(QUÉBEC) Oubliez le clivage traditionnel entre fédéralistes et souverainistes. L'axe gauche-droite, lui aussi, a vécu. Exit carrés rouges et verts, comme le clivage entre les urbains et les ruraux. Le projet de charte des valeurs présenté par le gouvernement Marois rebrasse profondément les cartes, et les grilles d'analyse traditionnelles ne permettent pas de distinguer les forces en présence.
Décortiquant les données de sa plus récente enquête, CROP distingue quatre profils de Québécois, quatre visages, quatre photos qui apparaissent clairement, plongés dans ces révélateurs que sont la religion et l'immigration. «De nouvelles lignes de fracture», selon le sondeur.
Lancé la semaine dernière par le gouvernement Marois, le débat sur les valeurs communes et les signes religieux est «susceptible de rebrasser les cartes au Québec», prédit Youri Rivest.
Le Parti québécois est, depuis sa fondation, une alliance entre la gauche urbaine et le fond plus conservateur des appuis en région. «Ce qu'on voit avec la Charte, c'est que le courant conservateur est très mobilisé, mais que la gauche urbaine est bien plus réfractaire», analyse le sondeur.
Qui fera des gains? Qui perdra des appuis? Bien malin qui peut le prédire à ce stade. À la différence d'un affrontement sur l'ampleur du déficit ou les mesures d'aide sociale, la question de la foi et des convictions religieuses fait vibrer des cordes bien plus profondes. On peut être amené, rationnellement, à changer d'idée sur l'importance du déficit et de la dette publique, mais on ne peut pas facilement changer de cap quand les convictions religieuses sont en cause.
Pour Youri Rivest, tout ce brassage, ce réalignement des forces, peut modifier en profondeur l'appui traditionnel des partis politiques. «On ne joue plus dans un film en noir et blanc. On ne fait plus le compte des pour et des contre. La réalité est bien plus nuancée», de conclure le sondeur.
Le «catholique pure laine»
(29% de la population)
Il croit que l'immigration menace son patrimoine catholique.
Archétype selon CROP:
-* Jean Tremblay, maire de Saguenay
«Je n'aime pas que ces gens-là qui arrivent ici établissent les règles.» (Entrevue à Paul Arcand)
Points saillants
> 71% donnent un fort appui au projet de Charte du gouvernement.
> 88% croient que la religion catholique devrait avoir un «statut spécial».
> 74% sont d'avis qu'il y a trop d'immigrants au Québec.
> 56% sont satisfaits du gouvernement Marois.
> La plupart vivent en région, ils sont surtout francophones et un peu moins scolarisés que l'ensemble de la population.
À l'aune de la religion, les «pure laine» marquent le coup, sans équivoque. Ils sont à 71% derrière le projet de Bernard Drainville. Pourquoi? Plus de 73% d'entre eux croient que la religion catholique est menacée. En fait, trois personnes sur quatre dans ce groupe jugent qu'il y a trop d'immigrants. Et 9 répondants sur 10 pensent que la religion catholique devrait avoir un «statut spécial au Québec, puisqu'elle fait partie de notre patrimoine». Ces «catholiques pure laine» constituent le principal appui au projet de charte. «La majorité des appuis vient d'un groupe précis.» Les deux tiers de ce groupe sont favorables à l'interdiction du port de signes religieux ostentatoires. Ils appuient tout du projet de charte, sauf le droit de retrait. «Pour eux, cela ne va pas assez loin», résume le sondeur.
Le «croyant tolérant»
(29% de la population)
Je crois en Dieu... et en la liberté religieuse.
Archétype selon CROP:
Raymond Gravel, prêtre et ex-député bloquiste
«Que l'État soit neutre est une bonne chose, mais les personnes qui y travaillent ne peuvent être neutres! Elles peuvent appartenir à différentes communautés dont elles se distinguent par un signe ou un symbole religieux. En quoi ces personnes menacent-elles la neutralité de l'État?» (Extrait d'une lettre publiée dans La Presse)
Points saillants
> Ils sont deux fois moins favorables à
la charte que l'ensemble de la population.
> Ils sont opposés à l'interdiction des signes religieux ostentatoires.
> 62% d'entre eux croient qu'il y a trop d'immigrants.
> 69% d'entre eux sont insatisfaits du gouvernement.
> Ils sont surtout francophones et libéraux; ils se perçoivent comme canadiens avant tout.
Un groupe «intéressant», observe M. Rivest, une cohorte «pour qui la religion est importante, et pour qui la liberté d'afficher sa foi est nécessaire. Ce qui les caractérise, c'est la religiosité. Ce sont des gens pieux, mais pas nécessairement catholiques.» Massivement, ils estiment que tout ce débat autour de la laïcité n'est qu'un écran de fumée pour éviter de parler d'enjeux plus importants.
Les allophones sont surreprésentés dans cette catégorie, qui compte pour le tiers des opposants au projet de Charte du gouvernement.
Le «laÏc ouvert»
(21% de la population)
Il est ouvert aux différences. Non pratiquant, il accepte l'expression de la religion des autres.
Archétype selon CROP:
Louise Harel, ex-ministre rendue sur la scène municipale
«On peut légiférer des droits, on peut légiférer des obligations. La bonté, l'hospitalité et la fraternité, ça ne se légifère pas!»
(Entrevue à C'est pas trop tôt)
Points saillants:
> 93% croient que le port des signes religieux devrait être libre; ils sont très opposés à l'interdiction du port des signes religieux.
> 79% sont insatisfaits du gouvernement Marois.
Ces «laïcs ouverts» se mesurent mieux à leur ouverture à l'immigration qu'à leurs convictions religieuses. Pour eux, la liberté de religion passe par la possibilité pour un individu d'afficher sa foi, de porter des signes religieux. Très majoritairement, à 85%, ils estiment que l'État doit être laïque, et seulement 41% d'entre eux, bien moins que la moyenne des répondants, estiment «appartenir» à une religion. Les «urbains» y sont sur-représentés. Dans ce groupe, on trouve plus de femmes, d'anglophones et de personnes généralement plus scolarisées.
Le «laïc fermé»
(21% de la population)
Pour lui, la religion relève uniquement de la sphère privée.
Archétype selon CROP:
Guy Rocher, sociologue
«La laïcité, point! Si on est obligé d'ajouter un adjectif, cela prouve qu'elle est incomplète ou affaiblie.» (Entrevue publiée dans La Presse)
Points saillants:
> 57% d'entre eux appuient la Charte.
> 66% sont pour l'interdiction de signes religieux visibles.
> Ils ne croient pas que la religion catholique devrait avoir un statut spécial (22% seulement d'appui à cet énoncé).
> Ils se partagent surtout entre le PQ et la CAQ - seulement 13% sont au PLQ.
Seulement 1 laïc fermé sur 10 juge que la religion est importante. Pour eux les néo-Québécois devraient s'intégrer davantage. Ils pensent que la Charte doit établir la neutralité religieuse; seulement une personne sur quatre accepte de permettre aux villes, aux hôpitaux et aux universités de se retirer de l'emprise de la future Charte Le «laïc fermé» est plus souvent un homme et on le retrouve surtout dans les couronnes de Montréal. Neuf fois sur dix, il est francophone.
Un appui massif si...
Quand Bernard Drainville met son projet de charte des valeurs sur la table, les Québécois se divisent en apparence en deux camps bien distincts.
Les Québécois sont donc partagés, «mais les gens qui sont contre, très défavorables, sont bien plus susceptibles d'être mobilisés», observe Youri Rivest, vice-président de CROP. Or, bien que l'écart, dans l'ensemble, paraisse ténu (45% de répondants défavorables contre 42% de supporters du projet), on constate que 30% des Québécois sont dans le camp des gens profondément hostiles à la Charte, soit deux fois plus que ceux qui y adhèrent sans réserve.
Une piste pour sortir du guêpier? Le gouvernement pourrait mettre de côté son projet d'encadrement des signes religieux ostentatoires, car cette volonté plombe clairement l'appui général au projet, observe M. Rivest. «Si cet élément n'était pas là, on peut penser que la Charte aurait l'appui d'une majorité claire de Québécois», estime-t-il.
L'interdiction du port de signes religieux ostentatoires n'obtient l'adhésion que de 42% des répondants - exactement le taux d'appui général qu'obtient l'ébauche du projet de charte.
Méthodologie
Crop a sondé 1000 internautes membres de son panel web, du 12 au 15 septembre derniers. Les résultats ont été pondérés selon l'âge, la région, la langue maternelle et le niveau de scolarité. Puisqu'il s'agit d'un échantillon non probabiliste (le choix des répondants n'est pas aléatoire), ces enquêtes ne comportent pas de marge d'erreur.
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