Commission d'enquête

Des enquêtes ou des inquisitions?

Ceux qui insistent sur le fait que seule une commission d'enquête est acceptable confondent le but qu'ils recherchent avec un des moyens juridiques dont nous disposons pour atteindre ce but.

Enquête publique - un PM complice?



Roderick Macdonald - Tout le monde revendique une commission d'enquête sur l'industrie de la construction. Tout le monde est «convaincu» que la corruption est partout. Tout le monde «sait» que des pots-de-vin et des financements illégaux font partie du quotidien. Tout le monde est aujourd'hui «certain» que le crime organisé envahit le système par la violence et l'extorsion.
Il se peut que tout le monde ait raison, mais cette certitude ne provient pas de la preuve et des faits mis en lumière jusqu'ici. Ce que l'on peut dire avec certitude, c'est que la demande répétée de créer une commission d'enquête démontre qu'il existe une confusion quant à la nature et l'utilité des enquêtes publiques.
Comme citoyen, quels sont nos véritables besoins? Nous voulons connaître les faits. Nous voulons comprendre exactement ce qui se passe. Nous voulons savoir qui est impliqué. Nous cherchons à comprendre pourquoi et comment cette situation s'est produite. Nous voulons voir les crimes dévoilés au grand jour et les coupables punis. Finalement, nous voulons que nos politiciens adoptent des lois, des procédures et des institutions garantissant que la situation n'ait pas la chance de se reproduire.
Aucune de ces préoccupations ne nous dirige automatiquement et exclusivement vers une commission d'enquête publique comme le mécanisme pour les aborder. Ceux qui insistent sur le fait que seule une commission d'enquête est acceptable confondent le but qu'ils recherchent avec un des moyens juridiques dont nous disposons pour atteindre ce but.
Le passé ou l'avenir?
La crise de l'industrie de la construction devrait nous inciter à poursuivre deux objectifs. L'un vise le passé: il est important de découvrir ce qui s'est passé pour que nous puissions poursuivre en justice les malfaiteurs. L'autre vise le futur: nous voulons corriger les abus au sein de nos instances gouvernementales et politiques. Dans quelle mesure ces objectifs s'alignent-ils avec la demande grandissante pour une commission d'enquête?
Les commissions les plus réussies au Québec et au Canada ont été mandatées pour gérer l'avenir. Évidemment, ce type d'enquête doit s'appuyer sur des faits, mais ces faits appartiennent déjà au domaine public ou bien proviennent d'études demandées par les commissions. Des pratiques étrangères sont étudiées. Les changements recommandés par ces commissions ont, en général, d'ailleurs, déjà fait leurs preuves.
Les commissions qui visent le passé ont eu un certain succès lorsqu'il n'y avait pas lieu de poursuivre des criminels. Pensez par exemple aux commissions sur les accidents d'avion, les procès biaisés concernant les médicaments ou encore les ponts qui s'effondrent.
Les commissions publiques les plus désastreuses ont été celles qui examinaient le passé pour enquêter sur des crimes allégués. Une bonne enquête policière peut dévoiler des faits d'une manière bien plus efficace qu'une commission. En fait, les commissions publiques ont souvent l'effet de compromettre la preuve qui aurait été nécessaire pour assurer l'assise d'une accusation criminelle. Par ailleurs, une commission n'a pas le pouvoir de condamner un malfaiteur. Sans parler du cirque médiatique qui peut en découler. Nos commissions ressemblent davantage à des chasses aux sorcières qu'à des enquêtes ayant comme objectifs de renouveler nos politiques publiques: bon spectacle, mauvais résultat!
S'assurer que le dossier de l'industrie de la construction avance demande ainsi que nous soyons capables de faire la distinction entre ce regard vers le passé et celui vers le futur.
Règles du droit criminel
Nous devrions examiner le passé à l'aide d'un processus qui a fait ses preuves: le système de justice pénale. Bien sûr, la situation actuelle semble toucher un si grand nombre d'intervenants et être si importante que des mesures spéciales sont nécessaires. Mais celles-ci doivent découler des règles normales du droit criminel.
Le gouvernement devrait nommer immédiatement, parmi ses procureurs les plus expérimentés, un «procureur spécial» pouvant prendre en charge le dossier. Celui-ci devrait se voir allouer un budget à la hauteur lui permettant de faire toutes les démarches et actions nécessaires. Ce procureur spécial devrait pouvoir compter sur des ressources policières adéquates lui permettant de mener à bien ses dossiers. Il devrait avoir en outre l'autorisation d'engager assez de personnel pour s'assurer que les criminels soient le plus rapidement possible traduits en justice.
Comment, alors, porter son regard vers l'avenir? Nous pourrions considérer une enquête publique, mais déclencher ce type d'enquête ne devrait pas se faire à la va-vite. Il faut absolument définir de manière réfléchie le mandat approprié. Le gouvernement pourrait emprunter une idée utilisée par la Commission royale sur les peuples autochtones, c'est-à-dire nommer une personne maintenant, non pas en tant que commissaire, mais plutôt comme consultant indépendant, qui aurait comme mission de s'enquérir auprès des milieux touchés et de préparer le mandat de l'enquête.
Cette personne pourrait établir les questions et les résultats attendus, en plus de proposer un échéancier pour la production d'un rapport. Ce travail préliminaire pourrait être fait sur une période de 60 à 90 jours, et ainsi, l'enquête publique pourrait commencer le 1er janvier. Pendant ce temps, le procureur spécial aurait déjà commencé son travail d'éradication du crime.
Pour faire de bonnes politiques publiques, il faut s'interroger sur les objectifs et sur les moyens d'y parvenir de manière efficace. Il ne faut surtout pas se sentir lié par un outil juridique — ici, une commission d'enquête publique — sans avoir considéré si ce moyen est le meilleur pour atteindre le but recherché.
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Roderick Macdonald - Titulaire de la Chaire F. R. Scott en droit constitutionnel et en droit public de l'Université McGill

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Titulaire de la Chaire F. R. Scott en droit constitutionnel et en droit public de l'Université McGill





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