Depuis deux ans, les écologistes remettent en question les privilèges d'un autre âge accordés aux industries minières d'ici et comparent ces dernières à celles qui écument les pays en développement. Le bilan dévastateur du vérificateur général ne dresse pas le portrait d'une catastrophe environnementale. Mais il dévoile certainement «la» faille du plan Nord du gouvernement Charest, qui pourra difficilement éviter d'élucider les causes d'une pareille dégénérescence de la gestion étatique.
Le rapport du vérificateur général sur le secteur minier ressemble à celui d'une commission d'enquête, à cette différence près qu'il relève les failles de la gestion étatique dans ce secteur sans remonter aux causes de cette situation, ce qui serait plutôt le mandat d'une commission d'enquête.
Nos ministériels n'ont rien expliqué jeudi de cette situation scandaleuse en réponse aux questions de l'opposition. Le ministre délégué aux mines au sein du ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF), Serge Simard, a bien promis de présenter incessamment une nouvelle politique sur les mines. Mais il serait surprenant que cette politique, conçue par une machine administrative désormais au banc des accusés, ne reproduise pas insidieusement le laxisme dont ont profité les industries minières grâce aussi à l'archaïque loi dont Québec s'accommode depuis des décennies, et que le vérificateur ne remet pas en question puisque ce n'est pas son mandat.
Les multiples tentatives de refondre depuis une génération la politique forestière dans une logique de gestion intégrée et écosystémique ont démontré que le MRNF n'arrive toujours pas à se dégager de l'emprise des lobbies économiques. La seule fois où cela s'est produit, c'était au milieu des années 1970 quand Québec lui a enlevé la gestion des eaux pour la confier au nouveau ministère de l'Environnement après les travaux de la commission d'enquête Legendre. Le constat était le même: la gestion étatique pliait devant les intérêts privés aux dépens du patrimoine public et de la ressource elle-même. Le rapport du vérificateur général pointe dans la même direction. Il formule explicitement des doutes sur la capacité du MRNF à «remplir les exigences administratives liées à la protection de l'environnement dans le cadre d'une éventuelle stratégie minérale», c'est-à-dire sur sa capacité de réformer le secteur avec une vision axée sur l'intérêt public, environnement compris. Très clairement, le vérificateur doute de la «capacité du MRNF à considérer dans cette stratégie minérale les principaux enjeux économiques, sociaux et environnementaux». Ce qui en dit long sur la vision d'un gouvernement qui s'apprête à ouvrir le Grand Nord aux industries minières avec un pareil ministère comme chien de garde.
En perte de contrôle
L'État doit en principe retirer une compensation suffisante de l'exploitation des ressources naturelles, y compris des minières puisque leurs ressources ne sont pas renouvelables. Le Québec comptait l'an dernier 24 mines dont 18 en Abitibi-Témiscamingue. Treize gisements nouveaux sont susceptibles d'être exploités prochainement et de rapporter à l'État une redevance de 12 %. En principe.
Le vérificateur a plutôt découvert qu'entre 2002 et 2008, «14 entreprises n'ont versé aucun droit minier alors qu'elles cumulaient des valeurs brutes de production annuelle de 4,2 milliards. Quant aux autres entreprises, elles ont versé pour la même période 259 millions, soit 1,5 % de la valeur brute annuelle». Ce qui a fait dire au député de Québec solidaire, Amir Khadir, que c'est dix fois moins que le pourboire que ces industriels laissent au restaurant...
Le MRNF tente aussi de cacher ce retour en catimini à la politique minière du régime Duplessis, qui réclamait au moins une cent la tonne! C'est ainsi que le MRNF, écrit le vérificateur, «a cessé d'effectuer une étude systématique des statistiques [sur le secteur minier] et de rendre publics des renseignements sur cette industrie».
Pis, ce ministère, qui a réussi à mettre la main sur les services fauniques -- parmi ses plus durs critiques depuis des décennies --, a fait le choix de ne pas se «donner d'objectifs d'acquisition de connaissances» sur les impacts de l'activité minière sur la faune. Avec ce constat, le rattachement de ces services à l'Environnement devient une urgence si on veut qu'ils retrouvent leur vitalité et leur crédibilité.
La restauration
Sous les libéraux de Robert Bourassa, à la fin des années 80, le MRNF a remis la main sur la restauration des sites miniers, abandonnés ou en voie de fermeture, une responsabilité jusque-là de l'Environnement, dont les pratiques étaient jugées trop exigeantes par les industriels.
La restauration des 345 sites miniers orphelins, qui relèvent désormais de l'État, devrait coûter aux contribuables 264 millions, selon le passif inscrit au bilan financier de Québec. Mais il se pourrait fort, selon le vérificateur, que cela coûte plus cher, car pour 25 sites examinés dans le détail, il a découvert que dans 11 dossiers les délais de restauration n'ont pas été respectés par les actionnaires, qui passent à d'autres projets. Les délais entre le dépôt des plans et leur approbation ont été de trois ans environ. Mais plus les délais s'allongent, constate le vérificateur, «plus les versements de la garantie financière tardent» à parvenir au Trésor public.
Malgré les dispositions de la Loi sur les mines, le MRNF ne peut approuver un plan de restauration sans avoir consulté le ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP). Dans 10 dossiers sur 25 pourtant, ce plan a été approuvé «malgré un avis du MDDEP non concluant, défavorable ou spécifiant des conditions, ou encore en l'absence d'un avis». Et les approbations ont été accordées sans justification suffisante des propositions des promoteurs.
Les industries minières doivent maintenant verser à l'État des garanties financières pour éviter que la facture de la restauration du site n'échoie aux contribuables. Cette garantie est censée couvrir 70 % des frais, un cadeau de 30 % que le vérificateur propose d'abolir «totalement».
Mais le vérificateur a constaté lors de son examen que les garanties déposées dans les 25 dossiers examinés s'élevaient à 109 millions alors que le coût de la restauration atteignait plutôt 352 millions en mars 2007.
Le vérificateur a aussi constaté, mais sans expliquer les causes de cette complaisance, que les retards pouvaient atteindre deux ans, ce qu'une banque n'aurait pas toléré. Dans deux dossiers, les montants en retard atteignent 4,4 millions. Et les passe-droits inexpliqués consentis par le MRNF à certaines industries minières, en dépit des exigences réglementaires, ont permis de reporter des versements exigibles totalisant 16 millions, augmentant le risque de mauvaise créance.
Inspection et environnement
Selon le vérificateur, les activités d'inspection du MRNF souffrent d'un «sérieux manque d'organisation». Aucun rapport d'inspection n'a pu être trouvé dans 56 % des dossiers d'industries minières! Quant aux inspections dont il y avait des traces, elles avaient été effectuées «sans grille d'analyse et remontaient parfois à plus de deux ans», ce qui indique à quel point l'industrie profite de la situation.
Le ministère de l'Environnement a aussi des responsabilités sur les mines, car c'est lui qui surveille ses rejets et, en principe, les exigences des certificats d'autorisation, ce que l'examen du vérificateur n'englobait pas. Mais ce dernier a noté que, «dans la quasi-totalité des dossiers, nous n'avons retrouvé aucune trace de collaboration entre les inspecteurs» des deux ministères. Il ne faut donc pas se surprendre que les avis de l'Environnement sur les conditions de fermeture des sites et sur leur suivi n'aient à peu près aucun poids, ce que la ministre responsable, Line Beauchamp, s'est bien gardée de justifier jeudi devant l'Assemblée nationale. Pourtant, insiste le vérificateur, une «telle collaboration est incontournable».
Dans certains dossiers de «libération», c'est-à-dire quand Québec juge qu'une industrie minière peut être libérée de ses obligations pour la restauration de son site, le vérificateur a découvert que des certificats avaient été délivrés sans la moindre analyse basée sur des critères rigoureux. En plus de ce qui ressemble à des certificats de complaisance, il est même arrivé que le MRNF accepte qu'une industrie minière transfère sa responsabilité financière sur les suivis de son site à des tiers dont «le MRNF n'avait pas vérifié la solvabilité».
Certes, le vérificateur recommande une révision globale de cette gestion chancelante en insistant pour que les droits miniers soient «suffisants pour compenser l'épuisement des ressources extraites». Plus de cadeaux! Mais cette recommandation risque de subir le même sort que celle adressée au même ministère dans le rapport Coulombe, qui disait la même chose. Québec sera tenté une fois de plus de faire patte douce aux industriels pour que son plan Nord prenne forme.
Mais est-ce qu'une industrie, dont le rendement repose sur un pareil laxisme, mérite qu'on s'en remette à elle pour construire l'économie de demain? Le débat est ouvert.
Un trou dans la gestion des mines
Le vérificateur a déterré la faille imprévue du plan Nord
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