Québec — Jean Charest a vivement nié hier que l'influence du holding Power Corporation l'ait conduit à adoucir ces critiques à l'endroit des politiques énergétiques du gouvernement Harper, en 2009, lors de la conférence sur les changements climatiques à Copenhague. Ce n'est pourtant nul autre que l'ambassadeur des États-Unis au Canada, David Jacobson, qui a émis cette hypothèse dans un câble diplomatique secret, daté de décembre 2009, intercepté par WikiLeaks et révélé par Le Devoir hier (voir les extraits).
Avant la période de questions, M. Charest s'est présenté devant les médias et a lancé que le journaliste du Devoir signataire de l'article d'hier «aurait dû compléter sa recherche» en citant un autre reportage, aussi publié dans nos pages, mais le 13 janvier 2010, soit quelques semaines après la conférence de Copenhague. Le titre en était «Charest repasse un savon à Harper»: «Vous vous souvenez de ça? Je vais vous lire ce que l'article disait parce que je trouve ça bon, moi», s'est amusé le premier ministre.
Cherchant à démontrer que sa position sur les changements climatiques n'avait pas bougé d'un iota, il a lu de longs passages de ce reportage de janvier 2010 pour rappeler ce qu'il avait déclaré alors, aux côtés de M. Harper: «Il n'y a pas une chose que je changerais dans ce que j'ai fait et dit à Copenhague. Pas un mot.»
Les deux premiers ministres s'étaient rendus dans le Bas-Saint-Laurent pour annoncer un projet de production de méthane à partir de déchets organiques: «Si parler et défendre les intérêts du Québec, ça dérange du monde, bien, tant pis», avait alors lancé Jean Charest en réponse à une question d'un journaliste. Il avait par la suite ajouté: «Quand le premier ministre s'exprime au nom de tous les Québécois sur un enjeu comme celui-là [les changements climatiques], je ne vois pas pourquoi on lui reprocherait de défendre les intérêts du Québec. Et je n'ai aucune inhibition, aucune réticence, peu importe l'endroit où je me trouve, que ce soit à Cacouna ou à Copenhague, sur ces questions-là; je tiendrai le même discours au nom de tous les Québécois.»
Croisé dans le couloir du parlement après la période de questions, Jean Charest a martelé qu'il gouvernait «en fonction des intérêts du Québec. Point à la ligne». À un journaliste de Quebecor, M. Charest a demandé si la question de l'influence pouvait se poser «pour les Péladeau aussi», faisant référence aux dirigeants du conglomérat. Par la suite, il a repris son explication: «Moi, je vous dis qu'on gouverne en fonction des intérêts du Québec et que ça, c'est sacré. On gouverne en fonction des intérêts propres des Québécois. Il n'y a pas un individu ou une famille qui a une influence sur les affaires du Québec. On gouverne en fonction de nos intérêts supérieurs. Et c'est vrai pour M. Péladeau et c'est vrai pour M. Desmarais.»
Pas plus d'influence
Commentant lui aussi l'affaire, le ministre des Finances Raymond Bachand a soutenu «que la famille Desmarais n'avait pas plus d'influence que d'autres entreprises, chef syndical ou d'autres groupes de pression. Ils ont tous droit à leur opinion. Nous, on gouverne pour le bien public».
La chef de l'opposition Pauline Marois s'est pour sa part montrée prudente, hier, se limitant à dire: «C'est l'ambassadeur américain [...] qui donne son point de vue, et, moi, je crois qu'il faut être très vigilants.» En anglais, Mme Marois a ajouté: «Je ne parlerais pas de M. Desmarais et de Power», préférant souligner les influences avérées de l'industrie des gaz de schiste sur le gouvernement: «La démonstration a été faite» puisque «plusieurs anciens collaborateurs du gouvernement libéral, du Parti libéral et des membres du Conseil des ministres se retrouvent maintenant au sein de cette industrie», a-t-elle déclaré.
Par la suite, lorsqu'un journaliste lui a demandé pourquoi elle semblait avoir «peur» de parler de l'influence de Power Corporation et de Paul Desmarais, Mme Marois a semblé troublée et a mis fin à la conférence de presse.
Lors de la période de questions, l'opposition officielle a soutenu que les informations du Devoir s'ajoutent à plusieurs autres éléments où l'influence financière a pesé sur les décisions du gouvernement Charest: «Dans le scandale des garderies, la nomination par le premier ministre du député de LaFontaine comme ministre de la Famille a-t-elle été influencée par le collecteur de fonds Donato Tomassi?» a lancé la critique péquiste en matière de famille, Carole Poirier.
Aux dires d'Amir Khadir, le câble diplomatique révélé par Le Devoir prouve qu'«un affairisme d'État s'est installé au pouvoir au Québec». Ainsi, il faut selon lui «de toute urgence relire Adam Smith», père de la pensée libérale économique qui soutenait que «l'intérêt particulier de ceux qui exercent une branche particulière de commerce ou de manufacture est toujours, à quelques égards, différent et même contraire à celui du public». Smith concluait que «toute proposition d'une loi nouvelle ou d'un règlement de commerce qui vient de la part de cette classe de gens doit toujours être reçue avec la plus grande défiance et ne jamais être adoptée qu'après un long et sérieux examen, auquel il faut apporter, je ne dis pas seulement la plus scrupuleuse, mais la plus soupçonneuse attention».
Europe
Par ailleurs, dans son éloge de messieurs Paul Desmarais fils et André Desmarais prononcé le 17 juin 2009 alors qu'il leur remettait l'insigne d'officier de l'Ordre national du Québec, M. Charest avait souligné que ces derniers avaient «contribué de manière significative au lancement des négociations d'un nouveau partenariat entre le Canada et l'Union européenne». C'est là un projet dont M. Charest s'est fait un ardent défenseur depuis l'été 2007.
Dans une rare entrevue accordée au magazine Le Point en France, en juin 2008, Paul Desmarais père avait déclaré: «Essayons d'avoir un marché commun entre l'Europe et le Canada. Si la France pousse, l'Europe suivra. La Chine, l'Inde, l'Amérique du Sud vont donner du fil à retordre à l'Amérique du Nord et à l'Europe. Il faut nous unir pour sauver notre peau.»
Charest nie être influencé par Power Corporation
«Il n'y a pas un individu ou une famille qui a une influence sur les affaires du Québec»
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