Michael Ignatieff ne fait que visiter le Canada, disent les conservateurs, et pourtant, ils lui attribuent plus d'influence sur la scène internationale que tout le gouvernement Harper réuni. C'est du moins ce qu'il faut déduire des explications offertes hier par le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, à la suite de l'humiliante défaite du Canada dans la course pour un siège au Conseil de sécurité des Nations unies.
Pour la première fois de son histoire, le Canada n'a pas obtenu le poste qu'il convoitait. Selon le ministre Cannon, la rebuffade ne serait pas une répudiation de la politique étrangère canadienne. Non, non, non! Il existe peut-être plusieurs facteurs qui expliquent ce revers, mais lui ne peut en citer qu'un seul: la dissension au Canada au sujet de cette candidature, dont la faute reviendrait totalement au chef libéral Michael Ignatieff.
C'est une déclaration faite il y a environ un mois qui vaut ce blâme à M. Ignatieff. Voici ce qu'il a dit de si terrible: «Il s'agit d'un gouvernement qui, pendant quatre ans, a tout simplement ignoré les Nations unies et qui maintenant surgit en disant: "Élisez-nous au conseil." Ne vous méprenez pas. Je sais combien il est important pour le Canada d'obtenir un siège au Conseil de sécurité, mais les Canadiens doivent se poser cette difficile question: "Ce gouvernement a-t-il mérité ce poste?" Nous n'en sommes pas convaincus.»
Si M. Cannon avait raison, il faudrait croire qu'entre cette déclaration et l'ensemble de l'oeuvre des conservateurs sur la scène internationale, la première aurait plus de poids que la seconde. Ça nous étonnerait que le ministre tienne sa propre politique en si piètre estime. Ce qui ne nous surprend pas, par contre, c'est son incapacité à digérer la vérité, à savoir que le gouvernement a récolté ce qu'il a semé et que la défaite d'hier est bel et bien un jugement sur sa politique étrangère.
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Pour viser un siège au cénacle des Nations unies, il faut commencer par montrer un certain intérêt pour l'institution elle-même. Ce gouvernement, Stephen Harper en tête, n'en a presque jamais manifesté. Le symbole de cette indifférence, celui qu'aucun diplomate onusien n'a oublié, est la décision prise pas plus tard que l'an dernier par le premier ministre de bouder l'assemblée générale au profit d'une visite dans un Tim Hortons ontarien.
Ce n'était pas beaucoup mieux l'année précédente. En 2008, au moment de se lancer dans la course pour ce siège au Conseil de sécurité, le gouvernement a choisi de déléguer un fonctionnaire pour représenter le Canada à l'assemblée générale, aucun ministre ne jugeant bon de s'y montrer le nez.
Cette année, M. Harper n'a rien manqué, mais on soupçonne que, s'il voulait tant ce siège, ce n'était pas tant par passion pour les Nations unies que par calculs électoraux. L'obtention de ce siège lui aurait servi de caution auprès des Canadiens et cloué le bec des critiques de sa politique étrangère.
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Car des critiques, il y en a et depuis un bon moment. Cette élection au Conseil a seulement permis de rafraîchir les mémoires. Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement Harper s'est rangé sans nuances derrière Israël, ce qui a déplu aux pays arabes et musulmans. En matière de changements climatiques, il a sans cesse mis les freins, au grand dam des petits pays insulaires et des Européens.
Il a maintenu l'aide à l'Afrique, mais a rayé huit pays africains de la liste des pays prioritaires pour recevoir l'aide bilatérale directe pour ensuite privilégier des pays latino-américains plus riches. Il a respecté les engagements pris en 2002 de doubler le budget d'aide publique au développement (APD), mais a annoncé dans le dernier budget que l'APD serait gelée au niveau de 2010 dès l'an prochain. La faible participation du Canada aux différentes missions de paix des Nations unies ne passe pas non plus inaperçue.
Ces constats ne sont pas nouveaux. En décembre 2008, Lawrence Cannon profitait de la tenue d'un forum diplomatique à Québec pour courtiser ouvertement les ambassadeurs et leur vendre la candidature canadienne. Dans l'auditoire, plusieurs diplomates avouaient ne pas y être aussi chauds que par le passé. Ils mentionnaient déjà les changements climatiques, l'Afrique, le Moyen-Orient, le sort des institutions multilatérales, les missions de paix.
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Si tant de gens ont malgré tout cru pendant un moment qu'une victoire était possible, c'est parce qu'ils misaient sur la réputation historique du Canada et sur l'hésitation de bien des pays à confier trop de sièges du Conseil aux Européens. Ces arguments n'ont pas fait le poids cette fois, la réalité reprenant tous ses droits, une réalité qu'on peut résumer en disant que le Canada n'est plus ce qu'il était aux yeux du monde.
Comme le confiait récemment au Devoir l'ancien ambassadeur du Canada à l'ONU Paul Heinbecker, une victoire aurait été celle du Canada, pas celle de ce gouvernement. Au bout du compte, ça revient à la même chose, disait-il hier, et le message est que ce que le Canada a maintenant à offrir ne trouve plus preneur comme avant.
Les conservateurs aiment se présenter comme les champions de la responsabilité. Mais être responsable veut normalement dire assumer la défaite et en accepter les véritables causes, pas chercher des boucs émissaires.
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