On dit d'un entraîneur de hockey dont les joueurs n'écoutent plus le message qu'il a perdu son vestiaire. Dans le cas d'André Boisclair, on devrait plutôt dire qu'il a perdu son autobus. Il est tout à fait normal que les journalistes qui «couvrent» la tournée d'un chef de parti cherchent à l'embêter. Une campagne électorale est aussi l'occasion de vérifier le sang-froid d'un homme ou d'une femme qui aspire à diriger le gouvernement et qui pourrait avoir à gérer des crises difficiles.
Il y a toujours quelques questions un peu plus corsées, mais un chef en situation de contrôle arrive néanmoins à imposer son thème du jour. Après seulement dix jours de campagne, M. Boisclair n'y arrive déjà plus. Même s'il refuse de se laisser distraire, chaque point de presse est devenu l'occasion d'une nouvelle séance de torture.
Hier, personne ne semblait plus s'intéresser à ce qu'il avait à dire sur la santé. Le dernier sondage Léger Marketing offrait plutôt un bon prétexte pour revenir sur son impopularité. Êtes-vous un boulet pour votre parti, M. Boisclair? Comment empêcherez-vous les souverainistes de déserter? Irez-vous chercher de l'aide à l'extérieur? M. Parizeau devrait-il intervenir dans la campagne?
En réalité, l'entourage de M. Boisclair avait déjà pensé à réunir non seulement MM. Boisclair et Parizeau mais également Pauline Marois et Bernard Landry sur une même scène à l'occasion du récent conseil national. On y a finalement renoncé, mais au train où les choses se dégradent, il faudra bien se résoudre à prendre les grands moyens.
On savait déjà le PQ en difficulté dans des régions comme Québec, Chaudière-Appalaches et la Mauricie. Il est encore plus inquiétant de le voir talonné, voire supplanté par les libéraux dans ses forteresses de l'est de Montréal et du Saguenay-Lac-Saint-Jean ou encore par l'ADQ dans Laurentides-Lanaudière. Il n'y a plus une seule région au Québec où M. Boisclair est considéré comme le meilleur premier ministre potentiel.
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Hier, les ténors péquistes se sont portés au secours de leur chef. M. Boisclair est «quelqu'un à découvrir», a plaidé Diane Lemieux. «Les gens ne le connaissent pas bien», a renchéri François Legault. À qui la faute? Précisément en raison de la plus grande notoriété de ses adversaires, on aurait dû multiplier les efforts pour permettre aux Québécois de le découvrir.
Certes, M. Boisclair a couru les émissions de télévision légères, mais il s'est tenu loin des tables éditoriales. Pendant des mois, des députés l'ont supplié de dévoiler des éléments de sa plate-forme afin de dissiper la fâcheuse impression qu'il n'avait aucun contenu, mais M. Boisclair considérait que son rôle de chef de l'opposition consistait uniquement à critiquer le gouvernement.
Pour se faire une idée de l'homme qu'était le chef du PQ, la population a dû se contenter de ce qu'on voulait bien lui montrer. L'an dernier, quand une étude d'un professeur de l'ENAP, Robert Bernier, spécialiste en marketing politique, avait conclu que l'homosexualité de M. Boisclair pourrait poser problème en région, Daniel Pinard avait eu le commentaire suivant: «Si ce gars-là disait quelque chose, il est fort possible que son orientation sexuelle jouerait moins.» Lui-même y voyait «l'illustration absolue du vide».
Plutôt que de reconnaître la réalité de l'homophobie, M. Boisclair et son entourage avaient tenté de discréditer M. Bernier, rappelant qu'il avait déjà travaillé pour un ancien ministre libéral... au début des années 70.
Il fallait vraiment jouer à l'autruche pour s'imaginer que la question ne resurgirait pas durant la campagne électorale. Pas plus tard qu'en mai dernier, l'ancien président de l'ADQ, Yvon Picotte, avait fait de grossières plaisanteries sur M. Boisclair lors d'un discours au conseil général de son parti. Le roi de la radio-poubelle à Chicoutimi était tout à fait digne de prendre la relève.
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À l'occasion de la Journée de lutte contre l'homophobie, en mai 2006, on avait dévoilé les résultats d'un sondage Léger Marketing auquel avaient répondu 1525 personnes provenant de toutes les régions du Canada.
Six Canadiens sur dix étaient d'avis qu'il était difficile d'afficher ouvertement son homosexualité au travail. Ils estimaient dans la même proportion que cela risquait de nuire à une carrière. Le président de Gai Écoute et de la Fondation Émergence, Laurent McCutcheon, avait conseillé la prudence à ceux qui projetaient de sortir du placard. «Il vaut mieux mesurer l'impact avant de s'engager dans cette voie», avait-il dit.
S'il y a une carrière où un homme ou une femme s'expose à tous les préjugés, c'est bien la carrière politique. Si cela peut consoler M. Boisclair, il y a pourtant eu, ailleurs au Canada, un premier ministre homosexuel à la longévité politique exceptionnelle, dont les frasques avaient de quoi faire dresser les cheveux sur la tête de tous les bien-pensants de sa province.
Je me souviendrai toujours de l'arrivée de Richard Hatfield à l'aéroport de Regina pour la conférence annuelle des premiers ministres, le 13 février 1985. La veille, une dépêche de Southam News faisait état d'une autre de ces virées qui avaient rendu le premier ministre du Nouveau-Brunswick célèbre d'un océan à l'autre.
En débarquant, il avait lancé à la sauvette à la meute de journalistes qui l'attendait de pied ferme: «Je m'excuse, mais vous comprendrez que je ne veux pas perdre mes bagages de vue.» Quatre mois plus tôt, on avait découvert 35 grammes de marijuana dans sa valise. Et ce, qui plus est, à bord de l'avion de Sa Majesté Elizabeth II, en visite officielle dans son royaume du Canada.
Dans les années 70, le Nouveau-Brunswick n'était pas précisément le Plateau Mont-Royal. «Disco Dick» l'a pourtant gouverné pendant 17 ans.
mdavid@ledevoir.com
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