Depuis le début de la campagne électorale, et dans une moindre mesure depuis l’élection de Gabriel Nadeau-Dubois et de Manon Massé à sa tête, Québec Solidaire a basculé dans le camp des « populistes », choisissant désormais de parler au « monde ordinaire » au lieu de sa traditionnelle base bourgeoise concentrée autour de la ligne orange du métro montréalais. Alors que Françoise David et Amir Khadir, à leur époque, résonnaient surtout à Montréal et chez les élites, paradoxalement, les deux nouveaux co-porte-paroles de QS tentent tant bien que mal d’élargir leurs bases avec un discours parfois à la limite de la caricature. Venant d’un parti ayant souvent critiqué ces mêmes tendances chez ses adversaires politiques plus à droite, quelle ironie de voir QS se lancer à pieds joints dans cette façon de faire de la politique.
Populaire
Le choix même du slogan de QS, « Populaire », et de leur candidate au poste de premier ministre, Manon Massé, est le reflet direct de cette stratégie. Si le slogan parle pour lui même, faisant écho à l’idée d’un parti qui se dit « par le peuple et pour le peuple », la mise de l’avant de la travailleuse communautaire de Sainte-Marie-Saint-Jacques est encore plus évocatrice.
Paradoxalement, ce sont surtout des circonscriptions bourgeoises qui gobent le discours solidaire, dont l’électeur moyen ressemble davantage à leur candidat dans Rosemont, Vincent Marissal, qu’à Manon Massé…
Manon Massé, la femme issue d’un milieu ouvrier, pleine de bonnes intentions et qui n’a pas la langue dans sa poche, représente en quelque sorte la vision fantasmée que QS a de son électorat. La formation politique idéalise cette classe dite ouvrière, souhaite dur comme fer obtenir son appui et s’enorgueillit d’avoir en Mme Massé une candidate pour le poste le plus prestigieux en politique québécoise qui lui appartienne. Jouant cette carte à fond, parfois même jusqu’à la caricature, la porte-parole de QS n’hésite pas à parler « au nom du peuple », qu’elle présente comme une entité définie et uniforme qui voudrait ceci ou cela, la plupart du temps ses mesures de gauche.
Parfois, cela en devient presque caricatural, comme dans cette publication Facebook, où l’on voit Manon Massé le poing levé accompagnée de la description : « Parce que l’avenir n’appartient pas à l’argent; L’avenir n’appartient pas aux sondages; L’avenir n’appartient pas aux vieux partis politiques; L’avenir appartient au peuple. N’oubliez jamais ça. Quand le peuple se remet à marcher ensemble, tout devient possible. » Dur de faire plus populiste que cette déclaration. Paradoxalement, ce sont surtout des circonscriptions bourgeoises qui gobent le discours solidaire, dont l’électeur moyen ressemble davantage à leur candidat dans Rosemont, Vincent Marissal, qu’à Manon Massé…
Eux contre nous
Ne s’épargnant visiblement aucun cliché du populisme traditionnel, Québec Solidaire est également passé maître du discours du « eux contre nous », lequel prend plusieurs sauces selon l’humeur du moment. À l’arrivée en politique de Gabriel Nadeau-Dubois, c’était la classe politique des 30 dernières années qui avait « trahi le Québec ». Au débat des chefs, c’étaient « les vieux partis politiques » tous unis contre « le changement » que Québec Solidaire se targue d’incarner.
Se plaçant bien évidemment du côté du « peuple » et appelant à la chute des élites, Québec Solidaire laisse tomber les masques et révèle au grand jour son populisme désinhibé et simpliste quand il sort du placard sa rhétorique à cinq sous.
Gardons pour la fin le discours le plus classique de cette façon souvent décriée de faire de la politique, l’opposition presque rituelle dans les discours de deux groupes terriblement bien tranchés : « le peuple » et « les élites ». Se plaçant bien évidemment du côté du « peuple » et appelant à la chute des élites, Québec Solidaire laisse tomber les masques et révèle au grand jour son populisme désinhibé et simpliste quand il sort du placard sa rhétorique à cinq sous selon laquelle il est l’unique défenseur du pauvre monde face à « l’establishment ».
Les bonbons du « peuple »
Si son discours adressé au « vrai monde» atteint déjà des sommets, Québec Solidaire a innové lors de la campagne électorale de 2018 en y basculant plus loin que jamais pour accoucher de sa version la moins subtile: dire « au peuple » qu’on va lui redonner de l’argent s’il vote pour nous. Traditionnellement, QS s’en était assez bien abstenu en se tenant loin des baisses d’impôts simplistes, de mesures émanant d’une vision clientéliste et à court terme et en maintenant plutôt une vision à long terme.
[La calculatrice] consacre l’entrée de Québec Solidaire chez les partis populistes, ceux qui pensent gagner des votes en disant au « peuple » combien de bidous de plus il aura dans ses poches après un mandat.
Il semblerait que dans les officines solidaires, on se soit mis à la recherche d’une alternative aux grands projets de sociétés pour aller chercher « le monde ordinaire », nouvel électorat ciblé. C’est de là qu’émane une curieuse créature nommée « calculatrice solidaire », où il suffit d’entrer quelques informations sur son revenu et ses dépenses dans certains domaines pour savoir combien d’argent un gouvernement solidaire « remettrait dans nos poches » (formule par excellence du populisme économique empruntée à François Legault). Cette façon de faire, plutôt différente des habitudes de la formation politique, rappelle davantage la CAQ, dont les baisses d’impôts bonbon sont un pilier important. Comme de raison, les troupes de François Legault ont répliqué quelques jours plus tard avec une « calculatrice » de leur cru, ne souhaitant pas se priver de cette formidable technique d’achat d’électeurs. Mine de rien, cette anecdote consacre l’entrée de Québec Solidaire chez les partis populistes, ceux qui pensent gagner des votes en disant au « peuple » combien de bidous de plus il aura dans ses poches après un mandat.
Le populisme acceptable
Il n’y a pas à dire, Québec Solidaire est actuellement la formation politique la plus populiste au Québec. Même si, traditionnellement, les médias sont les premiers à dénoncer ce genre de rhétorique, que ce soit l’opposition caricaturale entre « peuple » et « élites » ou les opérations bonbon comme les calculatrices à baisses d’impôts, les troupes de Manon Massé bénéficient d’une absolution entière aux yeux des journalistes. Fréquemment décrit comme « la conscience morale de l’Assemblée nationale » dans les journaux et à la télévision, QS navigue sur la vague de la rectitude politique et s’évite ainsi une foule d’accusations pourtant adressées à d’autres partis misant beaucoup moins sur le discours un brin artificiel spécialement adressé « au vrai monde ». Comme quoi, le populisme le plus bête serait tout à fait acceptable à gauche, mais pas à droite…
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