On s’en souvient de moins en moins, mais on s’en souvient encore quand même : alors que le Canada célébrait fièrement ses cent ans, en 1967, le général de Gaulle avait marqué l’événement en lançant, au terme de sa traversée du Chemin du Roy, son fameux Vive le Québec libre, qui a d’un coup internationalisé notre question nationale en apprenant au monde qu’un peuple issu de la vieille histoire de l’Amérique française était en quête d’indépendance. À l'époque, le Canada se savait fragilisé et l’idée de souveraineté progressait en grande vitesse. La confédération allait-elle éclater? Cette question occupait tous les esprits et on se demandait quelles concessions faire au Québec pour qu’il se sente chez lui dans un pays quand même fondé sur la conquête anglaise et la subordination de sa vieille nation française.
Alors que le Canada s’apprête à commémorer son 150ème anniversaire en 2017, il n’y a plus de semblable inquiétude dans l’air, d'autant que le mouvement souverainiste est plus faible que jamais. Le Canada n’a jamais été aussi assuré de son destin. Depuis 50 ans, il a accompli sa grande mutation identitaire. Pierre Elliott Trudeau est passé par là. Le pays qui se définissait encore, en 1967, par ses origines historiques française et anglaise, et qui cherchait à leur donner un nouveau cadre politique, s’est transformé en laboratoire du multiculturalisme mondialisé, où ses deux peuples fondateurs ne sont plus que des communautés parmi d’autres dans la diversité canadienne. Il ne reste de la dualité historique canadienne qu’un bilinguisme officiel résiduel, considérablement affaibli aujourd’hui et qui sert surtout à affaiblir notre législation linguistique, qui fait du français la seule langue officielle du Québec.
Le Canada, aujourd’hui, est sûr de lui et fier de lui. Sa réputation est brillante à travers la planète. Il se prend désormais pour un modèle valable pour l’humanité entière. Il ne célébrera pas son 150ème anniversaire dans le doute, mais avec la certitude d’être une expérience politique unique dans l’histoire de l’humanité, révélant toute la richesse de la diversité. Cette expérience devrait évidemment inspirer tous les autres pays. Le Canada aime se prendre pour le meilleur pays du monde, et il n’en a jamais été autant convaincu. Il fait la leçon au monde entier. Le Canada a besoin de surplomber l’ensemble de la communauté internationale pour exister, en faisant preuve ainsi d’un chauvinisme étonnant, que personne ne songe à lui reprocher, comme s’il allait de soi que ce pays représentait le rêve américain du XXIe siècle.
Mais la question qui se posera est la suivante : quelle vision le Québec proposera-t-il du 150ème anniversaire de la confédération canadienne? Le Québec, disait au début des années 1990 Marcel Masse, existait avant la création de la confédération canadienne, il a traversé son histoire, et il pourrait certainement lui survivre. En un mot, le peuple québécois existe en lui-même, son histoire a 400 ans, et s’il s’est associé au Canada, plus ou moins malgré lui, pour le dire d’un euphémisme, dans son histoire, il n’a jamais accepté de s’y dissoudre. Il n’a jamais voulu être considéré comme une partie du Canada comme les autres. Nous ne sommes pas qu’un morceau du Canada, nous sommes une nation. Comment le gouvernement du Québec participera-t-il alors à la fête? Rappellera-t-il la singularité du Québec, en disant que si notre histoire a croisé celle du Canada, elle ne s’y est jamais fusionnée? Que fera Philippe Couillard qui est un fier Canada et qui ne cache pas son hostilité pour le nationalisme québécois?
Allons plus loin. Que diront les partis politiques québécois à propos de cet événement? Se laisseront-ils emporter par le lyrisme de la propagande fédérale ou rappelleront-ils que la relation entre le Canada et le Québec demeure structurellement dysfonctionnelle? Que fera François Legault, qui a accepté notre appartenance au Canada, mais qui n’accepte pas le pays tel qu’il est et entend le réformer pour le Québec obtienne davantage de pouvoirs? Que dira le PQ de cet anniversaire, lui qui a tellement peur de pratiquer un nationalisme négatif? Que feront-ils les députés du Bloc à la Chambre des communes? Auront-ils le courage de gâcher la fête en rappelant aux partis fédéraux que le Canada de 1982 demeure un régime politique fondamentalement illégitime, qui a censuré l’existence du peuple québécois, et que cette censure abime de plus en plus notre identité collective?
Que diront les Québécois de cette fête qui ne sera pas leur fête?
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