Le 3 février dernier, un groupe d'universitaires lançait son Manifeste pour un Québec pluraliste qui est un appel à l'acceptation des signes religieux dans les institutions publiques et un rejet de l'idée d'une charte sur la laïcité. À leur avis, l'interdiction de signes et de vêtement religieux de la part des représentants de l'État «ne répond à aucune nécessité sociale» et serait «disproportionnée par rapport aux objectifs de neutralité des services publics». Ils affirment même que «le citoyen ne peut que constater ce signe religieux, de la même façon qu'il peut remarquer l'origine ethnique du fonctionnaire».
Le vêtement et le signe religieux seraient donc dénués de toute signification particulière; ce sont des choses qu'on constate comme on constate qu'il neige ou que le fonctionnaire a un bouton sur le nez. Ce seraient des objet insignifiants. Ces universitaires et les quelque 500 autres sociologues, théologiens, philosophes, anthropologues, juristes, criminologues, politologues qui, en date du 6 février, ont signé ce manifeste postmoderniste, sont-ils conscients de renier un fait sociologique fondamental? En tant que professeurs de sciences humaines, ils ont sûrement tous abordé un jour la question de la symbolique du vêtement.
Sinon, je leur suggère Histoire et sociologie du vêtement, de Roland Barthes, où on peut lire ceci: «Le signifié principal du vêtement [...], c'est essentiellement le degré d'intégration du porteur par rapport à la société dans laquelle il vit. [En tant que langage, le vêtement] est, au sens plein, un modèle social, une image plus ou moins standardisée de conduites collectives attendues, et c'est essentiellement à ce niveau qu'il est signifiant» (p. 440).
Au-delà de sa fonction de protection, le vêtement est donc un moyen de communication des valeurs, du statut social, du rôle et de l'identité du porteur; c'est ainsi qu'il devient un costume. Daniel Weinstock, l'un des principaux promoteurs du Manifeste, tenait d'ailleurs des propos en ce sens dans le denier numéro de la revue À bâbord en parlant des tenues punks. C'est parce que le vêtement est un signe qu'on impose un costume ou un code vestimentaire dans certaines professions (policiers, avocats, représentants religieux, etc.) ou à certaines occasions (soirées mondaines, graduations, cérémonies religieuses, etc.). Refuser ce code, c'est refuser l'intégration au groupe ou l'identification à la fonction qu'on est censé remplir, nous dirait Barthes.
C'est précisément l'image que renvoient ceux et celles qui réclament le port de leurs signes ou vêtements religieux dans des circonstances où leur fonction, en l'occurrence celle d'agent de l'État, leur commande un costume reflétant la neutralité religieuse et politique du service public.
Dans une telle circonstance, quel est le signifié du vêtement religieux? Le langage non verbal du vêtement religieux ou signe distinctif exprime le fait non seulement que la personne est croyante, mais aussi qu'elle professe telle ou telle religion, avec tout son système de valeurs et de croyances, et qu'elle en fait une interprétation fondamentaliste puisqu'elle place son appartenance religieuse au-dessus de sa fonction professionnelle. Le modèle social exprimé n'est pas celui qui est attendu.
Les usagers des services publics n'ont pas à être soumis à un tel discours religieux non verbal lorsqu'ils se prévalent de ces services. Si on permet l'expression des croyances religieuses de la part des agents de l'État, on devra permettre également l'affichage explicite des convictions athées. En retour, tout usager pourrait légitimement exprimer lui aussi ses propres convictions en réponse au discours non verbal et non sollicité qu'il reçoit de l'agent de l'État. Et si ces convictions peuvent être affichées, pourquoi pas les allégeances politiques et l'orientation sexuelle de l'agent?
Voilà, chers collègues universitaires, la nécessité sociale à laquelle répond l'interdiction des signes religieux dans la fonction publique: assurer la neutralité du service, la bienséance et l'ordre public. La contrainte qu'une telle exigence entraîne n'est ni plus grave ni moins acceptable que celle que tout enseignant des écoles s'impose en ce qui regarde sa liberté d'expression dans le cadre de ses activités pédagogiques.
Faire fi de la charge symbolique forte du vêtement religieux en pareille circonstance relève d'un aveuglement idéologique qui ne peut être cautionné par quelque approche scientifique que ce soit. Il est manifeste que nous faisons présentement face à une offensive de certains groupes religieux qui visent à faire prévaloir les croyances religieuses sur les lois civiles laïques. Le vêtement religieux dans les instances publiques est l'étendard de leur victoire planté au coeur de l'État, et c'est en soi un prosélytisme affirmé et actif. La naïveté apolitique de type «tout-le-monde-il-est-beau-tout-le-monde-il-est-gentil» n'est pas permise.
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Daniel Baril - Anthropologue, journaliste universitaire et militant laïque
Sociologie du vêtement 101
Laïcité — débat québécois
Daniel Baril46 articles
Anthropologue de formation, ex-rédacteur à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal, administrateur au Mouvement laïque québécois et à l’Association humaniste du Québec.
Auteur de Aux sources de l’anthropomorphisme et de l’idée de Dieu et codirect...
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Anthropologue de formation, ex-rédacteur à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal, administrateur au Mouvement laïque québécois et à l’Association humaniste du Québec.
Auteur de Aux sources de l’anthropomorphisme et de l’idée de Dieu et codirecteur des ouvrages collectifs Heureux sans Dieu et Pour une reconnaissance de la laïcité au Québec.
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