Acrimonie, tensions, invectices et bâillon au Salon bleu

«Toi ma tabarnac, attaquer des enfants à l'Assemblée nationale, c'est dégueulasse.» - Raymond Bachand


Québec — Deux périodes de questions, un bâillon, de multiples dénonciations et invectives: c'est dans une apothéose d'acrimonie et de tensions que s'est entamée hier la longue nuit du Parlement au terme de laquelle, ce matin, les travaux devaient être ajournés jusqu'au 21 septembre.
Le gouvernement Charest a attendu que la session ordinaire se termine, à 13h hier, puis a convoqué les députés de nouveau en session extraordinaire pour 15h. Son but: forcer l'adoption du projet de loi 100 qui comprend des mesures que le gouvernement juge cruciales pour la «crédibilité» du gouvernement et pour la cote de crédit du Québec, a fait valoir Jean Charest hier. C'est sous le bâillon qu'il aura donc adopté les mesures suivantes: le dégel, à partir de 2014, des tarifs d'électricité du bloc patrimonial; l'imposition d'une nouvelle taxe sur l'essence; la création d'une caisse santé financée par la contribution santé. Par le projet de loi 100, il ordonne aussi des compressions de 25 % dans les budgets de déplacement, de formation et de publicité.
Une seconde période de questions imposée en après-midi par les règles de session extraordinaire s'est terminée dans une atmosphère quasi ukrainienne, en fin d'après-midi, ce qui apparaissait de mauvais augure pour la nuit de débats à venir.
La députée péquiste Lorraine Richard, dans une question enflammée au ministre de la Santé sur l'augmentation du temps d'attente dans les urgences à Sept-Îles, a laissé entendre qu'Yves Bolduc n'attendait pas, lui, à l'hôpital. Le ministre y a vu une allusion au fait qu'un de ses enfants, récemment, a dû se rendre à l'urgence pour une fracture de la cheville. Protestant que son fils avait attendu «comme les autres», il a réclamé solennellement des excuses à Mme Richard.
La période de questions se terminait alors, mais Mme Richard, furieuse de l'interprétation de M. Bolduc, a traversé le parquet pour s'expliquer. À moins d'un mètre, Raymond Bachand, montrant du doigt la députée péquiste et s'avançant vers elle, a alors lancé: «Toi ma tabarnac, attaquer des enfants à l'Assemblée nationale, c'est dégueulasse.» Le leader péquiste Stéphane Bédard, de l'autre côté, a intimé le ministre: «Mêle-toi de tes affaires!» Pauline Marois a crié à M. Bolduc: «Elle ne l'a même pas attaqué, ton fils!» Le leader parlementaire adjoint du gouvernement, Claude Béchard, a alors saisi par le bras le ministre des Finances (qui continuait de vilipender Mme Richard) et l'a conduit vers la sortie. Lors de la reprise des travaux vers 17h, M. Bachand a cru bon de présenter ses excuses à Mme Richard.
C'est dans cette atmosphère que l'opposition a contesté la validité de la convocation en session extraordinaire, soutenant avoir été avertie à la toute dernière minute. La présidence, vers 18h, a rejeté les arguments de l'opposition, faisant valoir que la session extraordinaire avait été déclarée quelques minutes seulement après la fin de séance ordinaire, alors que la plupart des députés étaient encore dans l'hôtel du Parlement.
Marois responsable
Plus tôt, le premier ministre avait, dans son bilan de fin de session, rendu Pauline Marois responsable du mauvais climat à l'Assemblée nationale, rappelant à plusieurs reprises que la chef péquiste avait affirmé en mars avoir dû modifier sa personnalité pour se donner un «instinct de tueuse». «Ce que Mme Marois a fait dans la dernière session, je n'ai pas vu ça en 25 ans: un abus systématique de l'immunité parlementaire, a-t-il pesté. Ça a été du pur salissage de la part de Mme Marois, fait délibérément.» À une question d'une journaliste sur sa part de responsabilité à lui, il a répondu en avoir une, mais a refusé de préciser laquelle. M. Charest a soutenu n'avoir «jamais vécu, avec les chefs précédents du PQ, ce [qu'il a] vécu avec Pauline Marois», ajoutant que cette dernière était «vide de contenu».
Le gouvernement n'a pas réussi à faire adopter plusieurs projets de loi d'importance, durant cette session, dont le no 92 sur la carte électorale, le 93 sur le financement des partis politiques, le 94 sur l'interdiction du voile dans les services publics. C'est sans compter des projets de loi déposés à la toute fin de la session, le 103 sur les écoles passerelles et le 109 sur l'éthique en milieu municipal. En matinée, la ministre de la Famille, Yolande James, n'a pu expliquer en Chambre pourquoi elle n'avait pas déposé un projet de loi sur l'attribution des places en garderies, promis par son prédécesseur Tony Tomassi.
Jean Charest s'est montré particulièrement déçu du report à l'automne du projet de loi 48 créant un poste de commissaire à l'éthique et définissant un code de déontologie des élus québécois. Début juin, pour relancer le travail parlementaire sur ce projet de loi, il avait, a-t-il insisté, cédé aux deux conditions formulées par l'opposition péquiste, soit de renoncer à son salaire d'appoint de 75 000 $ venant du PLQ et d'abandonner une clause permettant à un ministre (comme l'ancien ministre du Travail David Whissell) de conserver ses actions dans une entreprise privée pouvant faire affaire avec l'État à condition qu'il se dote d'une fiducie sans droit de regard. L'opposition a fait traîner les choses et a usé de mesures dilatoires, d'«obstruction systématique» pour empêcher l'adoption de la loi avant-hier, s'est-il plaint.
«Effet Charest»
Dressant son bilan, Pauline Marois, foulard blanc au cou, a déclaré que le Québec assistait présentement à «du pur cynisme, de l'improvisation et de l'incompétence de la part» du gouvernement. À ses yeux, «depuis plusieurs mois, le Québec est paralysé et embourbé dans les scandales». Une des causes de ce problème est le refus obstiné de Jean Charest de lancer une enquête publique sur «la construction et le financement des partis politiques». «Soit il déclenche une commission d'enquête, soit il démissionne de son poste de premier ministre», a-t-elle lancé, reprenant ainsi une injonction du député de Québec solidaire, Amir Khadir.
Le leader parlementaire péquiste Stéphane Bédard, qui accompagnait sa chef, a soutenu que le premier ministre est «un homme en panique [...] littéralement en perte de contrôle qui démontre un manque de jugement profond et qui assimile sa réalité à la réalité». Selon lui, il y a un «effet Charest [...]: tout ce qu'il touche se transforme en quelque chose de pas très beau, du CHUM en passant par les dossiers ici, à l'Assemblée.»
Pour sa part, Gérard Deltell a soutenu que le gouvernement était «littéralement déconnecté des besoins des citoyens» notamment en ne déclenchant pas une enquête publique. La seule pièce législative vraiment significative de cette session, le budget, est à ses yeux un des plus «choquants de l'histoire alors qu'on est allé chercher de l'argent dans les poches du monde plutôt que de faire les efforts nécessaires auxquels les gens s'attendaient».
Quant à Amir Khadir, il a dénoncé l'entêtement du premier ministre et a expliqué le ton acerbe de ce dernier ainsi: «Il sent que c'est une fin de règne, que la sortie n'est pas loin, et qu'il n'a peut-être plus rien à perdre.»


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