Bien conscient de la controverse soulevée par plusieurs projets d’exploitation des ressources naturelles, le gouvernement Couillard a décidé de mettre sur pied un chantier sur l’acceptabilité sociale. Mais l’exercice de réflexion, démarré à huis clos cette semaine, a suscité la controverse. Québec a eu beau promettre des consultations publiques, certains estiment que la démarche a été conçue dans une optique de feux verts tous azimuts, avec ou sans acceptabilité.
Au moment de lancer son « grand chantier » sur l’acceptabilité sociale des projets d’exploitation des ressources naturelles, en novembre dernier, le gouvernement Couillard avait fait valoir que la démarche avait été mise sur pied dans le but de « mieux prendre en compte les attentes et les intérêts des collectivités lors de la planification et de la réalisation de projets ». Le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Pierre Arcand, avait d’ailleurs insisté sur « l’importance économique » de l’industrie extractive.
Afin de « favoriser une utilisation optimale du territoire et des ressources dans le respect des valeurs des Québécois », le gouvernement avait statué sur un processus en trois étapes. Mais celui-ci ne prévoyait pas au départ de consultations publiques ouvertes. Après avoir établi un « diagnostic » de la prise en compte des facteurs d’acceptabilité sociale, Québec comptait mener des « consultations ciblées » auprès d’« acteurs interpellés ». « Ce processus se fera de manière transparente et dynamique », avait précisé le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. Des « orientations ministérielles » devaient suivre plus tard cette année.
Le huis clos
Or, le ministre Arcand s’est ravisé cette semaine après que l’exclusion du Devoir de la première « table de discussion », à Montréal, eut provoqué de vives réactions. Même si la tenue de celle-ci avait fait l’objet de la diffusion d’un avis aux médias, il n’a pas été possible d’y assister. Cette règle d’exclusion doit se répéter pour les rencontres avec les « organismes » prévues dans les cinq villes du Québec.
Mercredi, le Parti québécois et Québec solidaire ont présenté une motion qui exige que «les consultations et les travaux du Chantier sur l’acceptabilité sociale soient menés de façon transparente, ouverte et publique, tant aux citoyens qu’aux représentants de la presse ». Les libéraux ont voté pour, tout en refusant d’ouvrir au public des tables de discussion prévues au cours des prochaines semaines avec les groupes et organismes.
Arcand se défend
Le ministre Arcand a défendu la pertinence de cette décision. « Il y aura des consultations publiques et le document sera public, a-t-il insisté. Mais il est clair qu’au départ, lorsqu’on fait des consultations avec certains groupes, ça se fait un peu plus à huis clos. » Le choix de discuter « en privé » découlerait en fait de la demande de certains participants. Il n’a pas été possible de savoir lesquels. M. Arcand a aussi dit que les tables de discussion sont en fait des « préconsultations ». C’était la première fois que ce terme était utilisé pour qualifier le Chantier sur l’acceptabilité sociale.
En entrevue, le ministre a réitéré sa volonté de tenir des consultations publiques plus tard cette année. Quelle forme prendront-elles ? « Je n’en ai aucune idée», a-t-il répondu.
Le gouvernement Couillard a déjà promis des consultations publiques dans le cadre de l’évaluation environnementale stratégique menée pour l’ensemble de la filière des hydrocarbures. Celle-ci doit se faire « en ligne » et à la toute fin du processus. Quant aux discussions sur la future politique énergétique, celles-ci s’articulent essentiellement autour de trois «tables d’experts» choisis par Québec. Le public peut y assister, à condition de s’inscrire à l’avance. Chaque table ronde est suivie, le soir même, d’une consultation publique. Les gens qui s’inscrivent au préalable peuvent alors prendre la parole pour une durée de cinq minutes. La dernière table doit avoir lieu en juin. Elle portera sur les hydrocarbures.
Formule discutable
Le gouvernement a-t-il bien fait d’opter pour des discussions non publiques pour débattre d’un enjeu aussi majeur que celui de l’acceptabilité sociale ? « Dans un contexte de participation publique, le huis clos peut, de l’extérieur, sembler être une entrave à la transparence. Effectivement, en lui-même, le huis clos ne permet pas de savoir ce qui se dit ; il se crée un effet de boîte noire, souligne la sociologue Sophie Hamel-Dufour, dans une analyse transmise au Devoir. Vu de l’intérieur, qu’offre un huis clos aux participants et aux organisateurs ? Il propose un climat plus favorable aux échanges. Certaines choses se discutent mieux sans la pression d’une écoute grand public et médiatique. Il permet d’oser dire avec franchise les opinions, les attentes, les craintes, les intérêts. À cette échelle, n’y a-t-il pas un gain en transparence et en démocratie ? »
Selon elle, le gouvernement aurait cependant dû annoncer d’entrée de jeu des séances publiques. « L’annonce de la tenue des séances publiques a été faite a posteriori par le ministre responsable. En réagissant plutôt qu’en anticipant ce besoin réel d’ouverture du processus, le ministère a manqué à son devoir d’exemplarité. L’exemplarité d’être un modèle en matière d’action publique, ce qui s’accorde mal avec le rattrapage médiatique. »
Paradoxe et partialité
Mme Hamel-Dufour estime aussi que des questions se posent sur la façon d’organiser les tables de discussion. Les groupes et les citoyens qui voulaient y prendre part ont dû s’inscrire. Mais c’est le gouvernement qui choisissait par la suite les « intervenants ». « On ne connaît ni les critères de sélection des participants ni leur nombre. En l’absence de critères clairement énoncés, l’apparence de paradoxe s’accompagne d’un risque d’apparence de partialité », constate la sociologue. « En optant pour le huis clos, le ministère n’a pas failli en matière de transparence, mais a créé un paradoxe. Pour pallier le paradoxe démocratique du huis clos, il faudra que les résultats du chantier fassent état avec justesse des échanges tenus en privé », résume-t-elle.
Par ailleurs, en prévision de la tenue du chantier sur l’acceptabilité sociale, Québec a mandaté la firme Raymond Chabot Grant Thornton pour établir un « diagnostic de la prise en compte des facteurs d’acceptabilité sociale dans la conciliation des usages ». Le rapport produit met en lumière des lacunes certaines. « En matière d’acceptabilité sociale, le [ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN)] réfère souvent à des outils externes au ministère, mais possède peu de critères ou de cadres d’analyse internes formels pour l’évaluer, l’apprécier et en rendre compte. »
Le document souligne aussi, par exemple, que « le manque d’acceptabilité sociale n’est pour l’instant pas considéré comme un motif d’intérêt public » dans le cadre des projets miniers. Plus globalement, « malgré que plusieurs consultations publiques aient été effectuées par le MERN sur les grands enjeux liés aux ressources naturelles, il n’a pas été possible d’apprécier la rétroaction de ces consultations dans l’élaboration des orientations gouvernementales ».
Enjeux majeurs
Le ministre Arcand a lui-même reconnu cette semaine qu’il est plus important que jamais de prendre en considération la question de l’acceptabilité sociale des projets d’exploitation de ressources naturelles. Les tables de discussion qui se tiendront dans cinq villes du Québec (Montréal, Québec, Sept-Îles, Rouyn-Noranda et Matane) risquent d’ailleurs de constater les questions d’acceptabilité soulevées par plusieurs projets.
À Sept-Îles, le projet Mine Arnaud, que le gouvernement finance et qu’il a présenté comme un exemple de « développement durable », suscite toujours une controverse certaine. Le maire Réjean Porlier évoquait encore récemment la profonde division de la population. À Matane, la question des projets d’exploration pétrolière de la Gaspésie devrait être abordée. Devant la controverse, la Ville de Gaspé réclame la tenue d’une évaluation du projet Haldimand de Pétrolia sous l’égide du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement.
Dans plusieurs régions du Québec, la réalisation du mégaprojet de pipeline Énergie Est, de TransCanada, provoque déjà une levée de boucliers. Au-delà de l’opposition citoyenne, des dizaines de municipalités ont fait valoir leurs inquiétudes, voire leur opposition formelle. Même chose pour la construction d’un éventuel port pétrolier d’exportation. Le projet, d’abord prévu à Cacouna, a créé une telle controverse que la pétrolière albertaine a décidé de l’abandonner. Pourtant, le gouvernement Couillard avait d’abord autorisé TransCanada à effectuer des travaux en milieu marin, malgré l’opposition et les risques majeurs pour le béluga du Saint-Laurent.
Le préjugé du gouvernement en faveur des projets d’exploitation minière et pétrolière, mais aussi de pipelines, a été évoqué par une personne qui a pris part cette semaine à la table de discussion tenue à Montréal. Cette personne, qui a demandé l’anonymat, s’est dite surprise du ton des discussions, soulignant que celles-ci visent essentiellement à trouver des façons de permettre le développement des projets. L’idée de dire « non » à certains projets serait pour ainsi dire « évacuée » des discussions.
ACCEPTABILITÉ SOCIALE
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