La commission Bouchard-Taylor, dont le rapport final a été déposé jeudi, est née dans la tourmente de la politique partisane, plutôt que dans un calme constat auquel se serait livré le gouvernement de Jean Charest. Un constat selon lequel il y avait un problème de fond lié à la pratique des accommodements raisonnables au Québec auquel il convenait de trouver des solutions.
Ayant reçu le mandat de réfléchir à un problème qui existait davantage dans les perceptions, certes politiquement dommageables, que dans la réalité d'institutions où la pratique de l'accommodement est devenue monnaie courante, les coprésidents se sont trouvés face à un dilemme: ils pouvaient se limiter au constat que la pratique de l'accommodement se déroulait somme toute assez bien dans les institutions publiques québécoises qui ont à composer avec une importante diversité culturelle et religieuse.
Ils auraient alors prêté le flanc à l'objection de la complaisance, et du mépris des insécurités de ceux qui, regardant ces pratiques souvent de l'extérieur, ont crié sur tous les toits qu'il y avait péril en la demeure.
Ils ont rejeté cette option pour en privilégier une autre, qui a consisté à essayer de comprendre le malaise qui a mené à ce qu'un tel gouffre se soit ouvert entre la réalité de l'accommodement «sur le terrain» et les perceptions que de nombreux Québécois en avaient. Cette option, plus courageuse, était cependant truffée d'embûches que les coprésidents n'ont pas toujours su éviter, il faut bien le reconnaître, dans la production finale de leur rapport.
Le principal risque était d'embrasser trop large, et d'en arriver à mener un exercice de thérapie collective dont aucune question n'était a priori exclue.
Tous les grands enjeux
On a donc traité lors des consultations de l'automne 2007 à peu près de tous les grands enjeux de la société québécoise contemporaine: la langue française, l'enseignement confessionnel à l'école publique, l'immigration, et j'en passe. Ces questions ne sont qu'indirectement reliées à la problématique des accommodements, mais elles surgissent spontanément lorsque l'on demande à la population de parler de tous ses bobos.
Cette ouverture maximale n'est pas sans coûts sur le plan des idées. Par exemple, la discussion est passée, lors des consultations et dans le rapport, de la question des accommodements raisonnables à celle de l'immigration. Or, ces deux questions sont distinctes. Les besoins et les demandes d'accommodement surgissent de communautés installées depuis longtemps au Québec au même titre que de communautés récemment arrivées. Les protestants évangélistes qui demandent que leurs enfants n'aient pas à suivre certains enseignements jugés contraires à leurs convictions portent souvent des patronymes bien de chez nous.
Cette confusion donne lieu à un problème de perception très dommageable. On a l'impression que la question des accommodements est fondamentalement celle de la générosité d'une majorité historiquement installée envers les immigrants qu'elle accueille, et des limites de cette générosité. Or, il s'agit d'une question de droit, et elle nous concerne tous au même titre.
Le rapport contient cependant des idées auxquelles il conviendra de donner suite. Il définit notamment pour le Québec une vision fort attrayante d'une laïcité «ouverte» qui tente de tenir à bout de bras deux réactions extrêmes face à la diversité religieuse et culturelle: d'une part, la laïcité «à la française» qui bannit tout signe religieux «ostentatoire» de la sphère publique. Un regard porté sur l'état des relations interculturelles en France à l'heure actuelle suffit pour révéler les limites de cette approche. Et de l'autre, un multiculturalisme trop généreux qui ferait l'économie de toute réflexion sur les institutions nécessaires au vivre-ensemble.
La laïcité ouverte insiste sur le caractère laïc des institutions, mais reconnaît que ceux qui les fréquentent ont des identités qu'il n'est pas nécessaire de cacher. Il s'agit là d'une vision bien québécoise de la laïcité qui pourrait être un élément fondateur d'un projet de société véritablement rassembleur.
Photo Reuters
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Daniel Weinstock
L'auteur est directeur de la chaire de recherche du Canada éthique et philosophie politique) et professeur titulaire au département de philosophie de l'Université de Montréal.
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L'auteur est directeur de la chaire de recherche du Canada éthique et philosophie politique) et professeur titulaire au département de philosophie de l'Université de Montréal.
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