Des parties de Montréal annexées par l'Ontario?

Chronique de José Fontaine

La capitale belge, Bruxelles, s’est peu à peu francisée, de telle manière que même des Flamands de Bruxelles admettent que cette ville a le français comme lingua franca. Bruxelles est la ville belge la plus importante et elle vit sa vie de ville francophone au cœur du territoire de la Région flamande, séparée de la Wallonie, au sud, par la seule commune peu étendue de Rhode-Saint-Genèse, ville cependant à majorité francophone. Il n’est pas impossible que certains Bruxellois francophones vivent cette situation comme une sorte de siège ou d’encerclement. Mais il ne faut tout de même pas exagérer : la guerre civile n’est pas près d’éclater dans le Royaume. En revanche, la situation de ce vaste îlot francophone d’un million d’habitants pose un vrai problème à cette Flandre qui veut sauvegarder sa langue, le néerlandais, peut-être dans une situation plus difficile face au français, que le français ne l’est à l’égard de l’anglais à Montréal. Le français n’est pas la langue de la majorité des Belges, mais la proximité de la France, le rayonnement international de cette langue, le dynamisme de Bruxelles lui donnent de nombreux avantages sur le néerlandais, pourtant lui aussi une langue importante.
Bruxelles qui était encore une ville à majorité flamande lors de la proclamation de l’indépendance de la Belgique en 1830, s’est peu à peu francisée et étendue aux communes proches. Les lois de 1932 ont donné à cet ensemble de communes un statut linguistique (bilingue français/néerlandais), distinct de celui de la Flandre (néerlandais) et de la Wallonie (français), unilingues. Bruxelles est donc considéré comme bilingue. Mais des dispositions des lois de 1932 ont fait que Bruxelles a fini par englober en ce statut bilingue d’autres communes (toutes flamandes), pour arriver à 19 communes dans les années 50.
Les fameuses facilités
En 1962, la logique de cette expansion aurait voulu que six autres communes flamandes soient intégrées à l’agglomération bruxelloise (pas encre une entité fédérée alors). Le mouvement flamand l’a empêché. Mais des facilités furent octroyées aux nombreux francophones (probablement déjà majoritaires alors), qui les peuplaient, notamment dans les rapports avec l’administration (documents en français sur demande), et sur le plan scolaire ( écoles primaires pour les petits francophones).
Ce ne sont pas ces dispositions en elles-mêmes qui posent le problème que l’ancien Premier ministre Jean-Luc Dehaene a été chargé par le roi de résoudre, mais le fait que ces communes font partie du même arrondissement électoral et judiciaire que la capitale belge écrasamment francophone et qui est elle-même une entité fédérée. Ce qui, aux yeux des Flamands, rend la situation peu claire du point de vue des frontières entre entités fédérées. Les Flamands – je dirais tous les Flamands, même s’il y en a de plus radicaux que d’autres – voudraient que cet arrondissement soit scindé. Ce qui clarifierait les choses, de fait. Du côté francophone, existe la crainte que la Région de Bruxelles, entièrement enclavée en Flandre, ne soit entravée dans son développement . Il me semble que l’on peut avoir ce sentiment dans la mesure où en Flandre se développe une hostilité profonde à l’égard de la Belgique et de Bruxelles. Mais, sur le plan linguistique, le français n’est pas menacé par la Flandre à Bruxelles. Il l’est peut-être par l’anglais… Jean-Luc Dehaene travaille discrètement, mais il a récemment fait cette comparaison avec le Québec sur une chaîne de télé parlementaire française. Pour moi, elle est pertinente.
Rapprochement avec le Québec
Je comprends très bien les craintes des Flamands. Ne serait-ce qu’à cause des Québécois. Certains comme le président du FDF Olivier Maingain voudrait carrément élargir Bruxelles et annexer (à la Ville-Etat ou à son statut linguistique ?), tant des territoires flamands que des territoires wallons. Mais une telle mesure ne pourra jamais être acceptée par les Flamands (ni par les Wallons). On commence à dire en Belgique (un peu plus qu’avant), que les Flamands ont à l’égard du français, une position qui peut être rapprochée de celle des Québécois francophones face à l’anglais. Certes tout n’est pas identique, mais le rapprochement est pertinent (sauf que les Flamands sont majoritaires en Belgique ce qui leur a permis de mener une politique économique en fonction de leur seul intérêt et qui a mis la Wallonie en danger, mais c’est une autre histoire).
Les Québécois n’admettraient pas que l’Ontario annexe des quartiers de Montréal où l’anglais prédominerait. Les Wallons sont solidaires en tout cas des plus modérés des Bruxellois dans cette question, ceux qui me semblent surtout se soucier des droits des francophones tels qu’établis en 1962, les fameuses facilités. Que la Flandre souhaite voir se renforcer les frontières qui distinguent les différentes entités fédérées belges, cela me semble assez logique et plus qu’acceptable. Elle ne semble pas mettre en cause l’existence d’une minorité francophone en son sein. Et d’ailleurs, il y aussi une minorité anglophone au Québec. Cette question des frontières est souvent mal posée. On voit la frontière comme quelque chose qui déchire l’unité humaine. Mais en même temps l’unité humaine a besoin fondamentalement que des frontières la traverse pour sauvegarder la diversité qui est tout autant vitale à l’humanité que son unité.
En tout cas, l’ancien Premier ministre Jean-Luc Dehaene, considéré comme le plus habile négociateur de toute l’histoire de Belgique est en train de préparer un compromis avant que la Belgique ne préside l’Union européenne. Il a promis d’y parvenir à la fin des vacances de Pâques soit, en gros, la fin de ce mois. Je souhaite qu’il réussisse parce que l’autonomie des trois entités fédérées belges (Bruxelles, Flandre, Wallonie), est appelée à se renforcer dans un cadre qui a déjà de nombreux traits de confédéralisme. Comme tous les patriotes du monde, je souhaite que mon pays, la Wallonie, soit le plus libre possible de ses mouvements tant sur la scène nationale qu’internationale. Et sur cette question, il y a un large accord entre Wallons, Flamands et Bruxellois. Autant donc que cette question soit réglée le plus vite possible – certes pas à n’importe quel prix, pas au prix des droits des francophones de communes qui à mon sens doivent demeurer flamandes, par ailleurs (tout pays a des minorités).
Une Flandre rassurée surs ses frontières pourraient alors tirer parti de ses affinités avec la langue française, une tradition séculaire chez elle, cela sans renier son appartenance à la langue et la culture néerlandaise. Et La Wallonie (comme Bruxelles), pourrait bâtir avec elle des relations qui peuvent subsister même sans Etat belge, des relations profitables à la Francophonie internationale.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    21 avril 2010

    Les comparaisons doivent pouvoir se faire sur des grandes orientations ou des caractéristiques englobantes. Par exemple: défendre sa langue. La défense de la langue suppose qu'elle soit défendue collectivement et qu'elle s'impose sur un territoire sinon, comment faire? «Entre le fort et le faible, c'est la loi qui libère et la liberté qui opprime.» Les Francophones de la périphérie bruxelloise invoque sans cesse la liberté individuelle, les droits individuels... Cette liberté, c'est la liberté du renard libre dans un poulailler libre. Quant aux droits des anglophones au Québec, il faut se rendre compte que c'est contre des privilèges semblables que les Flamands ont lutté depuis un siècle. Avec deux universités francophones en Flandre, un enseignement en humanités qui pouvait être entièrement en français en maints endroits et d'ailleurs avec beaucoup de cours en français dans les collèges flamands, sur ce territoire exigu qu'est la Flandre et à une époque où, dans le monde, le français était à la place de l'anglais aujourd'hui, au surplus parlé par toutes les élites belges, il n'y avait plus aucune chance que le néerlandais se maintienne en Flandre. Il faut bien se mettre en tête ceci: c'est qu'il n'y avait en Flandre, avant la flamandisation de l'université de Gand qu'une demi-université (Louvain) qui dispensait des cours en néerlandais. Il y a de très nombreuses universités francophones au Québec...

  • Archives de Vigile Répondre

    20 avril 2010

    Comparaison n'est pas raison
    Tout d'abord Montréal n'est pas la capitale du Canada fédéral ni de l'Ontario voisin; elle n'est même pas la capitale du Québec tout étant sa ville, disons sa communauté urbaine la plus importante. Ensuite la détermination des limites (frontières) des provinces canadiennes c'est faite dans un contexte et des conditions qui n'ont rien à voir avec la relativement récente fixation des frontières linguistiques en Belgique. Le traçage des limites provinciales fut le fait souverain du seul pouvoir colonial britannique. Il s'agissait d'un découpage territorial tout à fait usuel voir même nécessaire vu la très vaste étendue d'un territoire vu d'une échelle européenne. Qu'il y ait eu des arrières pensés visant à mieux asservir et diviser la minorité francophone, c'est possible, mais ne connaissant pas l'histoire du condominium canadien, je me garderai de me prononcer là-dessus. Ce qui peut par contre être établi sans contestation sérieuse, c'est que le pouvoir colonial britannique n'avait pas l'ambition d'en faire des frontières linguistiques exclusives et excluant les minorités linguistiques se trouvant du mauvais de tout droit linguistiques, comme ce fut le cas en Belgique. Tout géographe et homme sérieux sera amené à constater que les frontières intra provinciales furent tracées selon les mêmes principes qu'entre les différents états des États-Unis, à savoir selon des méridiens et des parallèles géographiques et des frontières naturelles comme des fleuves et des cimes. Qui plus est, à l'époque ces frontières furent fixées dans de très territoires extrêmement peu habités, qui par conséquent ne souffraient pas de contestation, les colons n'étant (à l'époque) pas (encore) très sédentaires et enracinés dans ces très vastes plaines ou il y avait forcément de la place pour tout le monde. Ainsi la frontière entre le Québec et l'Ontario est-elle celle qui exista entre le Bas et Haut Canada, à savoir essentiellement la rivière Outaouais et sur une petite partie le fleuve du Saint-Laurent. Seul le district ou comté de Vaudreuil-Soulanges au confluent de ces deux rivières se trouve pour ainsi dire géographiquement du côté de l'Ontario (sud de la rivière Outaouais et ouest du Saint-Laurent). Rien à voir donc avec l'établissement des frontières en Europe qui de notoriété furent le fruit d'alliances et de successions princières ou de fortunes guerrières diverses sous l'ancien régime et encore moins avec la frontière linguistique en Belgique de très récente facture. Les frontières de la ville de Montréal correspondent parfaitement aux contours de l'île sur laquelle elle a été fondée et qui porte son nom ainsi que l'île Bizard. Idem pour la ville voisine de Laval établie sur l'île Jesus. Ces îles ou ensemble d'îles ont donc des frontières naturelles évidentes qui s'imposent pour ainsi dire physiquement à tous en nombre de ponts limités qui les relient au rives du Saint-Laurent. Rien de tout ça à Bruxelles où la frontière régionale de Bruxelles traverse des quartiers à l'instar du défunt mur de Berlin, sauf quelle ne passe pas (encore?) par le centre. Toutes les frontières régionales en Belgique ont été calquées sur celles des frontières linguistiques et la façon dont ces dites frontières linguistiques ont été établies est sujette à caution. Quant on établi une frontière avec pour but d'exclure de tout droit linguistique les minorités de part et d'autre de cette frontière, il convient au moins d'établir des recensements statistiques fiables et surtout récentes ou à défaut de consulter les populations concernées. Or rien de tout cela à été fait; les flamingants ont empêches les deux méthodes l'une après l'autre, un peu comme les soviets ont empêches des élections libres après la révolution d'octobre. Qui plus est Bruxelles est la capitale de la Flandre, pourquoi les dirigeants flamands sont-ils alors incapables d'envisager sereinement une extension limitée à quelques communes limitrophes?

  • José Fontaine Répondre

    10 avril 2010

    Je suis d'accord avec cette analyse. Ce qui est étonnant, c'est que Le Soir qui se veut partisan de l'unité belge a fait paraître aujourd'hui un éditorial particulièrement antiflamand assez dur. La semaine passée, j'ai mis en cause l'establishment flamand pour la politique menée de 1950 à 1990 sur le plan économique et logistique. Mais sur le plan linguistique, je ne vois pas ce que la Wallonie (ni Bruxelles), auraient à gagner, d'un recul du néerlandais. Les responsables de la Francophonie sont d'accord avec cela: à partir du moment où l'on prône une langue comme le français, par rapport à une langue plus puissante (l'anglais), il est contradictoire de lutter contre des langues importantes (comme le néerlandais), qui sont moins importantes que le français. Evidemment, je peux comprendre aussi les craintes des Bruxellois francophones par rapport à une certaine volonté flamande de domination notamment fondée sur la majorité numérique des Flamands en Belgique.

  • Archives de Vigile Répondre

    10 avril 2010

    Le journal Le Soir a écrit cette semaine un article sur la déflamandisation de Bruxelles, en citant les chiffres publiés récement par la VUB.
    On constate que comme à Montréal, les mêmes causes produsent les mêmes conséquences : l'exode des Bruxellois néerlandophones en périphérie lointaine, contribue à renforcer le fait français à Bruxelles, particulier chez les allophones et les Européens.
    En effet, comment les Néo-Bruxellois peuvent être encouragés à pratiquer la langue de Vondel si leurs locuteurs quittent la capitale (qu'ils renvendiquent !) ?
    C'est un avetissement cinglant pour les Québecois : si des mesures ne sont pas prises pour arrêter l'hémoragie, la Région de Montréal formera bientôt une entité linguistique officiellement indépendante du reste de la Province, sans qu'il soit nécessaire d'en modifier les frontières...l'abolition de la loi 101 dans l'île suffira !