Bonjour M. Frappier
D'abord merci et félicitations pour votre merveilleux travail sur Vigile. J'ai découvert votre site il y a quelques mois avec grand plaisir, et je le consulte fréquemment.
J'ai vécu une expérience à tout le moins troublante durant les Fêtes avec le service à la clientèle de Apple Canada. Je la rapporte dans le texte joint en annexe, que j'ai pensé vous envoyer parce qu'il me semble représentatif d'une situation qui doit changer, et qui est préoccupante pour tous les Québécois. Pour résumer, le problème réside en ceci qu'il est impossible de s'inscrire en français sur le site de Apple Canada - c'est-à-dire que pour inscrire une adresse canadienne (et québécoise par extension) dans un dossier client de Apple, le formulaire doit nécessairement être complété en anglais. La même situation sévit dans le Apple Store (sic!) du canada-français (re-sic!), qui n'est autres que celui de la France!
J'ai été particulièrement touché par ce constat et l'appel au service à la clientèle qui l'a suivi. J'ai immédiatement pensé à Vigile après avoir rédigé le texte, connaissant vos intérêts et motivations indépendantistes et francophiles. Si vous jugez l'anecdote digne d'intérêt, je vous l'offre comme une flèche de plus dans votre carquois!
Bien à vous
Bertrand Guibord
Montréal
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Un appel chez Apple
Début de soirée, vendredi 29 décembre. Je suis devant mon ordinateur, pensant m’offrir un lecteur mp3 en cadeau, et je consulte le site web de Apple (www.apple.ca). Je choisis de visiter le site en français comme c’est ma langue. Je clique sur l’onglet « Store » (sic) pour faire mon achat. Je sélectionne le modèle et arrive à la caisse. Tout va bien jusqu’au moment d’entrer mon adresse postale. Voici le problème : il n’existe pas de version canadienne-française (tout pour ne pas dire « québécoise »!) du « Apple Store ». Toutes les visites en français du site se font exclusivement sur sa version très littéralement française : il est impossible d’entrer une adresse de domicile ou de livraison sur un site web Apple en français qui renvoie à un lieu situé hors de France! La même situation sévit quand il s’agit des informations du compte personnel Apple : si je souhaite inscrire une adresse située au Canada, je ne peux le faire qu’en anglais. « Reconnaissance de la nation québécoise », vous dites?
J’appelle le service à la clientèle Apple pour savoir de quoi il en retourne, même s’il est 19h30 le vendredi précédant le jour de l’An ; je doute fort qu’il y ait une réponse. Un peu surpris, j’entends au bout du fil – assez rapidement d’ailleurs – la charmante voix d’un individu qui se présente en français comme « André » (sans l’ombre d’un doute la transposition française bienveillante mais maladroite de « Andrew », si je me fie au lourd accent anglais de mon interlocuteur), qui me demande mon prénom, que je lui donne, et qu’il utilisera sans ambages tout le long de la conversation, que ça me plaise ou non.
Il est bien sympathique ce Andrew, soit dit sans ironie. Il semble comprendre le problème, mais au départ ne comprend pas vraiment qu’il ne s’agit pas de mon problème, mais de celui du système de gestion de commande de Apple. Au début, il me dit simplement, retenant sa condescendance, de me rendre sur « apple.com/ca/fr/store.html » - l’adresse du « Apple Store » pour le « Canada français ». Or cette adresse n’est qu’un lien fantôme au site de France. Je lui explique que c’est exactement ce que je fais depuis dix minutes, et à ce moment il finit par comprendre que ni lui, ni moi ne pourra régler mon problème, car une telle chose est impossible dans l’état actuel de leur système.
Peu de temps après, il me demande, encore une fois très poliment, de me mettre en attente pour « 3 à 5 minutes » ; quiconque possède la moindre expérience en service à la clientèle au téléphone sait pertinemment bien que ce détail révèle qu’il s’agissait là d’un problème difficile, dépassant les capacités d’intervention du téléphoniste lui-même, et que celui-ci doit pour cette raison consulter plus savant que lui. Me doutant que ce cher Andrew usait d’un euphémisme grossier auquel tout téléphoniste a recours un jour ou l’autre, je lui demande de plutôt me rappeler quand le problème aura été réglé.
Je me trompais sur un point : sa réponse fut dans les délais. Elle fut aussi celle que j’attendais : il n’est pas possible d’entrer une adresse au Québec (ou au Canada) sur une page web en français sur les sites de Apple Canada. Après m’avoir subrepticement demandé si je parlais anglais, Andrew m’a référé à la section d’aide en ligne du site de Apple Canada – dans la langue de Shakespeare, évidemment. Il commençait à comprendre un peu, j’ai l’impression, le sens de la situation que je lui exposais et à pouvoir l’envisager selon la perspective d’un canadien francophone unilingue ou déterminé à se faire servir dans sa propre langue – ce qui est mon cas. Ironiquement, je lui ai demandé, en anglais, s’il pouvait parler de cette situation à ses supérieurs hiérarchiques, ce dont il s’empressa de m’assurer. Il semble que l’aliénation donne froid dans le dos aussi à ceux qui en sont témoins.
Cette anecdote n’a rien de particulièrement surprenant – à part le fait qu’un francophone était disponible pour répondre à ma question dans le centre d’appels de Apple au moment où j’ai appelé. Mais c’est précisément le caractère habituel de ce genre de situation qui est révoltant. Chacun de ces petits oublis, ou omissions, ou compromis faits aux dépends des Québécois et des autres francophones du Canada par les institutions et les corporations dans leurs rapports avec le public démontre que la « reconnaissance de la nation québécoise » demeure une notion totalement théorique et abstraite tant et aussi longtemps qu’un État québécois ne sera pas en mesure de s’assurer du respect et de la reconnaissance de celle-ci.
La défense du fait français au Canada par le gouvernement fédéral représente à toutes fins pratiques une contradiction en soi : certes quelques-uns objecterons que les francophones sont représentés dans le gouvernement, ce qui est indéniable, indépendamment de la qualité ou du pouvoir réel de ces représentants. Le fait demeure par contre que la machine elle, la bureaucratie et le fonctionnariat chargés de faire respecter les édits du gouvernement restent, selon une majorité écrasante, au mieux indifférents face au fait français, au pire hostiles à celui-ci., et que la place laissée aux francophones dans la majorité sinon toutes les organisations commerciales ou publiques canadiennes demeure marginale. Les intentions sont bonnes…
Autre observation à tirer de cette expérience : on ne peut pas simplement escamoter l’identité québécoise pour qu’elle disparaisse. On ne peut pas tourner les coins ronds et chercher à accomoder à rabais les besoins de la population québécoise, car ça ne fonctionne pas. Non seulement le respect, mais l’efficacité exigeraient plutôt que l’on crée des moyens de répondre spécifiquement et particulièrement à ses besoins. La faille décelée dans le système de vente en ligne de Apple démontre que commercialement, il y a un avantage pour les compagnies à s’adapter à la réalité québécoise et francophone. Dans le cas qui nous occupe, il est tout simplement impossible de faire un achat en français qui sera livré au Canada!
Face à cela, il nous faut nous manifester pour faire en sorte que cette réalité qui est la nôtre s’impose à la conscience des dirigeants (politiques et corporatifs) et qu’elle ne passe plus « sous le tapis » de la sorte. Il ne s’agit pas de boycotter ou d’entrer en croisade contre une compagnie ou une autre, mais plutôt de faire en sorte que nous soyions visibles, et que nos exigences soient prises en compte. Par ailleurs, et on pourrait en parler longtemps, les Québécois ont aussi leur part de responsabilité dans cet état de fait, eux qui ont longtemps accepté de se soumettre à des conditions et contraintes imposées de l’extérieur. Mais ce n’est pas l’objet de ce texte.
Il me semble en fin de compte que Andrew a pris mon problème au sérieux, c’est-à-dire pour ce qu’il était ; qu’une compagnie comme Apple se montre aussi peu sensible à la réalité québécoise est déplorable et illustre non pas le mépris, mais l’ignorance où se trouve une grande partie de la population canadienne et mondiale (eh oui!) quant à la réalité même de ceux qui forment la « nation québécoise ».
Cette situation doit changer, et va changer dans un sens ou dans l’autre : soit nous recevrons de moins en moins de services dans notre propre langue parce que nous l’aurons accepté comme une fatalité à laquelle nous devons nous plier, ou au contraire de plus en plus de compagnies comprendront l’importance d’une « reconnaissance » concrète de la réalité d’ici et se montreront pour cette raison sensibles à nos besoins spécifiques.
Nous ne pouvons pas simplement être passifs et espérer que des corporations multinationales siégeant en Asie, en Europe, en Amérique du Sud ou aux Etats-Unis adoptent d’emblée des façons de faire conformes à nos besoins : ceci est utopique est irrationnel. Ce qu’il reste à faire, c’est de faire connaître qui nous sommes et ce que nous voulons à ceux qui ne veulent après tout que nous vendre leurs produits. Tout le monde tirera profit d’une réelle reconnaissance de la réalité québécoise.
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
2 janvier 2009Je suis tout à fait en accord avec vous. Je pense acheter un Mac. Je suis allé sur le site de Apple Canada et j'ai du me taper un vidéo en anglais pour apprendre sur les fonctionnalités de ce produit. Le vidéo de démonstration n'étant pas disponible en français(je l'ai pas trouvé en tous cas). Je crois que nous devons exigé d'être servi en Français et le demander. Je vais donc écrire à Apple Canada pour rapporter ce manque au niveau du Service à la clientèle.
Archives de Vigile Répondre
10 janvier 2007Il serait bien d'en aviser la SSJBM qui est souvent la seule à réagir en pareille situation.