J'aime imaginer que Stephen Harper est allé manger cette semaine chez Tim Hortons: un «wrap» débordant de calories avec bacon et fromage industriels, arrosé d'un café frais mais insipide. Car c'est chez Tim Hortons que le Canada a été renvoyé cette semaine par l'Assemblée générale des Nations unies. Certains pays n'avaient sûrement pas oublié que notre premier ministre avait préféré le fabricant de beignes à l'Assemblée générale en septembre 2009, tout comme d'autres se sont souvenus que le premier ministre avait déjà en privé sévèrement mis en doute l'utilité même de l'ONU.
Les conservateurs ont accusé Ignatieff d'être responsable de cette défaite humiliante. Les commentateurs ont invoqué une campagne électorale tardive et mal menée. La vérité est plus simple: d'acteur constructif et impliqué qu'il fut traditionnellement dans la communauté internationale, le Canada de Harper est devenu un mauvais joueur et même souvent un obstacle aux consensus que recherche la communauté internationale sur des enjeux fondamentaux comme le développement international, les changements climatiques et la paix au Proche-Orient.
Le Canada a perdu plusieurs fois son siège au Conseil de sécurité de l'ONU depuis que ce gouvernement minoritaire solde au rabais le prestige ancien du Canada dans le monde. Pour le moment précis, on a l'embarras du choix. Il a perdu une cinquantaine de voix en 2006 quand Israël a détruit une bonne partie du Liban du Sud, faisant 1191 morts chez les civils libanais. Comment penser que les pays arabes ou musulmans veulent envoyer au Conseil de sécurité un pays qui déclarait qu'«une attaque contre Israël était une attaque contre le Canada»? À cette époque, même Washington avait fait preuve de plus de réserve et de modération dans son appui à Tel-Aviv.
Pour faire bonne mesure et indiquer que cet appui inconditionnel et aveugle n'était pas une erreur de parcours, le Canada en a remis en 2008 quand Israël envahit la bande de Gaza. Ottawa juge tout à fait raisonnable la réponse israélienne aux tirs de roquette du Hamas, et ce ne sont pas les 1330 morts civils qui vont émouvoir les conservateurs. Pas plus que les appels désespérés de l'Union européenne, qui voit le processus de paix se briser en miettes. Et ce n'est pas la dénonciation de Louise Arbour, haute-commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, qui infléchira le jugement du Canada, pour qui seuls les Palestiniens sont coupables. Combien de votes perdus à ce moment? Quelques dizaines sûrement et de tous horizons, dont quelques voix européennes.
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Le Canada avait toujours pu compter sur une large sympathie de la part des pays de l'Afrique subsaharienne. Parce que nous y étions très actifs, ouverts, neutres, le Canada faisait l'unanimité dans cette région. Cette belle image fut ternie en premier lieu en 2007 quand le Canada annonça que les pays prioritaires pour les programmes d'aide seraient désignés en fonction d'impératifs commerciaux et sécuritaires; la mondialisation et la lutte contre le terrorisme deviennent des critères à l'aune desquels on mesurera dorénavant la misère des peuples. En 2009, le gouvernement Harper ne conserve que sept pays africains dans sa liste de pays prioritaires. Il abandonne, entre autres, trois des pays les plus pauvres de la planète: le Burkina Faso, le Niger et le Bénin. Pour faire bonne mesure, pour s'assurer qu'aucun pays africain ne votera pour le Canada, lors du G20, Harper conditionne l'aide canadienne aux femmes africaines à l'interdiction de l'avortement comme moyen de contraception.
Dans tous les domaines qui préoccupent la communauté internationale, et l'ONU en particulier, le Canada avance à reculons et nage à contre-courant. Et cela a été particulièrement évident lors du sommet de Copenhague sur l'environnement. Lors de cette rencontre, nous avons non seulement défendu des positions plus conservatrices et rétrogrades que les Américains, mais nous avons tout mis en oeuvre pour qu'aucun accord contraignant ne soit adopté. C'est le même combat solitaire et obstiné que le Canada mène au G8 et au FMI quand il s'agit de réguler les marchés financiers et les fonds spéculatifs ou de discuter de taxer les opérations bancaires au prétexte que «notre» système bancaire est le meilleur. Comme si la crise financière mondiale n'avait pas coûté des dizaines de milliards de dollars au gouvernement et aux citoyens canadiens. En fait, ce que le Canada de Harper dit régulièrement c'est: «Ce n'est pas notre monde. Vos problèmes ne sont pas les nôtres. Laissez-nous tranquilles sur notre planète isolée.»
Au fil des ans depuis la fin des années 1950, notre pays avait su se forger une image plus grande et appréciée que celle que lui conférait sa seule puissance économique ou son influence historique. Nous pratiquions internationalement les vertus de base de la société canadienne: une sorte de pragmatisme généreux, mélange bien dosé de compassion et de modération. C'est toute cette crédibilité, ce respect que le gouvernement Harper a réussi à détruire en quelques années, et le vote de l'Assemblée constitue un réel désaveu international. Pour revenir au préambule de cette chronique, je dirais que Stephen Harper a transformé en Tim Horton ce qui était autrefois un restaurant familial chaleureux qui servait une cuisine modeste, mais généreuse.
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