Voulez-vous bien me dire pourquoi, dans une société où on veut tout vendre
moins cher, le savon, les habits, la vaisselle, les patins de hockey, il
faudrait vendre l’électricité plus chère qu’elle ne nous coûte en réalité?
Si la logique selon laquelle les Chinois acceptent de se serrer la
ceinture, de polluer leur air, leurs lacs et leurs rivières pour vendre
leurs bébelles moins chères dans nos magasins «Tout à un dollar» est bonne
pour les consommateurs nord-américains, pourquoi ne pourrions-nous pas
faire collectivement le choix de payer notre électricité à un prix
raisonnable, d’avoir des garderies subventionnées qui font que celles qui
veulent aller travailler puissent le faire, d’avoir des universités
accessibles aux plus pauvres et à la classe moyenne grâce à des droits de
scolarité qui n’obligent pas les étudiants de travailler plus de 10 heures
par semaine ?
Dix heures par semaine, c’est Claude Corbo lui-même qui avait suggéré cela
au milieu des années 1990. Voter une loi qui interdirait aux étudiants de
trop travailler pour qu’ils consacrent plus de temps à leurs études. Il
suggérait qu’on supporte un peu plus nos enfants, quitte à ce qu’ils
travaillent moins, afin qu’ils soient plus nombreux à étudier et qu’ils
étudient plus et mieux. Les éditorialistes du Devoir et de la Presse
s’étaient alors empressés à applaudir la lucidité de l’homme et
l’intelligence de sa suggestion. Si nos étudiants travaillaient moins, ils
consacreraient plus de temps à leurs études, ils réussiraient mieux, plus
vite et tout le monde serait gagnant.
Les mêmes éditorialistes nous disent aujourd’hui que nos étudiants
devraient travailler plus, beaucoup plus d’heures par semaine, pour se
payer moins de bébelles et consacrer plus d’argent à leurs études. Pas du
temps, de l’argent, parce qu’il serait injuste que l’argent des impôts déjà
payés par leurs parents de la classe moyenne serve à payer leurs études !
On est loin de cette maxime de nos aïeux qui disait que le temps, c’est de
l’argent. Nos dirigeants veulent de l’argent, toujours plus d’argent pour
des services qu’on paie déjà généreusement avec nos impôts.
En fait, je parle des impôts de la classe moyenne, pas de ceux des riches,
parce que c’est bien connu, les vrais riches sont riches parce qu’ils ne
paient pas d’impôt. Ils se font plutôt donner des subventions, des prêts
sans intérêt et rembourser de l’impôt qu’ils n’ont pas payé pour des
investissements qu’ils ont faits avec notre argent dans le pétrole de
l’Alberta, les gisements off shore, le cinéma, et même pour récupérer leurs
pertes dans les subprimes. Cependant, ces mêmes riches, qui ne paient rien,
acceptent avec leur grande magnanimité que les plus pauvres puissent
continuer à profiter de la manne de l’État, qu’ils puissent aller à
l’université sans que ça leur coûte trop cher. Une belle gang: tout le
monde sait qu’il n’ y en a pas de pauvres à l’université ! Ils ont déjà de
la misère à se nourrir et à se loger, comment voulez-vous qu’ils étudient
?
Si tout le monde sait que les riches ne paient pas d’impôt, il est de
notoriété publique que ce sont les enfants de la classe moyenne qui vont à
l’université. Tout le monde sait aussi que c’est l’impôt sur le fruit du
labeur des parents de la classe moyenne qui sert à payer les routes, la
santé, la sécurité sociale, les soldats, leurs armes et l’éducation. Même
si c’est leur argent qui paie tout dans ce pays, il ne faudrait tout de
même pas qu’ils exagèrent en exigeant, en plus, que l’argent sonnant qu’ils
ont déjà payé en impôt serve également à payer les études de leurs enfants
!
Dans un pays où, selon le dogme officiel, ce sont les riches qui créent la
richesse, il est normal de respecter le désir des plus riches de recevoir
plus de subventions et de prêts sans intérêt pour faire plus d’argent et
créer la richesse en délocalisant nos emplois partout sur la planète. Il
faut bien faire de l’argent si on veut créer de nouveaux emplois ! Il faut
bien créer cette richesse des riches afin de maintenir tous nos programmes
sociaux et supporter nos universités, même si tout le monde sait que ce
sont déjà les impôts de la classe moyenne qui soutiennent tous les services
de l’État, même les taxes du Centre Bell!
Justement, selon la logique des riches, pour faire encore plus d’argent et
empêcher les abus et le gaspillage des représentants de la classe moyenne,
il faudrait leur faire payer, deux fois plutôt qu’une, les services qu’ils
reçoivent de l’État. Voilà pourquoi il faut établir un juste politique de
tarifications, pour être sûr qu’ils n’iront pas trop souvent à l’hôpital,
qu’ils n’enverront pas trop souvent leurs enfants dans les garderies, et
que si leurs enfants vont à l’université, ils s’assureront qu’ils n’y
traîneront pas trop longtemps pour que ça ne coûte pas trop cher. Car le
propre d’une juste et bonne politique de tarifications, c’est de limiter la
consommation de services et recueillir le maximum de nouveaux revenus, cinq
milliards$ disent les experts.
Cet argent recueilli, on va pouvoir la donner aux plus riches, pour qu’ils
créent encore plus de richesse en délocalisant encore plus d’emplois, pour
faire encore plus de profits en vendant encore plus de bébelles des Chinois
qui se serreront encore plus la ceinture et pollueront encore plus leur
environnement, pour être encore plus productifs. Comme nos riches vont être
encore plus riches, ils vont pouvoir envoyer leurs enfants à l’université
et payer des droits de scolarité de 5,000$ pour étudier en Droit et 25,000$
pour étudier en Médecine.
Qui à part les riches, avec l’argent des autres, va pouvoir se payer des
études sans s’endetter dans des universités déjà financées à 80% avec les
impôts de la classe moyenne ? Les pauvres dont s’occupera la Fondation
Chagnon, grâce aux 2 des 3 milliards$, reçus de la Caisse de dépôt et de
placement, pour lesquels la famille Chagnon n’a pas payé d’impôt. Une somme
que Québécor ne remboursera pas non plus à la CDPQ, parce que, justement, 2
des 3 milliards$ avancés par la Caisse à Québécor pour l’achat de Vidéotron
ont été radiés des livres de la CDPQ en raison de la chute des marchés
technologiques en 2001. De l’argent qui provient de nos cotisations à la
RRQ. C’est bien pour dire, même quand les riches sont généreux, c’est avec
l’argent des autres !
Louis Lapointe
Brossard
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
Une tarification pour les riches
Chronique de Louis Lapointe
Louis Lapointe534 articles
L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fon...
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.
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3 commentaires
David Poulin-Litvak Répondre
14 avril 2008Le probléme de la richesse excessive dans une société démocratique peut être réglé en imposant un plafond aux revenus, un revenu annuel maximal, fixé comme un multiple du salaire minimum (ex. 10, 30, 100 fois). Ce n'est pas tout, il serait opportun d'imposer un héritage maximal et une fortune maximale. Ainsi, bien qu'il pourrait y avoir des écarts, il ne pourrait en avoir tant que cela cause les problèmes dont vous soulevez avec maîtrise dans votre texte.
Raymond Poulin Répondre
14 avril 2008Le pire: ce que vous prétendez correspond à la réalité. Même John Kenneth Galbraith, que personne ne pourra accuser d'avoir méconnu l'économie ni d'être un gauchiste, disait la même chose. Ceux qui croient que Lauzon exagère devraient lire Galbraith.
Archives de Vigile Répondre
14 avril 2008Si nous éliminions les évasions fiscales combien d'argent resterait ici et surtout combien d'impôts récupérerions-nous? Probablement assez pour financer l'éducation et la santé au complet! Sans parler du réseau routier et aini de suite!...