L’ex-président et chef de la direction de la Banque de Laurentienne, Pierre Goyette
En vidéo, l’ex-président et chef de la direction de la Banque de Laurentienne, Pierre Goyette, explique pourquoi la Caisse de dépôt et placement a erré dans le dossier du PCAA.
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NDLD : Nous avons mis en gras les éléments du texte qui ont été supprimés à la suite de sa parution dans «La Presse», la semaine dernière. Nous estimons qu’il s’agit d’éléments cruciaux pour expliquer la crise du papier commercial à la Caisse de dépôt et placement.
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Un examen attentif des états financiers 2008 de la Caisse de dépôt et placement du Québec rendus publics le 25 février 2009, du communiqué de presse émis le même jour ainsi que les rapports annuels antérieurs, permettent déjà de questionner certaines politiques et pratiques de la Caisse.
Je voudrais aujourd’hui traiter uniquement des papiers commerciaux adossés à des actifs, les PCAA.
Henri-Paul Rousseau et Fernand Perreault ont admis que ce fut une erreur d’en accumuler autant.
Malheureusement, ce ne fut pas la seule erreur d’en accumuler 12 600 millions de dollars! Ce fut une grossière erreur d’en avoir acheté.
On pourrait dire que c’est plus facile à dire en rétrospective. NON.
Ce fut une erreur d’analyse déficiente, une erreur de jugement, une erreur de concentration de risque exagéré et même une faute de dissimulation au Conseil d’administration.
L’erreur de base
La Caisse a investi dans 40 séries de PCAA émis par 21 ou 22 fiducies (appelés conduits). Ces fiducies étaient créées par des promoteurs, le plus important étant la société Coventree Inc., dont la Caisse a été actionnaire.
Le PCAA reposait sur deux types d’actifs, soit des actifs conventionnels et des actifs synthétiques. Les actifs conventionnels sont des créances sur carte de crédit, des prêts-auto, d’autres prêts à la consommation et des prêts hypothécaires.
Les actifs synthétiques sont des produits dérivés de crédit. Il y avait aussi des actifs à haut risque.
La plupart des fiducies ayant émis des PCAA possédaient des actifs synthétiques plutôt que des actifs traditionnels décrits précédemment. Plus de 10G$ des 12,8G$ de PCAA de la Caisse étaient de la catégorie des PCAA synthétiques.
La principale cause de la déconfiture des PCAA a été que les fiducies créées par les promoteurs achetaient des actifs à moyen et à long terme et que pour financer ces acquisitions d’actifs, elles émettaient des titres à court terme portant généralement des échéances de 30, 60 ou 90 jours. Toute société financière qui agit ainsi est vulnérable.
Tous les banquiers (Cours de Banque 101) savent qu’il ne doit pas y avoir asymétrie des échéances entre les actifs et les passifs de leurs banques. La Caisse aurait dû suivre l’exemple du Président de la Banque TD qui a refusé que sa banque embarque dans ce produit toxique. C’est l’erreur principale de la Caisse de l’avoir fait.
Pourquoi la Caisse aurait-elle dû connaître les dangers des PCAA émis par ces fiducies?
Parce que le très peu de renseignements fournis aux investisseurs concernant le PCAA, provenaient d’une courte circulaire d’information produite par la fiducie ou par son promoteur.
Il y avait aussi un rapport préparé par une agence de notation de crédit qui donnait en général une description plus détaillée des actifs acquis et mentionnait aussi que les actifs n’étaient pas à court terme. Cependant, le rapport comportait une importante lacune; il ne fournissait pas certains détails importants quant aux dispositions relatives aux liquidités des fiducies et des PCAA .Puisque la Caisse investissait ses liquidités dans les PCAA, elle aurait dû voir cette importante absence d’évaluation de la liquidité par l’agence de notation de crédit.
Les notations déficientes
Ce qui soulève la question de la notation des PCAA par DBRS. Fernand Perreault, dans le communiqué du 25 janvier 2009, mentionne ce qui suit: «Certes, ils (les PCAA) étaient cotés AAA; notre portefeuille était abondamment diversifié par émetteur; il s’agissait de titres à court terme; le marché avait fonctionné adéquatement pendant neuf ans; la politique de gestion de risques n’avait pas de limites globales de détention pour les instruments de marchés monétaires cotés AAA.»
Les PCAA n’étaient pas cotés AAA, comme le sont par exemple, les obligations du Canada, mais bien une cote R-1(haut) par DBRS, soit la plus haute cote pour des titres à court terme.
La Caisse aurait dû questionner la qualité d’une notation de crédit la plus élevée pour les milliards de dollars investis dans une bonne portion des PCAA ne bénéficiant pas d’ententes de liquidité (Liquidity Arrangements). Je reviendrai sur ces ententes de liquidité.
Dans une publication de la Banque du Canada en juin 2005 portant sur les titres garantis par des créances synthétiques, les auteurs (Armstrong et Kiff) notent que les investisseurs dans les PCAA synthétiques devraient exiger plus d’une notation de crédit afin de bien mesurer les risques.
Au départ, les PCAA étaient évalués par trois agences de notation exerçant ces activités au Canada; Dominion Bond Rating Service (DBRS), Moody’s et Standard & Poor’s. À partir de l’an 2000, DBRS a été la seule agence à évaluer le risque posé par le PCAA.
Dès l’an 2000, l’alarme aurait dû sonner à la Caisse sur le fait que des agences de notation très sérieuses comme Moody’s et Standard & Poor’s ne voulaient plus coter les PCAA. La Caisse semble avoir accordé une confiance aveugle à la notation R-1(haut) de DBRS.
Donc, deux agences sérieuses de notation ne donnent plus de cote depuis l’an 2000 et DBRS ne donne pas son opinion sur le risque de liquidité des PCAA. C’était une double erreur de jugement et une négligence professionnelle incompréhensible.
Mais pourquoi donc Moody’s et Standard & Poor’s ont-ils abandonné cette activité lucrative?
Les ententes de liquidités
Quand les fiducies étaient mises en place, elles s’assuraient, la plupart du temps, de mettre aussi en place des ententes de liquidité auprès de banques étrangères faisant affaire au Canada, au bénéfice des détenteurs de PCAA. Ces ententes étaient conditionnelles. Elles entraient en vigueur uniquement à la condition de «perturbation générale du marché» des PCAA.
Ces ententes conditionnelles et fragiles de liquidité ont été qualifiées en anglais de Canadian style liquidity arrangements. Moody’s et Standard & Poor’s croyaient que cette condition de perturbation générale de marché permettrait à ces banques d’échapper à leurs engagements. La Caisse aurait dû réagir de la même façon que ces deux grandes agences de notation de crédit. En fait, les fiducies et leurs promoteurs ont été incapables de faire reconnaître qu’il y avait eu perturbation générale de marché et ce fût la crise du mois d’août 2007.
Quand on accumule des milliards de dollars dans un nouvel instrument financier complexe, on devrait investir une petite somme raisonnable en consultations juridiques compétentes pour éviter que des banques puissent échapper à leurs engagements.
Encore ici, on voit une double négligence professionnelle de la direction de la Caisse. Dans son discours du 9 mars 2009, Henri-Paul Rousseau prétend que la crise des PCAA en août 2007 «découlait d’une échappatoire de la réglementation au Canada sur les ententes de liquidités – en anglais, on dirait un loophole.»
Ce n’est pas le cas. La crise des PCAA en août 2007 a été déclenchée à cause d’une mauvaise rédaction des ententes de liquidité avec les banques qui devaient fournir ces liquidités, ce qui leur a ainsi permis d’échapper à leurs engagements. De plus, plusieurs milliards de dollars de PCAA, n’avaient même pas d’entente de liquidité.
Divulgation au Conseil
Assez grave aussi, la question se posait à savoir s’il y avait eu divulgation du degré de concentration dans les PCAA par la direction de la Caisse à son Conseil d’administration ou à son comité de gestion des risques ou à son comité de vérification.
Est-ce que le Conseil ou un de ses comités a autorisé un placement de cette nature, d’un coût égal à plus de 10% de l’actif net de la Caisse au 31 décembre 2008?
La réponse est NON, et la confirmation est venue récemment par Claudette Carbonneau et Claude Garcia du comité de vérification et par Alban D’Amours, Yvan Allaire et Henri Massé du comité de gestion des risques.
Les placements dans les PCAA n’ont été ni autorisés par le Conseil ou par un de ses comités, ni divulgués à ces instances. Et pourtant, les rapports annuels 2006 et 2007 mentionnent que le comité de gestion des risques du Conseil devait recevoir des rapports «sur le suivi des dossiers d’investissement dont l’autorisation ne relève pas du Conseil et qui ont été autorisés par la direction de la Caisse». Cela ne semble pas avoir été fait.
Achetés de qui?
Une dernière question serait de connaître la façon dont les PCAA ont été acquis: directement des fiducies, des promoteurs et combien de Coventree Inc. , des courtiers en valeurs mobilières, directement ou indirectement, d’autres investisseurs institutionnels, tels des sociétés d’assurances ou autres investisseurs.
Conclusion
Contrairement à l’affirmation de Henri-Paul Rousseau, la qualité intrinsèque des PCAA était mauvaise.
Les papiers commerciaux à court terme des fiducies reposaient sur des actifs à plus long terme et surtout des produits dérivés de crédit. DBRS n’évaluait pas le risque de liquidité des PCAA.
L’avertissement des agences sérieuses Moody’s et Standard & Poor’s n’a pas été écouté par la Caisse.
Plusieurs milliards de dollars ont été investis dans des PCAA sans entente de liquidité.
Les ententes de liquidité conçues ou rédigées de façon négligente ont engendré la catastrophe en 2007.
Enfin, la direction de la Caisse a fait des cachettes, délibérées ou non, à son Conseil.
Pierre Goyette a été président et chef de la direction de la Banque de Laurentienne de 1984 à 1987. Il a été sous-ministre des Finances de 1972 à 1977, période au cours de laquelle il a siégé au conseil d’administration de la Caisse de dépôt.
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