L’ancien premier ministre Lucien Bouchard s’abusait-il en affirmant que les Québécois ne travaillent pas assez ? Chose certaine, les Québécois ne sont certainement pas ceux qui bénéficient du plus de vacances. À ce chapitre, on pourrait même croire qu’ils sont les esclaves d’un système qui fait peu de cas du repos nécessaire à chacun, au point de les considérer comme de simples pions corvéables et interchangeables.
Le projet de loi flanqué du numéro 176 que vient de déposer le gouvernement québécois laisse les salariés espérer qu’ils pourront désormais profiter d’une troisième semaine de repos payée, à condition de travailler depuis au moins trois années pour la même entreprise. Le projet doit désormais cheminer à l’Assemblée nationale, suivre les pas de la valse des consultations, des amendements et des remaniements. Pourra-t-il être adopté avant la fin de la session en juin ? Il mourra sinon au feuilleton, sur la plage abandonnée des promesses d’un plus bel été.
C’est en 1946 que la loi au Québec accorde une première semaine de vacances payée. Pour y avoir droit, l’employé doit travailler depuis une année complète. En matière de vacances, le Québec accuse alors déjà bien du retard. Dès les années 1880, dans l’Allemagne du chancelier impérial Bismarck, on considère que les travailleurs ont besoin de congés payés. La Pologne, la Norvège, la Tchécoslovaquie, le Brésil, le Mexique, pour ne nommer que ceux-là, vont emboîter le pas et garantir de tels acquis sociaux à leurs concitoyens dès le tout début du XXe siècle. À compter de l’été 1936, les Français vont jouir à leur tour de deux semaines de vacances payées.
Au Québec, il faut attendre une refonte du Code du travail en 1968 pour que se profile à l’horizon une seconde semaine de congé ! À compter de 1971, les vacances sont fixées au calendrier pour les travailleurs dits de la construction. Ces vacanciers doivent tous se lancer en même temps sur la route des vacances, provoquant des bouchons de circulation, au pays des tarifs gonflés.
En 1968, les Français avaient pour leur part obtenu une quatrième semaine de congés payés. Au début des années 1980, avec la présidence de François Mitterrand, ils vont en obtenir une cinquième. En moyenne, les Français bénéficient aujourd’hui de pratiquement sept semaines de vacances payées par année, auxquelles s’ajoute le temps accumulé au-delà de la semaine de travail, limitée là-bas à 35 heures.
On entend souvent dire que les salariés français comptent parmi les plus avantagés au chapitre des vacances. Ne serait-il pas plus juste de dire que ceux du Québec se trouvent parmi les plus désavantagés des pays industrialisés ? Qu’on y regarde seulement de plus près. Au Royaume-Uni et en Pologne, les employés bénéficient respectivement de 28 jours et de 26 jours de congés payés au minimum chaque année. En Suède : 25. Au Brésil : 22. En Belgique, ce sont quatre semaines qui sont payées, tout comme en Allemagne. À noter qu’en Allemagne, après six mois à l’emploi d’une firme, vous avez droit à vos 20 jours de repos, en plus des autres avantages sociaux. Même dans le Japon dont on nous a tant seriné que les ouvriers se tuaient à la tâche (quelle gloire idiote !), les salariés profitent depuis longtemps d’un minimum de quatre semaines de vacances. À noter que le Japon compte 15 jours fériés comparativement à 8 au Québec.
Aux États-Unis, le système social n’est pas homogène. Les données ne sont pas fixes. Mais les experts s’entendent pour dire qu’en pratique le travailleur états-unien obtient en moyenne au moins trois semaines payées.
Ces dernières années, les corps législatifs de l’Île-du-Prince-Édouard, du Nouveau-Brunswick, de l’Alberta et de Terre-Neuve-et-Labrador en sont tous arrivés à accorder trois semaines de congés annuels payés.
C’est bien après tout le monde, et comme par hasard à la veille d’une échéance électorale, que le gouvernement du Québec pense désormais à s’aligner sur ce qui apparaît comme un standard inférieur : trois semaines, à condition de conserver le même emploi au moins trois ans. En France, cette troisième semaine de vacances payées, les travailleurs l’ont obtenue sans condition en… 1956 !
L’an passé, le gouvernement Couillard s’était très mollement montré intéressé par cette troisième semaine de congé au moment où il balayait du revers de la main la possibilité d’augmenter le salaire minimum à 15 $, comme en Ontario. Ces vacances, accordées pour racheter de maigres salaires, constituent dans les circonstances une monnaie de singe devant laquelle il est difficile de ne pas faire la grimace.
Un député à Québec se trouve en vacances dès la mi-juin. Les travaux parlementaires ne reprennent ensuite qu’en septembre. Je ne néglige pas bien entendu le lourd travail que représentent, tout l’été, la fréquentation de barbecues à saveur électorale ainsi que d’autres difficiles activités de comté.