Christine St-Pierre, Yolande James et Katherine Weil entouraient le premier ministre Jean Charest hier, lors de la présentation du projet de loi. Photo : Clément Allard - Le Devoir
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Robert Dutrisac - Québec — Déclarant que la laïcité ouverte est la voie choisie par le Québec, le premier ministre Jean Charest a dévoilé hier un projet de loi qui impose à toute personne qui reçoit des services de l'État de le faire à visage découvert. Il dicte aussi à tout employé de l'État de travailler à visage découvert.
Ainsi, le port des signes religieux comme le niqab et la burqa, qui couvrent le visage sauf les yeux, sera banni dans l'administration publique, les hôpitaux et les établissements d'enseignement, y compris les écoles privées confessionnelles qui sont soutenues par l'État, ainsi que les centres de la petite enfance et les garderies subventionnées. En revanche, le port des autres signes religieux ostentatoires, comme la croix, le hidjab, le kippa et le turban est permis, même pour les magistrats et les policiers.
«La solution, ce qu'on propose aujourd'hui [hier], c'est québécois. Québécois. C'est fondé sur notre histoire à nous, sur nos valeurs à nous, sur ce que nous avons vécu depuis 400 ans», a fait valoir Jean Charest au cours d'une conférence de presse à laquelle participaient la ministre de la Justice, Kathleen Weil, la ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles, Yolande James, et la ministre responsable de la Condition féminine, Christine St-Pierre.
«Cette loi aura une portée large. Son champ d'application embrasse l'ensemble des services publics. Cette loi aura préséance sur tout autre loi, règlement, directive ou convention, sauf évidemment la Charte des droits et libertés de la personne. Avec cette loi, nous traçons aussi la ligne en reconnaissant qu'un usager des services publics ou un employé de l'État peut porter des symboles religieux. Nous réaffirmons le choix historique du Québec de vivre une laïcité ouverte», a affirmé Jean Charest.
Le projet de loi 94 «établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'administration gouvernementale et dans certains établissements» ne comporte que dix articles. Il se veut la réponse du gouvernement Charest aux critiques qui lui étaient adressées relativement à l'absence de directives touchant les accommodements religieux. On y cherchera en vain toute mention de laïcité ouverte ou encore de signes religieux. Ce que le projet de loi ne dit pas semble être aussi important que ce qu'il dit.
À l'article 4, il est écrit que tout accommodement doit respecter la Charte des droits, «notamment le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes et le principe de la neutralité religieuse de l'État, selon lequel l'État ne favorise ni ne défavorise une religion ou une croyance particulière».
Vient ensuite un article qui répète l'état du droit en matière d'accommodement: il doit être raisonnable et ne pas imposer de «contrainte excessive» au ministère ou à l'établissement eu égard au coût ou nuire au bon fonctionnement des organisations.
Puis, le projet de loi stipule qu'il est d'application générale la pratique voulant que tout employé de l'État et toute personne à qui les services sont fournis «aient le visage découvert lors de la prestation de services». Qu'ils soient ou non en contact avec le public, tout employé devra se conformer à cette règle, a précisé M. Charest.
Le législateur ajoute: «Lorsqu'un accommodement implique un aménagement à cette pratique, il doit être refusé si des motifs liés à la sécurité, à la communication ou à l'identification le justifient.» On doit comprendre que l'État ne manquera pas d'invoquer l'un ou l'autre de ces trois motifs pour interdire le port du voile intégral. L'astuce est là: ce n'est pas de signes religieux — niqab ou burqa — dont il s'agit, mais d'une obligation d'avoir le visage découvert pour des raisons de sécurité, de communication ou d'identification. Sur la foi des avis légaux obtenus par le gouvernement, on pense ainsi éviter toute atteinte à la liberté de religion; le projet de loi ne parle pas de religion.
Une fois le projet de loi 94 adopté, la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) devra cesser de consentir un accommodement pourtant avalisé par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), a confirmé le premier ministre. Plus question pour la SAAQ de permettre d'emblée à un juif hassidique de refuser qu'une femme, employée de l'organisme, lui fasse passer son examen de conduite. Même chose pour les femmes musulmanes qui veulent éviter d'être servies par des hommes. Ils devront refaire la file ou revenir plus tard. C'est l'article 4 qui joue: l'accommodement de la SAAQ heurte le droit à l'égalité entre les sexes.
La présidente du Conseil du statut de la femme (CSF), Chritiane Pelchat, qui a d'ailleurs conseillé la ministre St-Pierre pour ce projet de loi, estime que l'article 4 est une grande avancée pour les femmes. Il a aussi le mérite d'affirmer clairement la neutralité religieuse de l'État. Mais le projet de loi 94 ne règle en rien la question de la laïcité de l'État, estime Mme Pelchat. Il ne règle pas non plus de façon définitive la question du port du hidjab par les employés de l'État, «un signe de soumission de la femme», selon le CSF.
Pour le Parti québécois, le projet de loi 94, c'est le «vide total». Aux côtés de la députée de Joliette et porte-parole en matière de justice, Véronique Hivon, la députée de Rosemont et critique en matière d'immigration, Louise Beaudoin, n'avait pas assez de mots pour décrire la vacuité du projet de loi «qui ne change rien à l'état actuel des choses, qui consacre le statu quo, qui ne clarifie rien».
«Ce n'est pas [...] une solution québécoise, mais bien une solution canadienne et qui est celle, donc, du multiculturalisme», estime Mme Beaudoin. Le PQ est «pour la laïcité tout court», a-t-elle rappelé, ce que consacrerait l'adoption du projet de loi 391, déposé par le parti l'automne dernier, qui, par une clause interprétative introduite dans la Charte québécoise des droits, renforce l'égalité entre les hommes et les femmes, la primauté du français et la séparation entre l'État et la religion.
Pour le député de Mercier, Amir Kadir, de Québec solidaire, le projet de loi 94 ne va pas assez loin pour affirmer la laïcité de l'État. Le gouvernement doit notamment cesser de subventionner les écoles privées religieuses, a-t-il plaidé.
Québec choisit la laïcité ouverte
Il faudra avoir le visage découvert pour avoir droit à des services publics
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