Éthique et culture religieuse

Un bouc émissaire pour questionnements identitaires

Laïcité — débat québécois


La Cour suprême du Canada vient de rendre son jugement relativement à la demande d'exemption du cours d'éthique et culture religieuse formulée par des parents catholiques, au nom de l'atteinte à leur liberté de conscience et de religion. La Cour a rejeté à l'unanimité la demande au motif que les parents n'ont pas réussi à faire la preuve de cette atteinte à leurs libertés.
La vaste majorité des juges a également tenu à préciser que le fait d'exposer les enfants à une présentation globale de diverses religions, sans les obliger à y adhérer, ne constitue pas un endoctrinement des élèves qui porterait atteinte à leur liberté de religion ou à celle de leurs parents. Elle observe, au contraire, qu'il faut prendre acte du fait que les sociétés québécoise et canadienne sont multireligieuses et que les enfants sont exposés dans leur vie sociale à des réalités différentes de celles qu'ils connaissent dans leur environnement familial immédiat, réalités avec lesquelles l'école doit les familiariser.
En effet, on peut se demander en quoi, concrètement, l'exposition des jeunes à la diversité religieuse et philosophique (de façon bien modeste faut-il le rappeler, le plus souvent une heure par semaine...) est de nature à perturber les enfants dans leur foi, comme le soutiennent certains parents. Il s'agit ici davantage de l'expression d'inquiétudes qui ne reposent pas sur des faits empiriquement démontrés, puisque la thèse selon laquelle la découverte du pluralisme religieux engendrerait des perturbations réelles chez les élèves n'a jamais été prouvée.
Bien au contraire, le fait de sensibiliser les jeunes à la diversité des croyances et des pratiques ne porte nullement atteinte au respect des convictions, mais permet plutôt de mieux situer les spécificités de certaines traditions au regard de celles des autres, ce qui, pour plusieurs, aura pour effet de favoriser la redécouverte de la tradition dont ils sont eux-mêmes issus!
Un programme bouc émissaire
La crainte du relativisme est elle aussi mal fondée, le programme d'éthique et culture religieuse ne cherchant pas à dire que toutes les religions reviennent au même, mais visant plutôt à enrichir les connaissances et les réflexions personnelles des élèves. Il ne s'agit ni d'imposer l'adhésion à un système de convictions, ni de faire l'apologie de certaines traditions, ni de favoriser la critique systématique des religions.
Cependant, l'idée même d'un enseignement d'éthique et culture religieuse suscite diverses critiques qui témoignent de résistances au nouveau paradigme culturel qu'il incarne, encore trop religieux pour certains, pas assez pour d'autres, ou trop multireligieux pour d'autres encore, oblitérant pour ceux-là l'identité québécoise, marquée surtout par le christianisme. Le programme ECR devient alors un bouc émissaire de questionnements identitaires plus profonds. Les procès d'intention sont fort nombreux.
Enseignement culturel de la religion
Quelle place doit-on accorder au christianisme? Le Québec a une histoire et un patrimoine marqués par le christianisme, qu'il faut reconnaître et assumer, le catholicisme continue d'être, avec la défense de la langue française, un référent culturel majeur, en particulier dans le contexte de l'affirmation de l'identité historique canadienne-française et de la nation québécoise. Or, le programme ECR accorde justement, au nom de cet héritage historique et culturel, une place privilégiée au catholicisme de même qu'au protestantisme et insiste, à travers plusieurs thèmes, sur le patrimoine religieux québécois, de fait majoritairement chrétien.
Pour autant, cela n'exclut pas, bien au contraire, la nécessité de connaître d'autres systèmes de convictions, religieuses et non religieuses, du moins ceux présents au Québec. Relativement à la foi, le Québec a fait le choix, depuis 2005, que l'école ne serait plus un lieu de sa transmission. [...]
Par ailleurs, la complète laïcisation de l'école implique-t-elle, comme certains le soutiennent, la suppression de tout enseignement, même culturel, sur la religion? Bien sûr que non, puisque ce sont, au contraire, la laïcisation de l'institution scolaire et plus largement la sécularisation de la société québécoise qui apparaissent comme les conditions ayant rendu possible le programme d'éthique et culture religieuse. En effet, c'est du processus de laïcisation de l'enseignement que résulte le passage d'un enseignement confessionnel des religions (catholique ou protestante), à une didactique culturelle des religions, celles-ci étant dorénavant enseignées comme phénomènes historiques, culturels, comme objets de connaissance.
Malaise des enseignants
Par contre, une conception erronée de la laïcité peut avoir des effets inhibiteurs malheureux, comme on vient de le voir dans le cas de cette enseignante de musique de la Commission scolaire de Sorel-Tracy qui, pour éviter de discuter avec ses élèves d'une phrase de L'Hymne à l'amour d'Édith Piaf, qui parle de Dieu, refuse de la commenter en classe. Ce cas traduit le malaise de certains enseignants à aborder les questions religieuses de même que la très grande confusion qui règne autour de ce qu'on appelle, bien souvent à tort, des accommodements raisonnables, mais qui n'en sont pas.
Ce qui est important ici, c'est de savoir ce que signifie pour Édith Piaf cette phrase, le sens qu'elle lui donne en tant qu'artiste dans le texte de sa chanson, et non pas de se prononcer sur la pertinence ou non d'affirmer l'existence de Dieu ou de l'au-delà. La laïcité doit non seulement permettre la réflexion sur les objets de culture, mais elle doit également en favoriser la libre exploration. Comment peut-on comprendre la littérature, la musique, les arts, l'histoire du Québec de même qu'une très grande partie du patrimoine occidental marqué par les traditions chrétiennes sans avoir la moindre idée de ce qu'est le christianisme?
Aucun de ces domaines de connaissance ne peut être sérieusement étudié si les références au religieux sont censurées, censure qui causerait la perte de sens, voire l'incompréhension de ces oeuvres. La culture religieuse participe de la culture générale, et c'est bien là une des missions principales de l'école que d'élargir les horizons des élèves, de leur faire découvrir des univers qui leur sont encore inconnus.
Nuage dissipé
Enfin, il faut rappeler haut et fort que le programme ECR vise deux grands objectifs, de nature philosophique et politique. Sa première finalité, «la reconnaissance de l'autre», manifeste la volonté politique de prendre acte de la diversification culturelle et religieuse de la société québécoise, et de favoriser le respect mutuel des élèves entre eux. Mais on oublie trop souvent de mentionner la seconde finalité du programme, «la poursuite du bien commun», qui traduit, quant à elle, le projet de construire un espace social et culturel commun, au-delà des différences individuelles et des intérêts particuliers, autour d'une culture publique et de valeurs partagées par tous, dans une perspective d'éducation à la citoyenneté. Nous sommes donc bien loin ici de ce qui serait une apologie du multiculturalisme, qui ferait la promotion des différences pour elles-mêmes, sans se soucier d'un espace commun.
Notre souhait, maintenant que certains nuages ont été dissipés, serait qu'on laisse désormais les formateurs, les enseignants et les élèves travailler ensemble, sereinement, loin des polémiques politiciennes et médiatiques, et des procès d'intention, afin de mettre en oeuvre le programme d'éthique et culture religieuse, programme qui comporte de grandes qualités intellectuelles, culturelles, éthiques et civiques, et fait l'objet d'un vif intérêt dans de nombreux pays, même si, évidemment, il ne cessera de s'améliorer au fil du temps.
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Mireille Estivalèzes - Professeure en éducation à l'Université de Montréal


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