L’industrie de la construction est « minée par la gangrène » et la tenue d’une enquête publique n’est « pas l’unique solution qu’il faut privilégier pour guérir le malade », soutient le directeur général d’une association d’entrepreneurs spécialisés en entrevue à Rue Frontenac.
« Le malaise est beaucoup plus profond qu’on oserait l’imaginer », précise Denis Brisebois, à la tête de l’Association des entrepreneurs en maçonnerie du Québec (AEMQ).
Selon lui, le travail au noir est « généralisé » dans l’industrie de la construction, en dépit des messages rassurants envoyés par la Commission de la construction du Québec (CCQ).
« Nous estimons que 85 % des entrepreneurs qui évoluent dans le résidentiel cachent des revenus. Mais ceux qui travaillent au noir ne sont pas tous des bandits, loin de là.
« Très souvent, les petits entrepreneurs vont couper les coins ronds parce qu’ils sont soumis à une forte pression qui vient des entrepreneurs généraux, les grands responsables des problèmes que vit notre industrie », explique Denis Brisebois.
En décembre, cette association spécialisée a rédigé un mémoire où elle expose à grands traits les causes du mal qui gruge l’industrie et ses travailleurs.
« On peut bien déclencher une enquête publique, et on va sans doute trouver les coupables, mais si on n’intervient pas à la base, si on ne change pas les mécanismes, tous ces efforts pour assainir notre industrie s’avéreront inutiles», fait valoir le directeur général.
Une réforme complète
Concrètement, l’Association des entrepreneurs en maçonnerie préconise une « réforme complète des mécanismes d’attribution des contrats et de
l’industrie dans son ensemble ».
« Il faut tout revoir », insiste Denis Brisebois, qui dit avoir de nombreux appuis au sein de la quinzaine d’associations d’entrepreneurs spécialisés.
Ainsi, pour éviter que les entrepreneurs généraux raflent des contrats de façon malhonnête, il faudrait éliminer la règle du plus bas
soumissionnaire et opter pour la soumission qui se situe entre la plus basse et la plus haute.
« C’est là le problème. L’entrepreneur général soumissionne très bas, souvent à 35-40 % du coût de réalisation, et pour faire de l’argent, il demande aux sous-traitants, dans les métiers spécialisés, de travailler à rabais. Il en résulte que les petits entrepreneurs (maçons, peintres, poseurs de gypse, de coffrages, d’isolation) font travailler leurs hommes au noir pour être plus compétitifs», souligne le directeur général.
Denis Brisebois propose de limiter les pouvoirs des entrepreneurs généraux, « qui contrôlent les chantiers et qui exercent une forme de chantage sur les petits entrepreneurs, leurs sous-traitants ».
« Je n’affirme pas que tous les entrepreneurs généraux ont un comportement malsain, mais je souhaite qu’on confie la gérance des projets à de véritables gérants de projets, à des spécialistes de la planification », ajoute le directeur général.
Enveloppes brunes
Il s’en prend en outre à la Régie du bâtiment, « qui émet des licences à des entrepreneurs sans prendre le temps de vérifier leurs compétences ».
« Il y a beaucoup trop d’entrepreneurs qui ne sont pas qualifiés sur nos chantiers, mais il semble que la Régie ne s’en soucie guère. Notre industrie, ce n’est pas qu’une affaire d’enveloppes brunes et de traitements de faveur consentis à un nombre limité d’entrepreneurs véreux. Il y a énormément de jeux de pouvoir », ajoute le directeur général sans identifier les acteurs et les facilitateurs qui s’adonnent à des activités condamnables.
Pourrie, l’industrie de la construction ? « Je vous répondrais par l’affirmative, et j’ajouterais que de plus en plus d’entrepreneurs honnêtes en ont ras le bol de se faire traiter injustement de voleurs. Le climat est tendu et ça risque d’exploser à tout moment », martèle le directeur général de l’Association, créée il y a 22 ans et dont les 250 entrepreneurs membres génèrent 80 % de la masse salariale.
Il craint que 2010 soit une année de vives tensions.
« Si le gouvernement déclenche une enquête publique – ce que le premier ministre Jean Charest continue de balayer du revers de la main –, on risque d’apprendre des choses étonnantes à propos de hauts placés au sein de l’appareil gouvernemental qui jouent aux facilitateurs dans l’obtention de lucratifs contrats. Mais ça reste à voir », conclut Denis Brisebois.
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