Ayant eu la chance de les côtoyer pendant les travaux de la Commission sur les accommodements raisonnables, je ressens énormément de compassion pour Charles Taylor et Gérard Bouchard, qui ont consenti par amour pour la société québécoise un travail colossal qui est en train d'être détourné pour des fins bassement politiques.
En même temps, je m'étonne de l'étonnement manifesté par Gérard Bouchard à l'endroit de sa «famille souverainiste». La réaction de cette dernière était complètement prévisible. Car le rapport dont M. Bouchard est l'un des auteurs constitue, entre autres, un argument massue contre la pertinence du projet souverainiste. À tout le moins, il ôte aux souverainistes certains de leurs principaux arguments.
Parmi les multiples dimensions du rapport Bouchard-Taylor, il y a le constat que les Québécois se sont dotés d'institutions et d'une culture politique suffisamment fortes pour qu'ils n'aient plus à voir l'immigration comme une menace identitaire. Sous condition de certains ajustements détaillés dans le rapport, les Québécois peuvent envisager l'ouverture à l'autre sans craindre qu'elle ne représente un marché de dupes.
Qu'est-ce à dire? Premièrement, que contrairement à ce qu'ont toujours prétendu les souverainistes, notre participation à la fédération canadienne ne serait pas un obstacle à ce que nous puissions rendre notre culture publique francophone aussi stable et durable que peuvent l'être les cultures à l'ère de la mondialisation.
Deuxièmement, le rapport Bouchard-Taylor propose à la société québécoise un modèle de gestion de sa diversité interne qui est somme toute assez canadien. La principale différence entre ces deux modèles tiendrait à ce que les Canadiens privilégieraient un multiculturalisme ghettoïsant, alors que l'interculturalisme québécois insisterait sur une certaine convergence culturelle. Cette différence ne tient qu'à condition que l'on continue à croire à une vision caricaturale, reconduite dans le rapport, de ce qu'est en fait le multiculturalisme canadien. Loin d'inviter à la fragmentation sociale, le multiculturalisme canadien est et a toujours été un outil d'intégration. Le fonctionnement des institutions canadiennes en matière de multiculturalisme révèle que leurs activités sont à l'heure actuelle massivement concentrées sur la lutte contre le racisme et la discrimination. Il s'agit là d'objectifs que nous partageons au Québec, tout interculturalistes que nous soyons.
Bref, le rapport Bouchard-Taylor fait le portrait d'une société québécoise qui n'a rien à craindre sur le plan identitaire de sa participation à la fédération canadienne, et qui n'est pas si différente que cela du reste du Canada sur le plan de la gestion de la diversité. Quel serait, au juste, le problème auquel la souveraineté apporterait une solution? Doit-on s'étonner, dans ces conditions, que les souverainistes aient tout fait pour discréditer le rapport?
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L'auteur est directeur de la chaire de recherche du Canada en éthique et philosophie politique et il est professeur titulaire au département de philosophie de l'Université de Montréal. Il siégeait au comité-conseil de la commission Bouchard-Taylor.
Bouchard aurait dû s'y attendre
Commission BT - le rapport «Fonder l’avenir - Le temps de la conciliation»
Daniel Weinstock3 articles
L'auteur est directeur de la chaire de recherche du Canada éthique et philosophie politique) et professeur titulaire au département de philosophie de l'Université de Montréal.
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