Lors de leur caucus qui devait prendre la mesure de la crise que vit actuellement le Parti québécois, l'ensemble des députés semblent s'être entendus pour s'enfermer dans un déni dangereux. À écouter les commentaires des fidèles, ce n'est là qu'un de ces passages difficiles dont le parti a l'habitude et dont il s'est toujours sorti au fil des années. À cet égard, les propos du doyen du parti, François Gendron, étaient assez éloquents. Il n'y voyait qu'un «petit mal de ventre» ou, encore mieux, «un petit guidi qui fatigue». Somme toute, une crise d'eczéma de quelques ados boutonneux. Pauline Marois, plus sobre que son coloré collègue abitibien, a résumé la situation en concluant que tout rentrait dans l'ordre et qu'il fallait dorénavant «tourner la page». Voilà un commentaire peu perspicace qui évacue la réalité. Car plus qu'une page qu'il faut tourner ou un chapitre qu'il faut clore, c'est peut-être un tout nouveau livre qu'il faut écrire.
On a beaucoup dit que ces crises épisodiques étaient normales pour un parti qui constitue une large coalition. Cela était vrai il y a longtemps. Aujourd'hui, c'est certes une coalition entre indépendantistes pressés et indépendantistes stratégiques, mais pour le reste, le PQ depuis Lucien Bouchard a cessé d'être une coalition animée par le changement et le progrès pour se transformer en bloc politique d'alternance. Ce parti a perdu son âme, sa capacité d'indignation profonde, ses liens étroits qu'il entretenait avec les grands groupes syndicaux et collectifs. Ce n'est pas sans raison que Pierre Curzi a autant insisté lors de son assemblée de mardi sur la nécessité de faire la politique autrement. Il sait fort bien que ce n'est pas cette supposée relève du PQ qui le fera. Pour cette vingtaine de clones pragmatiques et technocrates, faire de la politique autrement signifie faire alliance un jour avec Régis Labeaume et un autre avec Karl Marx, si cela peut faire avancer la cause.
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Le PQ a historiquement la capacité remarquable de préférer tuer son chef plutôt que de se remettre lui-même en question. Encore une fois, pour expliquer la crise, on invoque l'incapacité de Pauline Marois à mener le parti vers la victoire. Personne ne se demande si ce n'est pas le parti lui-même qui n'arrive pas à réunir les conditions gagnantes. Dès que la tourmente se lève, on cherche le capitaine charismatique qui évitera au navire de se fracasser sur les rochers. Or le Québec a changé. Faut-il rappeler le sort qu'ont réservé les électeurs à Gilles Duceppe, le politicien le plus aimé et le plus populaire du Québec? Et faut-il rappeler qu'il n'y a pas moins charismatique et emballant comme homme politique que François Legault?
Il n'existe pas de meilleur exemple du changement profond qui s'est produit dans les dernières années que le résultat renversant des dernières élections fédérales. Le premier sentiment des électeurs est une envie fondamentale de changement qui exprime le besoin d'un nouveau rapport avec la politique et un bouleversement des priorités qui justifient l'adhésion à un parti politique. Les Québécois n'ont pas cessé d'être nationalistes magiquement; ils ont dit: les temps changent et notre sentiment de fierté peut s'exprimer sans que la recherche de l'indépendance soit l'unique mesure de tous nos choix. Il n'y a pas qu'une seule formule pour progresser, construire et développer un monde meilleur. «Nous voulons garder toutes les portes ouvertes», pourrait-on résumer.
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Ce sont les mêmes sentiments et la même démarche qui poussent maintenant 40 % des Québécois à déclarer qu'ils appuient la Coalition de François Legault alors que seulement 17 % appuieraient le PQ si des élections avaient été déclenchées la semaine dernière. Cette popularité qui s'affirme maintenant de manière constante ne tient certainement pas à la personnalité plutôt réservée de l'ancien ministre péquiste, ni à de grandes réalisations passées que de larges tranches de la population auraient encore en mémoire comme une sorte de «bon vieux temps». De toute évidence, ce ne sont pas non plus ses propositions plutôt modestes et peu connues sur l'économie, la santé et l'éducation qui en font un futur premier ministre. Le déplacement des voix dans les derniers mois du PQ vers la Coalition toujours en gestation de Legault se lit comme une évidence. C'est du Parti québécois que viennent la majorité de ses appuis, donc d'une tranche de la population qui se considérait comme assez nationaliste pour appuyer Pauline Marois il n'y a que quelques mois. Difficile de ne pas faire le rapprochement avec la débandade du Bloc québécois le 2 mai. Cette remise en question de l'urgence nationale, de la priorité nationale, s'exprime comme un phénomène profond et constant. Rien d'autre que cette mise en cause des paramètres de la question nationale n'explique la popularité de Legault et la déconfiture annoncée du PQ.
Ce n'est ni le chef, ni ses méthodes qui expliquent cette déroute et ce désarroi, c'est une nouvelle société québécoise qui émerge et qui ressent un besoin avide de sortir des anciens cadres fermés et absolus, des anciennes formules dogmatiques, une société encore prête à se mobiliser pour des rêves, mais pour des rêves plus immédiats. Appelons cela la fatigue du rêve. Dans les années 1970, c'est la même désillusion qui transforma le Parti communiste français de premier parti du pays en groupuscule impuissant.
La fatigue du rêve
Lors de leur caucus qui devait prendre la mesure de la crise que vit actuellement le Parti québécois, l'ensemble des députés semblent s'être entendus pour s'enfermer dans un déni dangereux.
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