Régis Soubrouillard - Marianne | Mercredi 9 Mars 2011 à 12:01
Depuis plusieurs semaines, sous les menaces de réformes anti-fonctionnaires et anti-syndicats de son gouverneur, le Wisconsin est dans la rue. Proche du Tea-Party, Scott Walker entreprend de réduire à néant le rôle de contre-pouvoir des syndicats, ce qui amène certains à voir dans cette bataille du Wisconsin un nouvel effet domino du Printemps arabe.
Tripoli sous pression, plusieurs villes chinoises en alerte. De l’autre côté de l’Atlantique, la presse américaine se passionne pour l’Etat du Wisconsin. En état de siège.
Le gouverneur républicain du Wisconsin, proche du Tea Party, fraîchement arrivé à son poste en janvier dernier, a fait adopter un projet de 140 millions de dollars de réductions fiscales pour les entreprises. Scott Walker a affirmé que ce projet contribuerait à combler un déficit évalué à 3,6 milliards de dollars américains pour le budget 2011-2013. Il a aussi défendu son projet en soutenant que délester les administrations municipales des conventions collectives leur offrirait une plus grande liberté, à l'heure où les compressions budgétaires sont légions.
Celui-ci prévoit de geler partiellement le salaire des fonctionnaires, de raboter les pensions de retraite et de couverture sociale et de laisser aux employés le choix de payer ou non des cotisations syndicales.
Un plan drastique qui remet en cause des acquis sociaux vieux de 70 ans. Des baisses de salaires, des économies certes mais surtout la fin de la possibilité pour les fonctionnaires de négocier collectivement leurs conditions de travail ainsi que leurs avantages sociaux. Des mesures, qui sitôt annoncées, ont mis plusieurs dizaines de milliers de personnes dans la rue.
Contre les syndicats, pour l'industrie pétrolière
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On entrevoit très vite les limites d’un tel raccourci, mais pour beaucoup de manifestants, ce soulèvement populaire n’est pas étranger à la vague de protestation politique qui inonde le monde arabe. Dans les slogans tout du moins…Manifestants, professeurs, ouvriers et étudiants, brandissent des pancartes sur lesquelles on peut lire : « Je manifeste comme un Egyptien », « Si l’Egypte peut avoir une démocratie, pourquoi pas le Wisconsin », d’autres exigeant le départ d’ « Hosni Walker » etc. Comme les militaires en Egypte, certains policiers et membres de la Garde Nationale ont rallié la cause des manifestants arborant des pancartes « policiers pour les travailleurs ».
Des manifestations de solidarité ont encore eu lieu ce week-end dans toutes les capitales des 50 États pour montrer la détermination des employés.
C’est que d'autres États du Midwest, dont l'Ohio et l'Indiana, se préparent également à adopter des projets de loi qui réduiraient les acquis et droits syndicaux des employés du secteur public. Comme au Wisconsin, ces mesures suscitent la contestation.
Selon le prix Nobel d’économie Paul Krugman,
« Scott Walker et ceux qui le soutiennent essaient de faire du Wisconsin, et à terme de l'Amérique, moins une démocratie qui fonctionne qu'une oligarchie du tiers monde. Qu'on les aime ou pas, en attaquant les syndicats, on menace l'un des derniers contrepouvoirs face aux milliardaires et l'un des derniers défenseurs de la classe moyenne » .
Le gouverneur, élu depuis six semaines grâce à l'aide financière des frères Koch, milliardaires hyper conservateurs, financiers du Tea Party dans l'espoir que ce mouvement abolira la réglementation en matière de pollution, veut simplement supprimer les syndicats et surtout leur pouvoir de parler au nom des salariés d'un secteur.
Le blogueur Oil Man, journaliste indépendant spécialisé dans les questions pétrolières, propose une autre interprétation, encore plus sournoise : « L’activité centrale de Koch Industries est la chimie du pétrole. Charles et David Koch, les deux frères qui dirigent le groupe, figurent parmi les toutes premières fortunes américaines. L’une des dispositions du plan du gouverneur Scott Walker prévoit que celui-ci pourra privatiser sans condition « toute usine de chauffage, de climatisation et d’électricité appartenant à l’Etat » du Wisconsin. S’en prendre aux pouvoirs des syndicats et à l’autonomie du politique en matière d’énergie : se peut-il que la stratégie des très secrets frères Koch soit cohérente ? » interroge le journaliste.
L'embryon d'un parti américain de gauche ?
Le projet de loi s'est, pour l’instant, heurté à un mur lorsqu'il a été présenté au sénat de l'État du Wisconsin. Les 14 législateurs démocrates ont fui du côté de l’Illinois promettant de demeurer à l'extérieur aussi longtemps que nécessaire. La loi du Wisconsin impose en effet un quorum de 20 sénateurs pour un vote, et les républicains ne comptent que 19 élus. Le gouverneur a dépêché la garde nationale pour les retrouver, mais les démocrates refusent pour l’instant de rentrer. La course-poursuite aux sénateurs démocrates a viré au tragi-comique lorsque le gouverneur républicain a menacé de mettre à pied quelque 1 500 fonctionnaires si les 14 sénateurs démocrates de l’État exilés en Illinois ne revenaient pas pour prendre part au vote.
Piégé par le journaliste d’un site web, qui se faisait passer pour l’un de ses partisans, Scott Walker a révélé avoir également songé à placer des « agitateurs » au sein des manifestations « afin de créer du trouble ».
Reste une donnée politique. Montés en flèche à la droite des républicains à la faveur des élections de mid-terms, une nouvelle vague d’élus politiques, souvent proches du tea-party, a pris pour cibles principales les fonctionnaires et les syndicats déjà affaiblis dans le secteur privé. Mais « là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve » disait Hölderlin. Qualifié « d’état violet » – autant républicain que démocrate - par les politologues, le Wisconsin voit aussi émerger des mouvements d’opinion qui dépassent l’offre politique traditionnellement binaire établie aux Etats-Unis. D'où l'hypothèse que la bataille du Wisconsin préfigure une nouvelle donne, voire une alternative politique. D’aucuns rappellent pourtant que c’est à Milwaukee, la plus grande ville de l'Etat du Wisconsin, qu’un certain Franck Zeidler, membre du Socialist Party of USA (SP-USA) fut élu maire dans les années 50-60. Il fut le dernier maire de gauche d’une grande ville américaine sous la bannière socialiste…
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