L’enfer, dit l’adage, est pavé de bonnes intentions.
Ainsi, cette idée des barreaux du Québec et de Montréal d’intenter un recours judiciaire à l’encontre de l’État du Québec, notamment afin de faire déclarer que « toutes les lois ainsi que tous [ses] règlements et décrets qui n’ont pas été adoptés selon les exigences de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 sont inconstitutionnels ».
Selon ces barreaux, pour que les lois du Québec soient constitutionnellement valides, le français et l’anglais doivent être simultanément utilisés durant tout le processus d’adoption des lois, ce qui, à leurs dires, ne serait pas le cas.
Par conséquent, l’ensemble du corpus législatif du Québec serait inconstitutionnel, inopérant et invalide.
Or, que prévoit l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 ?
Pour le savoir, il faut se référer à la version anglaise de cette disposition, la seule qui soit officielle au Canada : « [...] The Acts of Parliament of Canada and of the Legislature of Quebec shall be printed and published in both those [English and French] Languages. »
Puisqu’une version française de cette loi a été déposée au Parlement du Canada en 1990, mais n’a pas encore été promulguée, et considérant que le défaut de fournir une Constitution du Canada entièrement bilingue mine la primauté du droit et l’accès à la justice, l’Association du Barreau canadien adopta, le 16 février 2018, une résolution1 qui exhorte le gouvernement du Canada « à respecter les obligations imposées au titre de l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982 pour que soient donnés la pleine vigueur et plein effet à l’intégralité de la Constitution, dans les deux langues officielles ».
Il est pour le moins étonnant que nos barreaux s’appuient sur une loi unilingue anglaise afin de tenter de faire déclarer inconstitutionnel l’ensemble du corpus législatif du Québec qui est pourtant bilingue depuis des lustres, sans tenir compte de la constitutionnalité même de la loi fondamentale du pays à ce chapitre.
Pas la voie à privilégier
Néanmoins, l’intention de faire en sorte que nos lois soient linguistiquement cohérentes est louable.
Me Paul-André Crépeau, alors président de l’Office de révision du Code civil (ORCC), avait l’occasion de rappeler que, lors de la rédaction du Projet de Code civil de l’ORCC (antérieur au Code civil du Québec), « [l] on a voulu que les deux versions fussent rédigées de telle façon que l’une ne soit pas une simple traduction de l’autre, mais bien que chacune s’exprime selon le génie propre de la langue utilisée. Et combien de fois, dans la confrontation des textes, n’a-t-on pas pu constater qu’il fallait remettre sur le métier un texte, tantôt français, tantôt anglais, car l’on se rendait compte que l’idée des rédacteurs avait été mieux exprimée dans une langue plutôt que dans l’autre2 ».
Voilà, certes, l’idéal que l’on se doit d’atteindre dans la rédaction d’un corpus de lois bilingue. Mais de là à intenter un recours judiciaire visant à faire invalider l’ensemble des lois du Québec ? Avec égards, cela n’est pas la voie à privilégier.
Engorgement des tribunaux
Depuis l’adoption du nouveau Code de procédure civile, les barreaux furent les apôtres de l’avènement d’un nécessaire « changement de culture » au sein de la profession, qui ferait en sorte que les avocats contribueraient au désengorgement des tribunaux, au règlement non judiciaire et économique des litiges.
Dans cet esprit, nous souhaitons que nos barreaux prêchent par l’exemple : qu’ils se désistent de leur recours judiciaire et qu’ils convainquent plutôt le gouvernement du bien-fondé de leur démarche.
Aussi, que le gouvernement du Québec remanie le processus de rédaction législative afin d’en assurer la cohérence à tous les égards, en promulguant l’entrée en vigueur de la Loi sur l’Institut québécois de réforme du droit, RLRQ c. I-13.2.1, adoptée depuis 1992 lors de la réforme du Code civil du Québec, en le dotant d’un budget correspondant à sa mission, afin de soumettre, annuellement, au ministre de la Justice des « propositions de réforme et de développement du droit, notamment par l’adaptation du système juridique aux besoins de la société, par la simplification, la codification et l’harmonisation des règles de droit, et par l’humanisation des institutions liées à l’administration de la justice ».
Il en va de l’amélioration constante de notre droit.
Me Antoine Leduc est docteur en droit, avocat émérite, et a été président de l’Association du Barreau canadien – Division du Québec de 2014 à 2015
1. Voir Constitution du Canada bilingue (en ligne, consulté le 21 avril 2018).
2. Paul-André Crépeau, « Les enjeux de la révision du Code civil », dans André Poupart, dir., Les enjeux de la révision du Code civil, Montréal, Faculté de l’éducation permanente, Université de Montréal, 1979, 11, 31.