Dès sa victoire confirmée, le 5 juin dernier, le gouverneur républicain Scott Walker du Wisconsin a lancé le message suivant : « Ce soir, nous disons aux gens du Wisconsin, du pays et du monde entier que les électeurs veulent vraiment des leaders qui se tiennent debout et prennent des décisions difficiles ».
Ce message, n'en doutons pas un seul instant, a été reçu, 5 sur 5, comme un encouragement à aller de l'avant non seulement par les politiciens républicains des États-Unis, mais également par nos Stephen Harper, Jean Charest et Régis Labeaume. La vague antisyndicale qui déferle sur l'Amérique du Nord vient de prendre son deuxième souffle.
Ce message interpelle également les syndicalistes, les étudiants et les progressistes québécois qui ne manqueront pas de subir les contrecoups de cette importante défaite syndicale et politique.
Une lutte aux ramifications internationales
La charge initiale de cette vague antisyndicale a été lancée dans le premier numéro de l'année 2011 de la revue britannique The Economist, la bible des milieux d'affaires à travers le monde, qui titrait en page frontispice : « The battle ahead, Confronting the public-sector unions » (La bataille à venir, confrontation avec les syndicats du secteur public).
Quelques mois plus tard, The Economist avait salué l'adoption des législations antisyndicales par le gouvernement Walker avec ce titre : « Les élections, ça compte! »
Aujourd'hui, au lendemain du scrutin, The Economist pavoise. Il affirme qu'il est « culturellement significatif que le premier État à avoir permis la négociation collective, le berceau du American Progressive Movement, ait échoué à battre l'antisyndical Scott Walker ».
Bref rappel
Rappelons brièvement quelles ont été ces « décisions difficiles » auquel fait référence le gouverneur Scott Walker. Peu après son élection, en 2011, il impose, entre autres, aux syndicats de la fonction publique une loi qui limite leur droit à la négociation collective aux salaires (et tout dépassement de l'indice du coût de la vie doit faire l'objet d'un référendum), supprime la perception automatique des cotisations syndicales et oblige la tenue d'un vote syndical tous les ans pour valider la « légitimité » des accréditations.
Rapidement, les organisations syndicales du Wisconsin répondent par une mobilisation sans précédent. Jusqu'à 150 000 personnes défilent dans les rues de la capitale, Madison, et des manifestants ont même occupé le Capitole pendant plusieurs jours.
À ce moment-là, à l'invitation du SPQ Libre, la secrétaire-générale pour le Wisconsin de la grande centrale syndicale AFL-CIO, Stephanie Bloomingdale, est venue au Québec rencontrer des leaders syndicaux pour expliquer les enjeux de cette bataille qui dépassent largement le cadre du Wisconsin.
Elle a raconté comment les syndicats avaient mené la bataille sur deux fronts, le front syndical avec la mobilisation de masse, et le front politique.
Les syndicats ont, en effet, mené une guerre de tranchées au Capitole avec leurs alliés démocrates, allant même jusqu'à envoyer 14 sénateurs démocrates se réfugier dans l'État voisin pour empêcher, faute de quorum, l'adoption de la loi. Néanmoins, celle-ci fut quand même adoptée par suite de manoeuvres irrégulières.
Puis, pour faire déclarer la loi anticonstitutionnelle, les syndiqués et les progressistes ont mené campagne pour faire élire une progressiste à la Cour suprême de l'État, ce qui aurait donné un avantage de 4 contre 3 aux progressistes. Le soir de l'élection, ils fêtaient une victoire remportée par 104 voix. Le lendemain, un recomptage les en privait!
Restait un ultime recours, la destitution du gouverneur en recourant à la procédure du « Recall ». Plus de 900 000 signatures furent recueillies alors que loi en exigeait 540 000.
Alors, que s'est-il passé pour que Scott Walker recueille mardi dernier 53% des suffrages? Avant d'aborder la question, il faut mesurer les véritables enjeux de cette confrontation.
L'enjeu central : le pouvoir
Dans sa chronique du New York Times du 20 février 2011, intitulé Wisconsin Power Plan, l'économiste progressiste Paul Krugman, prix Nobel d'économie, a mis le doigt sur l'enjeu fondamental de la confrontation.
À ses yeux, l'argument du déficit budgétaire, invoqué par le gouverneur du Wisconsin, était fallacieux, la preuve étant qu'il proposait, en même temps, une diminution d'impôt pour les mieux nantis et que les syndicats s'étaient montrés prêts à des concessions.
« L'enjeu, écrit Krugman, n'est pas le budget, mais le pouvoir ». Il rappelle que, si, en théorie, chaque citoyen est égal dans le processus politique, il en va autrement en pratique. « Les milliardaires peuvent compter sur des armées de lobbyistes; ils peuvent financer des instituts de recherche qui feront valoir leur point de vue sur les sujets d'actualité; ils peuvent alimenter les caisses électorales des politiciens favorables à leur point de vue ».
Krugman ne pouvait si bien dire. C'est exactement ce qui s'est produit. Selon le New York Times, les Républicains ont bénéficié d'une monstrueuse cagnotte record de 30 millions $, soit 7 fois plus que les Démocrates avec leurs 4 millions $. Plus de 70% de l'argent ramassé par Walker venait de l'extérieur de l'État.
Au coeur de ce financement, on retrouve le 1% décrié par le mouvement Occupy Wall Street, et plus particulièrement les frères David et Charles Koch, des multimilliardaires américains qui versent des millions à des think tank de droite comme la Heritage Foundation, le Cato Institute - qu'ils ont fondé -, et qui soutiennent par leurs dollars les activités du mouvement Tea Party.
Premières leçons
Dès le lendemain du scrutin, des publications progressistes américaines ont commencé à tirer les premières leçons de cette défaite. La revue The Nation mentionne évidemment la législation américaine qui permet aux corporations de dépenser sans limites dans les campagnes électorales, mais souligne également la sophistication de la campagne républicaine.
Les progressistes ne pourront jamais bénéficier d'autant d'argent. Se pose alors la question, selon The Nation, de savoir « comment l'argent sera dépensé ». La revue questionne la teneur des messages publicitaires, trop axés à diaboliser Scott Walker, et pas assez à présenter les véritables enjeux syndicaux.
Plus fondamental encore, des militants interviewés par The Nation, déclarent qu'on a « trop dépensé d'argent pour des pubs télé, pas assez pour le travail terrain ».
Nous sommes convaincus que nos camarades de l'AFL-CIO, avec le pragmatisme qui les caractérise, pousseront plus loin l'analyse. Une fois leur bilan terminé, le SPQ Libre invitera à nouveau Stephanie Bloomingdale à venir nous en présenter les grandes lignes.
Des leçons pour le Québec
Déjà, la défaite des syndicalistes et progressistes du Wisconsin est riche d'enseignements.
Premièrement, elle démontre que, malgré des mobilisations populaires sans précédent, le rapport de forces reste favorable au Grand Capital. La vidéo sur Sagard rendue publique par Anonymous nous rappelle que nos principaux tireurs de ficelles, la famille Desmarais et ses larbins, n'ont rien à envier aux frères Koch.
Deuxièmement, la véritable bataille se mène sur le terrain politique, particulièrement électoral, et elle est beaucoup plus complexe à organiser que des manifestations, aussi imposantes soient-elles. Selon des sondages, rapporte The Nation, un tiers de l'électorat s'identifiant comme venant d'une « famille de syndiqués » a voté pour Scott Walker!
Pour battre notre Jean « Scott Walker » Charest, lors des prochaines élections, il faudra ratisser large et cela demande, en plus d'une présence active sur le terrain, des alliances entre les différentes forces d'opposition.
Tant du côté de la direction du Parti Québécois que de Québec solidaire, on a malheureusement rejeté du revers de la main les propositions de Pierre Curzi et du SPQ Libre en faveur d'une coalition électorale. Ces dirigeants sont-ils prêts à assumer les conséquences d'une réélection du gouvernement Charest?
Aux militants de ces partis, aux syndicalistes, aux progressistes et aux étudiants, qui subiront les conséquences hautement prévisibles et désastreuses de cette éventuelle réélection de Charest, de les ramener à l'ordre.
Au Wisconsin, la victoire de la droite est analysée à travers le prisme de la prochaine campagne présidentielle. « L'enjeu, c'est le pouvoir », comme l'écrivait Paul Krugman.
Au Québec, l'enjeu de la prochaine élection est clair pour les forces fédéralistes : bloquer l'élection d'un gouvernement du Parti Québécois pour empêcher coûte que coûte la tenue d'un nouveau référendum.
Du côté de l'opposition, les choses sont moins claires. Au Parti Québécois, on ne semble pas réaliser qu'il faut faire preuve d'audace et d'ouverture si on veut mobiliser ces milliers et milliers d'abstentionnistes, dont dépend la victoire, comme vient de le rappeler Pierre Curzi.
Du côté de Québec solidaire, la direction et certains militants semblent s'enivrer de « fantasmes insurrectionnels » ou se voient surfer sur une nouvelle « vague orange », comme prolongement de la mobilisation étudiante, au point d'en oublier l'abc de la politique.
Ils devraient méditer sur le fait qu'une des premières conséquences de la dernière « vague orange » a été l'élection d'un gouvernement conservateur majoritaire, car plusieurs députés conservateurs de l'Ontario doivent leur victoire à la division du vote entre Libéraux et NPD.
L'alliance de facto dans plusieurs circonscriptions et au niveau national de Québec solidaire avec Thomas Mulcair - dont ils semblent oublier qu'il est un ancien ministre du cabinet Charest - les conduit à préférer une victoire du Parti Libéral à une victoire du Parti Québécois!
Nous invitons donc les militants syndicaux et politiques à prendre la mesure de la défaite syndicale et politique au Wisconsin avec ses conséquences et ses leçons pour le Québec.
Faites parvenir vos commentaires à
info@spqlibre.org
Défaite syndicale et politique au Wisconsin
Des leçons pour le Québec
La vague antisyndicale qui déferle sur l'Amérique du Nord vient de prendre son deuxième souffle.
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