Trudeau, Wilson-Raybould… et l’éléphant dans la pièce que les médias refusent de voir

D085a9f68c68ce2fafd44e7133943af3

L'éléphant dans la pièce : le pétrole et les oléoducs qui viennent avec...

Dans son allocution du matin du 7 mars, Justin Trudeau a dû mentionner au moins 50 fois le mot autochtone mais, à notre connaissance, aucun des commentateurs au Québec n’a pris en considération cette référence constante aux Premières Nations. Pourtant, elle est la clef pour comprendre sa démarche politique.


Bien entendu, nous avons tous compris que Jody Wilson-Raybould a été relevée de ses fonctions à titre de ministre de la Justice, parce qu’elle ne voulait pas avaliser un accord de réparation avec SNC-Lavalin. Ses motifs véritables demeurent un mystère. Était-ce une position de principe? Ou bien parce qu’elle craignait que des faits que nous ne connaissons pas et qu’elle ne peut dévoiler parce que les causes sont devant les tribunaux, risquent de venir hanter celle ou celui qui va autoriser l’accord de réparation?


Alors, pourquoi M. Trudeau prend-il Jody Wilson-Raybould avec des pincettes, pourquoi refuse-t-il de l’incriminer directement et, surtout, de l’exclure du caucus libéral?


Tout simplement parce que Jody Wilson-Raybould est une leader autochtone très estimée dans sa communauté et que le gouvernement Trudeau a besoin de l’accord des Autochtones pour construire les pipelines, qui vont acheminer le pétrole des sables bitumineux vers les marchés mondiaux.




Les pipelines


Au cours des dernières années, les Autochtones ont acquis des pouvoirs considérables. La Cour suprême a statué, le 26 juillet 2017, que l’Office national de l’énergie (ONE) a l’obligation de consulter adéquatement les communautés autochtones avant de prendre une décision sur un projet énergétique.


Au mois d’août 2018, la Cour d’appel fédérale a annulé le décret pour l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain, dont le gouvernement fédéral est propriétaire, et a ordonné à l’Office national de l’énergie (ONE) de reprendre certaines étapes du processus d’évaluation et de consultation. L’ONE a refait ses devoirs et vient de donner le feu vert environnemental au projet. Cependant, le volet « nouvelle consultation des Autochtones » n’est pas terminé.


La Cour a statué que « le gouvernement ou ‘‘la Couronne’’ ont le devoir de consulter les Autochtones pour éviter que leurs droits ancestraux ou issus de traités, protégés par la Constitution canadienne, soient menacés » et que cette consultation ne doit pas se réduire « à donner aux Autochtones ‘‘l’occasion de se défouler’’ avant que la Couronne fasse ce qu’elle a toujours eu l’intention de faire ». La nouvelle ronde de consultation est en cours et des communautés autochtones s’opposent toujours à la construction de l’oléoduc Trans Mountain.


Il en va de même pour le mégaprojet de 40 milliards de dollars qui doit acheminer par gazoduc le gaz naturel de l’Alberta au port de Kitimat dans le nord de la Colombie-Britannique. Au mois de janvier 2019, des chefs de la Première Nation Wet’suwet’ ont érigé des barrages sur leurs territoires pour manifester leur farouche opposition au projet.


Quelle serait la réaction de ces communautés autochtones à l’égard des projets de pipelines si Justin Trudeau chassait cavalièrement du caucus libéral la première femme autochtone à accéder à de si hautes fonctions? Est-ce que cela ferait avancer les projets de pipeline ou provoquerait une opposition encore plus déterminée des Autochtones? Qu’adviendrait-il du grand projet de « Réconciliation » avec les nations autochtones du premier ministre Trudeau ? Poser la question, c’est y répondre, surtout lorsqu’on connaît le statut de Jody Wilson-Raybould au sein de la communauté autochtone canadienne.

 


Qui est Jody Wilson-Raybould?


« Je suis une Hiligazste », se proclame Jody Wilson-Raybould, ce qui signifie dans sa communauté « Celle qui corrige le chemin emprunté par les Chefs ». Être une Hiligazste, c’est aussi s’engager, tout au long de sa vie, à faire honneur à ses ancêtres. Au nombre de ceux-ci, il y a certainement sa grand-mère, une autre Hiligazste, qui s’était enchaînée aux barrières de la base aérienne de Comox pour protester contre le déplacement de missiles.


À sa naissance, ses parents lui ont donné le nom de Puglaas, qui témoigne d’un noble ascendant. C’est de ce nom qu’elle a signé sa lettre de démission à titre de ministre de la Justice. Jody Wilson-Raybould origine de la We Wai Kai Nation sur l’île de Quadra, à l’est de l’île de Vancouver. Diplômée de la Faculté de droit de l’University of British Colombia, elle suivait les traces de son père, deuxième autochtone à graduer de cette université, après son cousin Alfred Snow, qui est devenu, par la suite, le premier autochtone à être nommé juge par la Cour provinciale de la Colombie-Britannique.


En 1983, son père a participé, à titre de vice-président du Conseil des peuples autochtones, à des rencontres avec le premier ministre Pierre Elliott Trudeau pour discuter de l’inclusion des droits autochtones dans la constitution qui venait d’être rapatriée. C’est à cette occasion qu’il a dit au premier ministre que ses filles désiraient devenir premier ministre et que Trudeau lui a répondu qu’il lui ferait savoir lorsqu’il voudrait céder sa place.


Jody Wilson-Raybould a été une des rares femmes à être élue chef régional de l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique. Elle a publié, en 2014, avec son mari, Tim Raybould, un diplômé de l’Université de Cambridge en Angleterre, un ouvrage de 900 pages sur la gouvernance et le « Nation Building » à l’intention des Autochtones. Elle a présenté le document à Stephen Harper lors d’une rencontre formelle entre la Couronne et des Premières Nations, au cours de laquelle elle est montée sur le podium pour critiquer, devant le premier ministre, le néo-colonialisme d’Ottawa.



Plus important que SNC-Lavalin, le pétrole


Sauver SNC-Lavalin par un accord de réparation est certes important, mais l’enjeu économique et politique fondamental aujourd’hui au Canada est de construire des pipelines pour acheminer le pétrole des sables bitumineux de l’Alberta vers les marchés étrangers.


En l’absence de pipelines, les surplus s’accumulent en Alberta et font chuter les prix. L'écart entre le prix du pétrole albertain et celui du Texas (West Texas Intermediate) a grimpé jusqu’à 50 $US au cours des derniers mois, alors qu’il oscillait habituellement entre 17 $US et 18 $US. Avec un écart de 40 $US tout au long de 2019, l’Alberta perdrait 5 milliards $ de revenus, soit environ 10 % du budget de la province. Et le fédéral écoperait également.


Les pétrolières et les banques qui les financent ragent parce que le projet Keystone XL, qui doit acheminer du pétrole albertain vers le golfe du Mexique et qui venait d’être autorisé par Donald Trump, est de nouveau bloqué par un tribunal aux États-Unis. Et l’élargissement du pipeline Kinder Morgan de Trans Mountain est au point mort, comme nous l’avons vu précédemment.


Le principal obstacle est l’opposition des Autochtones, avec les droits que les tribunaux leur ont conférés. La « Grande Réconciliation » promue par Justin Trudeau, avec les excuses du gouvernement pour les pensionnats autochtones, la tuberculose chez les Inuit et la Commission de vérité et réconciliation, a pour but principal de faire tomber les résistances autochtones devant les projets d’exploitation des richesses naturelles et de construction de pipelines. La nomination de Jody Wilson-Raybould au prestigieux poste de ministre de la Justice s’inscrivait dans ce cadre.

 


Bay Street sonne la fin de la « Grande Réconciliation »


Si cette approche de la « Grande Réconciliation » de Justin Trudeau échoue, l’alternative pour les milieux pétroliers et d’affaires de Toronto est le Parti conservateur. Andrew Scheer a déjà signifié qu’il ira de l’avant avec les projets de pipelines en cours. De plus, il s’est déjà engagé avec les premiers ministres de la Saskatchewan et du Nouveau-Brunswick à ressusciter le projet de pipeline Énergie Est, qui doit amener le pétrole de l’Alberta au port de St-John au Nouveau-Brunswick, faisant fi de l’opposition exprimée par le Québec.


Scheer n’hésitera pas à invoquer « l’intérêt national » et à recourir aux clauses de la constitution qui lui permettent de passer outre à l’opposition du Québec et des Autochtones. À la méthode douce (« La Grande Réconciliation ») de Trudeau succédera la méthode dure de l’affrontement.


Le Québec a déjà connu un tel scénario. Après le « French Power » à Ottawa des années 1960 pour amadouer le Québec, il y a eu la ligne dure avec la fin des concessions et les menaces de partition du territoire québécois des années 1990.


De toute évidence, les pétrolières et les financiers de Bay Street ont fait leur choix, si on en croit les titres des médias torontois. Trudeau, le féministe, l’ami des Autochtones, le chantre du Canada « postnational » est devenu « Trudeau, l’imposteur » (Maclean’s), le misogyne (National Post) et le p’tit député du comté de Papineau, qui se porte tout naturellement à la défense de SNC-Lavalin, une entreprise corrompue du Québec.


Encore une fois, c’est l’Ontario, et non pas le Québec et encore moins les Autochtones, qui auront le dernier mot. Jean Chrétien a déjà été élu à la tête d’un gouvernement majoritaire avec une représentation limitée à l’Ontario et le West Island et Stephen Harper avec seulement cinq députés au Québec.