Scandales financiers - Sans foi ni loi

Géopolitique — États-Unis d'Amérique


Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mervyn King a formulé ces jours-ci un constat qui en dit long sur le délabrement moral qui plane au-dessus de la City de Londres et de Wall Street. À savoir que les gentlemen ont disparu. Au surlendemain de ce propos, la publication d’une étude vient confirmer que l’indifférence à l’endroit de l’éthique et du bien commun est en fait le saint Graal de la finance moderne.

Grâce à l’enquête évoquée plus haut et menée par un bureau d’avocats auprès de 500 hauts dirigeants d’établissements financiers ayant pignon sur rue à Londres et à New York, on comprend mieux pourquoi le scandale du Libor, le taux interbancaire, fait suite au scandale des risques pris par JP Morgan qui fait suite au scandale… On comprend mieux, car on apprend que la majorité des acteurs rivés sur des écrans où défilent des centaines de milliards libellés en diverses monnaies sont sans foi ni loi.

Pour s’en convaincre, il suffira de méditer le tableau des comportements qui suit : 55 % seulement des cadres interrogés rejettent catégoriquement l’idée de poser un acte criminel ; 34 % des Britanniques et 26 % des Américains « estiment que les autorités chargées de policer l’industrie parviennent à décourager les auteurs d’éventuels délits » ; un répondant sur six s’est dit enclin à commettre un délit d’initié si cela pouvait lui rapporter 10 millions sans se faire arrêter et, enfin, le tiers de ces responsables a confié que le mode de rémunération et son système de primes « les poussent à prendre des libertés avec les normes éthiques » ou « à violer la loi ». C’est dire.

Cette valse de l’amoralité s’est poursuivie et se poursuit parce qu’elle a été et demeure rythmée par la magnanimité affichée par les administrations soi-disant concernées par la protection du public. Le scandale du Libor est à cet égard très révélateur des dérives observées et couvertes en partie par des gouvernements. Après les témoignages de patrons de la Barclays, la collaboration de la Deutsche Bank et d’une grande banque canadienne non identifiée et qui, selon The Economist, a convaincu les limiers britanniques que les banques avaient agi sur le modèle du cartel, on sait qu’au moins 20 de ces banques ont fourni systématiquement de fausses données de 2005 à 2011, et non 2009 comme on l’avait cru jusqu’à présent. Autrement dit, elles ont raboté dans tous les sens le mécanisme afférent à la fixation du taux interbancaire.

On soupçonne également les gouvernements d’avoir couvert, dans la foulée de l’éclatement de la crise en 2008, certains agissements licencieux parce qu’ils étaient effrayés par l’éventualité que des amendes leur soient imposées. Et alors ? Ils craignaient que les amendes en question ébranlent sérieusement des établissements maintenus à flot avec l’argent du public. C’est l’une des raisons avancées par les membres de la Commission des finances du Congrès américain pour faire témoigner prochainement le secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, et le patron de la Fed, Ben Bernanke.

En attendant les réponses de ces derniers, force est de constater que cette magnanimité s’est également exercée sur le flanc juridique. Grosso modo, les financiers s’en tirent beaucoup, beaucoup mieux que les industriels. Prenons Goldman Sachs. On découvre qu’au plus fort de la crise de 2008, elle continuait à spéculer sur le front immobilier contrairement à l’intérêt de ses clients. Elle est donc accusée de fraude au civil. La suite ? Les responsables ne passent pas une journée en prison, la banque s’acquitte des poursuites en déboursant 550 milliards. Barclays traficote le Libor, soit un instrument d’une importance, d’une influence capitale, car il concerne sur une base quotidienne 350 000 milliards. On insiste, vos cartes de crédit, vos prêts hypothécaires, vos comptes d’épargne, prêts étudiants et autres sont concernés, et alors ? Barclays débourse 460 millions.

On se souviendra que pour des faits parfois moins répréhensibles parce que cantonnés à telle ou telle activité économique et non à toutes, comme c’est le cas avec le Libor, le p.-d. g. d’Enron a écopé de 24 ans de prison, celui de Tyco de 25 ans, celui de WorldCom de 25 ans. Même Martha Stewart pour un délit d’initié de 51 000 $ avait été condamnée à passer cinq mois derrière les barreaux.

Cela rappelé, cette culture de magnanimité mâtinée d’impunité est en bonne partie attribuable au phénomène des « portes tournantes ». Mais encore ? De ces allers et retours que font les initiés aux faits financiers entre le public et le privé. Et ce, sans qu’on leur impose un devoir de réserve. De voir que du jour au lendemain l’analyste chargé de la Grèce au sein de l’agence de notation Fitch rejoint avec armes et bagages de papiers les rangs de Goldman Sachs est proprement scandaleux. Que rien n’ait été fait pour y remédier l’est tout autant.


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