PAUL JOURNET La Presse
(Pointe-du-Lac) En conférence de presse à la scierie des Frères de l'instruction chrétienne, la candidate péquiste Djemila Benhabib s'est prononcée ce matin contre le crucifix à l'Assemblée nationale.
En tant qu'«intellectuelle soucieuse de la neutralité de l'État», elle croit que l'Assemblée nationale «doit représenter la volonté du peuple». «Et le peuple n'a pas à être assujetti à une quelconque religion», a-t-elle soutenu.
Mme Benhabib, candidate dans Trois-Rivières, présentait avec Pauline Marois un projet de Charte de la laïcité. Malgré cette charte, le Parti québécois voudrait conserver le crucifix installé dans le Salon bleu par Maurice Duplessis en 1936. Il le justifierait au motif que le crucifix fait partie de notre «patrimoine historique».
C'est d'ailleurs ce qui explique le choix du lieu de la conférence de presse, a expliqué Mme Marois. «Je vois (dans ce lieu) ce qu'on veut bien illustrer. On ne renie pas notre passé. On vient toujours de quelque part. Il y a eu chez nous des institutions qui ont joué un rôle très important», a-t-elle expliqué, en référence aux religieux dans l'éducation et les soins hospitaliers.
Mme Benhabib conteste depuis quelques années l'argument du patrimoine historique pour le maintien du crucifix. Mais un candidat ne doit pas forcément partager chaque ligne d'un programme, a-t-elle expliqué ce matin. Elle dit avoir choisi «d'endosser complètement les prises de position» du PQ. Si elle veut poursuivre ce débat, elle le fera à l'intérieur du caucus.
Même si elle s'oppose au crucifix à l'Assemblée, elle croit que ce combat n'est pas prioritaire. Au contraire, elle craint qu'il n'occulte la question des accommodements religieux. «Je suis allée plus loin dans ma réflexion. J'ai dit clairement que j'étais préoccupée par le fait qu'on insiste pour retirer les symboles de la majorité, alors qu'on permettait les symboles des minorités religieuses. Par cet état de fait, on vient briser un des fondements de la démocratie, soit l'égalité de tous, en créant deux catégories de citoyens.»
Si le Québec a réussi à débattre de la déconfessionnalisation du système scolaire, on peut aussi mener ce débat «complexe et profond» dans le respect, a-t-elle conclu.
Pas de signes religieux dans la fonction publique
Mme Benhabib s'inquiète des menaces qui pèseraient sur le Québec. «Le Québec est situé dans le monde, et le monde aujourd'hui est particulièrement traversé par des courants rétrogrades. Aucune société n'est à l'abri de la régression. L'histoire de l'humanité le confirme», a-t-elle dit.
Il y a eu une «crise des accommodements raisonnables», pense Mme Marois. Les «valeurs québécoises ne sont pas négociables», insiste-t-elle.
Sa charte de la laïcité énoncerait que le Québec est «laïc» et « neutre par rapport aux croyances ou non-croyances ». Le maire de Saguenay ne pourrait donc plus commencer son conseil municipal par une prière.
La charte hiérarchiserait aussi certains droits. L'égalité entre les hommes et les femmes primerait sur la liberté de religion. Par exemple, on ne pourrait pas refuser un service public, comme un examen de conduite, parce qu'il est donné par un employé de sexe opposé.
Les employés de la fonction publique et parapublique ne pourraient plus porter de signe religieux ostensible, comme le hijab, la kippa ou le turban. Cet encadrement serait nécessaire, croit Mme Benhabib, pour ne plus « laisser à eux mêmes » les employés de l'État. Ils disposeraient désormais de critères précis pour interpréter les lois et règlements.
Le PQ va plus loin que la commission Bouchard-Taylor, qui suggérait de seulement interdire les signes religieux ostensibles pour certains représentants de l'état - les juges, les policiers, les gardiens de prison et les procureurs de la Couronne. La charte du PQ interdirait aussi ces signes religieux pour les infirmiers, les enseignants et les fonctionnaires.
La charte va aussi plus loin que le contesté projet de loi 94 du gouvernement Charest, qui a été abandonné à la dernière session parlementaire. Ce projet de loi stipulait que les employés de l'administration gouvernementale (incluant écoles et hôpitaux) devaient travailler avec le visage découvert. On ne ciblait donc que le voile intégral. Le hidjab, la kippa et le crucifix étaient permis. Les accommodements étaient autorisés, à condition de ne pas menacer la sécurité ou nuire à la communication. Le mot «laïcité» n'apparaissait pas dans le texte.
Clause dérogatoire si nécessaire, dit Marois
Mme Marois a indiqué pour une deuxième fois cette semaine qu'elle pourrait recourir à la clause dérogatoire. Après l'abolition des écoles passerelles, c'est maintenant la charte de la laïcité qui pourrait le nécessiter.
Cette charte serait adoptée « le plus rapidement possible », même si le PQ ne se donne pas d'échéancier. Elle n'est pas écrite. Il semble toutefois que les principes déjà annoncés pourraient violer des éléments de la Charte canadienne des droits et libertés, comme la liberté de religion et le multiculturalisme, stipulés dans les articles 2, 15 et 27.
«Avant de penser qu'elle puisse être contestée, nous allons la présenter, la débattre et l'adopter. Et nous nous assurerons de pouvoir la protéger le mieux possible. Si elle devait être contestée - pour l'instant, c'est une question hypothétique -, nous ferons la bataille qu'il faut», a dit Mme Marois.
Le PQ utilisera donc si nécessaire la clause dérogatoire ? «Absolument, sans aucune réserve», a-t-elle répondu.
Pour approfondir le débat : nos textes sur le manifeste des Intellectuels pour la laïcité et sur le manifeste pour un Québec pluraliste.
Legault favorable au crucifix
Le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault, s'est pour sa part déclaré favorable au maintien du crucifix à l'Assemblée nationale.
«Au Québec, ça fait partie de nos traditions, a indiqué M. Legault, qui précise être lui-même croyant. Ça fait partie de notre patrimoine. À un moment donné, on ne peut pas tout foutre ça par-dessus bord.»
Le chef caquiste se dit par ailleurs ouvert à une charte de la laïcité, mais pas aussi contraignante que celle propose par le PQ.
«Je pense que le Parti québécois va trop loin en disant que tous les employés de l'État ne doivent pas avoir de signes religieux», a-t-il résumé.
La CAQ souhaite que seuls les employés de l'État qui se trouvent dans une position d'autorité, par exemple des policiers ou des juges, soient tenus de se dépouiller de signes religieux. Cette position serapproche davantage de celle proposée par la commission Bouchard-Taylor.
- Avec Martin Croteau
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