Je reviens tout juste d’un débat organisé en marge de la course à la chefferie du Parti Québécois. Il opposait Sol Zanetti, le chef d’Option nationale, et Paul Saint-Pierre Plamondon (PSPP), l’ancien leader des Orphelins politique qui s’est lancé dans la course à la chefferie du PQ à la surprise de plusieurs. En lui-même, ce débat avait une importance stratégique tout à fait relative. Le premier est condamné à diriger un parti groupusculaire, le second à terminer dernier dans la course à la direction, avec un score probablement décevant. Le débat n’en était pas moins intéressant parce qu’il mettait en scène deux positions stratégiques très éloignées au sein du mouvement indépendantiste, tellement éloignées, en fait, qu’on se demande de quelle manière on pourrait un jour les réconcilier. Étrangement, elles s'éclairaient mutuellement.
Sol Zanetti, on le devine, avait une position qu’on pourrait qualifier d’ultravolontariste. Fondamentalement, selon lui, si le mouvement souverainiste stagne, c’est parce que le leadership souverainiste. Le PQ, en n’assumant pas clairement son projet, l’aurait fait reculer. De tergiversations en tergiversations, il en serait venu à convaincre les Québécois que la souveraineté n’aurait rien d’indispensable ni d’urgent. Les souverainistes devraient renouer avec une promotion militante et décomplexée de l’indépendance, en ne cherchant plus à gagner une élection malgré elle, mais en misant sur elle. De cette manière, ils pourraient faire renaître la flamme nationale. Tout souverainisme qui ne fait pas de l’indépendance une urgence détournerait les énergies de la nation dans une illusion de normalité provinciale qui handicaperait notre capacité d'action politique.
Paul Saint-Pierre Plamondon voyait les choses autrement. Selon lui, il y a une urgence absolue : renverser le gouvernement libéral – et on pourrait même dire, aujourd’hui, le régime libéral. Mais les Québécois hésitent à se tourner vers le PQ car ils sont rebutés pour l’instant par la possibilité d’un référendum – même les souverainistes, probablement parce qu’ils craignent de le perdre, ne le souhaitent pas. PSPP souhaite que le PQ propose aux prochaines élections une alternative claire aux libéraux. Pour lui, le PQ devrait promette de ne pas faire de référendum dans un premier mandat. Dans un second, il créerait un mécanisme d’initiative populaire accordant au peuple la pleine responsabilité d’un prochain référendum. Le gouvernement ne pourrait plus piloter l’opération, elle devrait venir de la base : le peuple, autrement dit, devrait vouloir l'indépendance par lui-même et non plus se faire imposer cette préoccupation par les partis souverainstes.
On aurait envie de donner raison et tort aux deux.
Comme le note bien Sol Zanetti, qui se fait ici le disciple de Robert Laplante, le souverainisme officiel a perdu l’habitude de critiquer le régime fédéral. Il entretient les Québécois dans une illusion funeste : leurs problèmes fondamentaux peuvent se penser sans tenir compte de leur enfermement dans la structure dysfonctionnelle du fédéralisme canadien. En gros, nous dit Zanetti, les souverainistes ont accepté, avec le temps, d’évoluer dans les limites étroites du provincialisme à la canadienne et s'y sont laissés enfermer. Surtout, si l’indépendance est non seulement désirable, mais indispensable, on souhaiterait que les leaders souverainistes soient capables de la défendre avec un peu d’exaltation et de conviction. La déroute du Parti Québécois de Pauline Marois, dans les premiers jours des élections de 2014, nous a montré les conséquences d’un souverainisme impréparé, amateur, et incapable de répondre aux questions élémentaires qu’on lui posait.
Cette approche a une faiblesse, toutefois : elle ne tient pas compte de l’état actuel de la conscience nationale. Il ne suffit pas, dans l’histoire, de vouloir très fort quelque chose pour que le peuple le veuille avec nous. Nous ne sommes plus dans les années conquérantes du nationalisme québécois, comme lorsqu’il était en ascension, lors de la Révolution tranquille. Le peuple québécois ne va vraiment pas bien et quoi qu’en pensent ceux qui s’imaginent qu’un référendum pourrait faire masser magiquement le camp du Oui de 40 à 50%, comme en 1995, comme s’il s’agissait d’une loi de l’histoire, on serait en droit de croire qu’un référendum précipité dans les conditions actuelles provoquerait un effondrement du camp souverainiste. Et on peut être certain d’une chose : le peuple québécois ne s’en relèverait pas. Un référendum kamikaze, pour l’honneur, serait en fait une catastrophe politique exceptionnelle semblable à une forme de suicide national.
PSPP a raison de dire que le renversement du régime libéral est une urgence nationale. Le gouvernement libéral travaille de plus en plus explicitement à l’effacement de la conscience nationale québécoise et à la dissolution de notre peuple dans l’ensemble canadien, auquel Philippe Couillard croit à la manière d’un trudeauiste pur et dur. Et PSPP a aussi raison de dire que les Québécois, en ce moment, ont une aversion à la simple idée d’aller en référendum. On peut s'en désoler mais c'est ainsi. On sous-estime, je crois, la confusion et même la déliquescence de la conscience nationale aujourd’hui. Les Québécois deviennent de plus en plus étrangers à eux-mêmes, ils se vident de leur culture, leurs ressorts civiques et identitaires semblent rompus et ce déclin semble s’accélérer. De là la nécessité de remettre un gouvernement nationaliste à Québec, et il semble bien que la condition de cette reconquête du pouvoir soit la promesse de ne pas tenir un référendum dans un premier mandat. De toute façon, il serait perdant.
Mais PSPP a tort lorsqu’il s’imagine avoir trouvé la solution magique en voulant que le parti souverainiste renonce à toute initiative politique pour l’indépendance. Le contexte peut changer, les circonstances peuvent évoluer, et on ne sait trop à quoi ressemblera le Québec en 2022. Si jamais, par un étrange retournement du destin, le désir d’indépendance renaissait dans le cœur des Québécois, ou si une crise constitutionnelle survenait, autour d’une question identitaire touchant les fondements mêmes de notre existence nationale, les souverainistes ne devraient pas renoncer à saisir la conjoncture. C’est une chose de renoncer à tenir un référendum à court terme, c’en est une autre de renoncer à en tenir un par soi-même un jour. Les partis politiques, en démocratie, ne doivent pas simplement se mettre à la remorque des désirs populaires, qui sont toujours plus confus qu’on ne le croit. Ils doivent façonner les préférences collectives. La position de PSPP pourrait méchamment être assimilée à de l'attentisme.
Ces deux positions sont évidemment contradictoires. Qui privilégie une stratégie congédie l’autre. C’est qu’elles reposent sur deux lectures contrastées, je l’ai dit, de l’état actuel du sentiment national au Québec. Elles représentent les deux pôles les plus contrastés qu’on puisse imaginer dans le mouvement souverainiste actuel. Politiquement, il faudra moins les concilier artificiellement que les transcender : comment conjuguer un nationalisme de gouvernement à court terme et un indépendantisme résolu à moyen et long terme? C’est moins une question théorique que pratique et il faudra un chef capable d'assumer cette tension pour assurer une renaissance du PQ. J’ajoute à tout cela que le débat s’est mené devant une salle de qualité, très jeune et très attentive. La souveraineté n’a beau plus être une passion nationale, il n’en demeure pas moins qu’on trouve encore chez certains jeunes des vocations à la servir, comme si le pays parlait encore aux cœurs nobles et aux esprits épris d’idéaux. Il y avait de quoi se réjouir à voir cela.
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