L’affirmation: «On dit 46 fois dans le texte [du Pacte de Marrakech sur les migrations] : “Nous nous engageons à...” Ça, ce n’est pas non contraignant», a dit André Sirois, avocat auprès de l’ONU et ancien conseiller juridique de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, sur les ondes de QUB cette semaine. À ses yeux, le Pacte «impose aux pays qui acceptent déjà des migrants […] d’en faire plus pour les immigrants» et pourrait «forcer le Canada à accepter toute la misère du monde». Les propos de Me Sirois ont été rapportés sur toutes les tribunes de Québecor. Il a aussi signé des lettres ouvertes dans Le Devoir et dans La Presse, en plus d’accorder une entrevue à Radio-Canada. Alors, voyons si sa lecture des choses est partagée par d’autres juristes, ou si les médias québécois ont donné une très grande place à une interprétation marginale.
Les faits
Le Pacte de Marrakech, qui doit en principe être adopté la semaine prochaine à l’assemblée générale de l’ONU, est décrit par ses défenseurs comme étant «non contraignant» pour les États signataires — ce qui signifie qu’un gouvernement qui en dérogerait ne ferait face à aucune conséquence. Et le fait est que le texte lui-même est explicite à cet égard. Son paragraphe 7 indique qu’il «établit un cadre de coopération juridiquement non contraignant», et son paragraphe 15c «réaffirme le droit souverain des États de définir leurs politiques migratoires nationales».
Tous les juristes consultés par Le Soleil — Stéphane Beaulac, de l’Université de Montréal, ainsi que Charles-Emmanuel Côté et Julia Grignon, de l’Université Laval — s’entendent sur ce point. Le fait que ses signataires «s’engagent» à diverses choses ne rend pas le texte plus contraignant, assure Mme Grignon, car «il y a plein d’autres documents et résolutions de l’ONU où les États se disent “préoccupés” et “résolus à agir”, mais ça ne les rend pas contraignants pour autant».
Les traités comme des accords de libre-échange, et les conventions, comme la Convention de Genève, viennent avec des contraintes pour les États signataires. Le Pacte sur les migrations ne sera rien de plus qu’une résolution de l’ONU — et ces résolutions ne sont pas contraignantes.
Cela dit, nuance tout de même M. Beaulac, cela ne veut pas dire «que le Pacte ne peut pas avoir d’impact juridique sur le droit interne, y compris au Canada et au Québec. [...] Un fonctionnaire et, ultimement, un ou une juge pourrait se référer au Pacte afin d’aider à résoudre un problème lié à l’interprétation et l’application de la loi et/ou réglementation de droit interne; dans ce cas, le Pacte constituerait un élément «pertinent et persuasif» dans la considération du dossier en droit interne».
Ainsi, dit M. Beaulac, «les engagements pris par le Canada dans ce document [en l’occurrence, donner accès aux services de base, prévu à l’objectif 15 du Pacte] pourraient devenir pertinents en droit interne, par rapport à [un] dossier précis […tel que] une question relative à un migrant illégal ou demandeur d’asile [par exemple avoir droit ou non aux garderies subventionnées au Québec, pendant l’étude de son dossier]».
Ses collègues de l’Université Laval en conviennent, mais tous deux soulignent que l’effet, s’il y en a un, ne pourra pas être grand. Un juge ne pourrait s’appuyer sur le Pacte de Marrakech que s’il doit interpréter une loi — dans les cas où la loi est déjà claire, le Pacte ne pourrait avoir aucune influence, dit M. Côté. En outre, les tribunaux resteront libres de s’inspirer ou non de ce document, rien ne les y obligera. «Alors au final, ce sont des effets qui sont assez faibles, je dirais», résume M. Côté.
Celui-ci estime enfin que les propos de Me Sirois sont «un peu charriés», alors que sa collègue Grignon en qualifie certains passages de carrément «grotesques». «C’est une contre-vérité grave de laisser penser à la population qu’on va se faire envahir à cause de ce Pacte», dénonce-t-elle.