Boisclair ne craint pas l'homophobie

Si on ostracise le chef péquiste, l'électorat nationaliste pourrait se cristalliser, estiment un politologue et un spécialiste du marketing politique

Québec 2007 - le facteur «homophobie»


Québec -- L'homophobie ne devrait pas nuire aux chances du Parti québécois lors des présentes élections puisqu'il y a des millions de Québécois qui sont «épris d'égalité» et qui voteront pour cette formation politique. C'est ce qu'a déclaré en substance le chef du PQ, André Boisclair, qui a dû commenter hier les propos homophobes d'un animateur de radio de Saguenay.
André Boisclair a reconnu que l'homophobie existe au Québec, tout comme le racisme et la discrimination. «Je sais que les Québécois sont épris d'égalité, épris de liberté, et s'il y a des gens qui veulent amener la campagne électorale sur cette question, ce n'est pas moi qu'ils vont rencontrer sur leur chemin, ce sont des millions de Québécois qui souhaitent plus de justice et plus d'égalité», a-t-il dit au cours d'un point de presse tenu à l'école secondaire de Neufchâtel. «Quand je parle de cette façon, je sais qu'il y a des millions de Québécois qui, derrière moi, applaudissent et sont de notre côté. Ce sont ces gens-là qui vont appuyer le Parti québécois à la prochaine campagne électorale.» Ce sera aux électeurs de juger si la question de son homosexualité est un boulet pour son parti, a-t-il dit.
Comme l'a rapporté Le Quotidien de Saguenay hier, l'animateur populiste Louis Champagne s'en est pris sur les ondes de CKRS au candidat péquiste dans la circonscription de Jonquière, Sylvain Gaudeault. Le candidat n'a pas caché son homosexualité lors du lancement de sa campagne électorale mercredi. Louis Champagne a affirmé que jamais les travailleurs d'usine de la région ne voteraient pour une «tapette». Il s'est demandé si le PQ n'était pas devenu «un club de tapettes».
«C'est insultant de laisser penser que des gens qui seraient dans les régions, que des travailleurs qui travaillent en usine auraient une vision différente de ce que signifie le principe d'égalité au Québec par rapport à des gens qui vivraient dans les [grandes] villes. Je la rejette complètement, cette analyse-là», s'est insurgé André Boisclair.
Lors d'une entrevue accordée à CHOI-FM à Québec le matin même, le chef péquiste avait abordé de lui-même la question du suicide chez les jeunes homosexuels. Il a par ailleurs réagi avec humeur aux propos de l'animateur Denis Gravel, qui a qualifié les militants péquistes de «roteux de baloney», une expression inusitée du lexique vernaculaire québécois. «La vulgarité n'a pas sa place et il n'y a pas de "roteux de baloney" dans notre équipe», a-t-il répliqué, visiblement agacé.
À Ottawa, Gilles Duceppe, qui a déjà eu maille à partir avec Louis Champagne, a qualifié d'«odieux» les propos de l'animateur sur le candidat Sylvain Gaudeault. «Les Québécois sont rendus beaucoup plus loin que ça sur cette question et on le voit par des gens qui ont affirmé leur homosexualité et qui sont très populaires, qui animent des émissions, qui sont des vedettes, a dit le chef du Bloc québécois. Je ne comprends pas certaines chaînes de radio de tolérer que les gens, que leurs employés répandent des choses semblables.»
Selon Christian Dufour, politologue à l'École nationale d'administration publique (ENAP), ces manifestations homophobes pourraient favoriser André Boisclair. «L'ADQ a le vent dans les voiles. Ça libère la parole et il y a un certain radicalisme qui fait plaisir à du monde. Mais s'il y a trop de Champagne, ça peut nuire. C'est comme s'il y avait trop d'Hérouxville», a-t-il expliqué.
Christian Dufour estime qu'André Boisclair a eu tort de faire son «coming-out», de sortir du placard, comme le veut l'expression consacrée, dans l'hebdomadaire Voir en 2000 alors qu'il était ministre au sein du gouvernement Bouchard. «Ce que je n'ai pas aimé là-dedans, c'est qu'il l'a fait parce qu'il a été poussé à le faire» par les groupes de pression gais. «Ils [les politiciens] se trouvent à mettre leur vie privée sur la place publique et ils deviennent des cibles. Il y a un prix à payer pour jouer cette carte-là», juge l'universitaire.
En 2006, Robert Bernier, professeur à l'ENAP et spécialiste du marketing politique, avait procédé à une enquête qualitative, s'appuyant sur des groupes de discussion (focus groups) et surtout sur des entrevues individuelles, pour évaluer les prédispositions de l'électeur québécois à l'égard de ses leaders politiques. La personnalité d'André Boisclair, notamment son homosexualité, pourrait constituer un handicap pour le PQ en région, avait-il observé. Comme il l'avait déclaré au Devoir l'an dernier, M. Bernier estime que M. Boisclair ne passe pas la rampe. «Il est incapable de connecter avec la population», juge-t-il. Christian Dufour abondait dans ce sens hier.
Son extraction bourgeoise, ses études à Brébeuf, sa gestuelle et son débit saccadé nuisent au chef péquiste, affirme M. Bernier. Et «le fait qu'il soit homosexuel, ça vient renforcer un sentiment d'homophobie qui est présent dans certains segments de la population», notamment chez les personnes âgées, a avancé l'universitaire. «On ne peut pas refaire le monde.»
L'époque actuelle favorise l'essor des valeurs conservatrices, selon lui. «Nous sommes entrés, à la toute fin des années 90, dans un mouvement de conservatisme plus accentué», que ce soit au Québec, aux États-Unis ou même en France, a fait valoir M. Bernier. «Nous sommes dans une renaissance des valeurs traditionnelles» que Jean Charest et Mario Dumont se trouvent à incarner.
En revanche, le PQ dispose d'une base militante très solide qui pourrait fortement se mobiliser. «Si on ostracise M. Boisclair, il va y avoir un renforcement de l'identité partisane. Si ce phénomène se produit, il va y avoir une cristallisation de l'électorat nationaliste», a souligné Robert Bernier.


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