De Mennel Ibtissem à Maryam Pougetoux, le voile islamique n’en finit pas de créer des polémiques de façon régulière dans notre pays. Si vous demandez à une musulmane voilée pourquoi elle porte le voile et qu’elle vous répond avec aplomb qu’elle le porte parce qu’elle en a fait le libre choix, alors vous pourrez en déduire qu’elle n’a vraisemblablement pas bien compris le sens de votre question. Qu’une action soit autorisée par la loi (ou tout du moins que la loi ne l’interdise pas) n’explique en rien sa mise en pratique régulière et systématique. Une infinités d’actions ni rationnelles ni économiques est autorisée par la loi : porter deux chapeaux sur votre tête l’un sur l’autre lorsque vous vous promenez dans la rue, manger des crêpes contenant des citrons confits, du roquefort et du chocolat, réciter l’alphabet à l’envers avant de vous endormir… Mais si vous prenez la peine d’anticiper cette réponse plus procédurale qu’intellectuelle et que vous demandez à cette même musulmane sur la défensive « Pourquoi as-tu fait le choix libre de porter le voile ? », de cette façon très précise, vous pourriez bien être surpris par ce que vous risqueriez d’entendre.
« Je porte le voile par pudeur » est une réponse possible à travers laquelle il faut manifestement comprendre que les femmes qui ne portent pas de voile auraient moins de pudeur voire aucune pudeur, en comparaison avec les femmes voilées qui les côtoient dans la rue. « Je porte le voile car c’est une prescription divine inscrite dans le Coran » est l’autre réponse possible qui rappelle qu’aux yeux du dieu en lequel croient les musulmanes, la chevelure des hommes ne pose pas de problème lorsqu’elle est exposée à l’air libre dans l’espace public. Personnellement, je pense que si Dieu avait voulu que toutes les femmes soient naturellement voilées, il aurait dû équiper l’espace entre leurs deux omoplates d’une sorte de membrane de peau extensible qu’elles pourraient rabattre à tout moment sur leur crâne, afin de se protéger des vils regards masculins (mais aussi, éventuellement, de la pluie).
Et qu’en est-il du « libre choix » de ces petites filles âgées de moins de dix ans qui sont de plus en plus nombreuses à arborer un voile sur leur tête dans les rues de la France ? Pourquoi n’entendons-t-on jamais les musulmanes adultes voilées sur ce sujet ? Les fillettes voilées d’ici ou d’ailleurs, comme tous les enfants, ne portent comme vêtements que ce que leurs parents consentent à les voir porter. Une fillette de moins de 10 ans ne peut en outre pas porter le voile par conviction, elle qui n’a pas encore le bagage moral et cognitif suffisant à son jeune âge pour adopter une conscience réfléchie optimale vis-à-vis de son rapport à Dieu ou au regard d’autrui. Elle le porte par obligation ou par mimétisme culturel. Voiler une fillette pour la protéger des regards de convoitise des hommes, cela revient quoi qu’il en soit déjà à lui faire porter la responsabilité d’un désir sexuel qui ne la concerne même pas, puisque d’un point de vue purement physiologique elle ne peut que le subir.
Le voile n’a pas la fonction technique du bonnet qui sert à se protéger du froid ou de la casquette qui sert à se protéger du soleil. Ces deux vêtements dans leur forme la plus basique sont en effet neutres idéologiquement, ils ne sont jusqu’à preuve du contraire destinés à caractériser aucun sexe en particulier et ils sont déliés de toute allégeance religieuse sur le plan symbolique. Le voile en revanche revêt une dimension politique indéniable si l’on en croit la façon dont les musulmanes justifient son usage. La pudeur, une valeur sociale, c’est de la pudeur par rapport à quelqu’un d’autre. Et l’obéissance dogmatique envers le code juridique du Coran, une autre valeur sociale, est elle aussi nécessairement tournée vers autrui, en l’occurrence vers une autorité. Par obéissance ou par pudeur, ce voile islamique demeure de surcroît un vêtement discriminant qui rend impossible pour les musulmanes qui le portent la préservation de l’intimité de la foi. Comment une musulmane peut-elle donc espérer que l’on ne devine pas quelle est sa foi religieuse alors même qu’elle arbore un vêtement qui indique aux « non-musulmans par bénéfice du doute » qui la croisent par hasard qu’elle est « assignée à l’islam par le voile » ?
Le voile islamique est un symbole de soumission machiste et patriarcal qui sert à criminaliser la beauté des femmes, mais dans notre république multiculturelle où l’intégration par un tronc commun de valeurs impérieuses n’existe plus et où seul le juridisme est roi, la stratégie victimaire des islamistes a besoin de musulmanes du quotidien qui se voilent à la télévision, dans la rue, dans les entreprises et dans les écoles. Nous qui nous plaignons de la hijabisation de la France nous serions des ennemis de la liberté qui désireraient « arracher les voiles de la chevelure des musulmanes », tandis que les musulmans qui défendent l’étendard social de cette étoffe défendraient eux « la liberté pour les femmes qui se voilent d’avoir le choix de se voiler ». Avant d’être une liberté individuelle sur le plan politique et juridique, le voile et sa multiplication dans l’espace public français sont surtout un symptôme du nouveau paradigme qui se dessine sous nos yeux. Dans des pans entiers de notre territoire où l’islam est devenu de façon durable la force culturelle dominante, la chevelure à l’air libre des jeunes femmes les plus séduisantes devient petit à petit un « trouble à l’ordre pudique ». Et face à cette réalité, le réflexe démocratique et régalien de croire que tous les enjeux politiques de notre société seraient encadrés et limités par des lois écrites est une illusion. Les territoires islamisés de notre pays qui sont fuis par les non-musulmans qui en ont les moyens financiers ne sont pas régis par un droit coranique officiel et diplomatique. Je ne comprends que trop bien ces françaises qui font le choix de s’éloigner d’un quartier où les garçons et les filles ne se mélangent pas dans l’espace public, où les terrasses de bars sont désertées par les femmes et où les femmes voilées de leur immeuble ne se parlent qu’entre elles en ponctuant chacune de leurs phrases par des invocations religieuses. L’indifférence libérale et libertaire de nos gouvernants face au voile islamique n’a trouvé aucune solution, symbolique ou légale, pour répondre à l’angoisse de toutes ces femmes qui ont remarqué que la galanterie et la mixité sexuelle s’effacent partout où le voile cache une moitié de l’humanité à l’autre.