur de l’Acadie, Jacques de Chambly, dont le corsaire hollandais réclame une rançon d’un millier de peaux de castor!  Pendant un mois, Aernoutsz pille les côtes de l’Acadie, qu’il rebaptise « Nouvelle-Hollande », mais ses conquêtes resteront sans lendemain après son retour à Curaçao.  Comme les Canadiens, les Acadiens se montreront à leur tour d’intrépides corsaires et leurs principaux ports d’attache seront Port-Royal et Beaubassin.  Parmi ces corsaires, mentionnons Pierre Maisonnat, dit Baptiste, natif de Bergerac, qui s’établira sur la rivière Saint-Jean, en 1694, la même année où il ramène dix prises anglaises à Port-Royal.  En 1697, Baptiste capture huit navires de pêche au large des côtes du Maine.  De 1694 à 1714, Baptiste est actif aussi bien dans l’armement de navires que dans les campagnes corsaires; il semble s’en être surtout pris à la flotte de pêche de la Nouvelle-Angleterre.  Mais Baptiste n’a pas toujours eu de chance; capturé une première fois en 1697, il séjourne dans les prisons de Boston jusqu’en juin 1698, puis une seconde fois de 1702 à 1706.  Une autre figure célèbre de la flibuste acadienne est Pierre Morpain; ce Bordelais d’origine   s’établira   dans les Antilles.  En 1707, alors qu’il commande un navire corsaire d’Haïti, l’Intrépide, il longe les côtes de la Nouvelle-Angleterre et capture deux navires anglais qu’il ramène à Port-Royal.



« De retour à Haïti, Morpain, fait à nouveau le même trajet, en 1709, en étant cette fois-ci aux commandes du navire corsaire le Duc de Choiseul.  Au cours de cette campagne, Morpain coule quatre navires ennemis et livre neuf prises à Port-Royal. »



La même année, Morpain épouse Marie-Joseph Damours de Chauffours, à Port-Royal, et il s’établira ensuite à Plaisance. Après avoir été actif dans les armements corsaires, Morpain occupe la charge de capitaine de port de Louisbourg, en 1716.


*Voir aussi le livre Les flibustiers de l’Acadie, coureurs des mer écrit par Armand G. Robichaud disponible aux Éditions Francophonie https://editionsfrancophonie.com/livres/les-flibustiers-lacadie-coureurs-mers/


Comme on peut le voir par ce survol, qui n’a aucunement l’ambition d’être exhaustif, l’histoire de la flibuste en Nouvelle-France est riche de faits et de personnages hauts en couleur.  Si certains Canadiens ont légalement servi comme corsaires pour le compte du roi de France, d’autres ont carrément versé dans la piraterie. Ainsi, en 1718, le Conseil de la marine s’émeut du fait que deux navires français ont été attaqués dans les Antilles par un forban dont une partie de l’équipage « comprenait des Canadiens »!