Dans le contexte du Projet de loi 60, dès qu’une personne se prononce contre le port du voile islamique en tant que symbole de l’inégalité entre les hommes et les femmes, on lui répond souvent de cette façon :
Exemple tiré des auditions de la Commission parlementaire (1)
Kathleen Weil (députée libérale) à Carole Dionne (enseignante à la retraite) : « Comment est-ce que d’interdire, de neuf heures à cinq heures, le port de ce signe règle les problèmes qui vous préoccupent ? Quelles sont les actions concrètes que le projet de loi n° 60 propose pour contrer exactement tout ce que vous dites, donc : la charia, les mariages arrangés, la polygamie, la répudiation, etc. ? Donnez-moi un exemple dans le projet de loi n° 60, à part l’interdiction, de neuf heures à cinq heures, en quoi ça règle les problèmes qui vous préoccupent ? » (2)
La réponse qu’on peut donner à ce type de question comporte plusieurs aspects.
L’insertion de ces femmes musulmanes non voilées dans un espace de travail laïc leur permet tout d’abord de vivre une pleine expérience de mixité sociale. Pendant cette période, elles échappent à la différenciation sexuelle inscrite sur elles par le symbole islamiste ; car le signe, à n’en pas douter, s’adresse d’abord à elles, et par ricochet à leur communauté et enfin à la société.
Cette période de temps, au bout du compte, se révèle significative et porteuse de changement puisqu’elle permet l’émancipation graduelle du marquage islamiste des femmes. Au cours des mois et des années, comme le processus de différenciation sexuelle est désamorcé au travail, elles construisent des solidarités d’émancipation et d’affirmation avec d’autres. Elles constatent que les hommes ne sont pas en soi des prédateurs sexuels ni les femmes des prostituées parce qu’elles ne se conforment pas à des prescriptions religieuses de comportements sexués.
Cette émancipation et les liens tissés avec d’autres femmes libres, affirmées et respectées génèrent plus de pouvoir personnel (notion d’empowerment ou d’autonomisation). Elles sont peu à peu renforcées dans une démarche de remise en question de la place et du rôle de soumission que leur attribuent les hommes de leurs communautés. Lorsque l’isolement s’estompe, que des relations plus étroites se nouent avec les femmes et les familles de la société d’accueil, elles peuvent se rassembler et contester le système qui les infériorise. Elles pourront avec plus de force, comme le font déjà les musulmanes non voilées qui prennent la parole publiquement, revendiquer avec les féministes pour que cesse la ségrégation, les mariages arrangés, la polygamie, la répudiation.
Le scénario dont je viens de faire état s’inspire des mouvements d’émancipation des femmes qui ont eu cours dans les pays où les femmes se sont « libérées ». Ce scénario varie mais son ancrage historique dans ce qu’il est convenu d’appeler le mouvement des femmes ne fait aucun doute. Quant à la notion d’empowerment (autonomisation) et à son utilisation auprès des femmes, elle a notamment été élaborée au Québec à partir des travaux de recherche de Francine Ouellet. (3)
Le Projet de loi no 60 trouve donc sa pertinence dans le fait d’ouvrir une brèche dans le système de ségrégation sexuelle. Il crée une avenue pour l’émancipation de femmes qui n’ont présentement pas voix au chapitre. Il permet aussi à la société québécoise de consolider ses acquis sur la question de l’égalité entre les hommes et les femmes et d’ajouter de nouvelles forces pour la développer davantage.
- Lire le mémoire de l’auteure sur le projet de loi 60 « Pour préserver l’éducation à l’égalité ».
Notes
1. Projet de loi 60 - « Neutralité des institutions et des personnes partout, et la charte n’est qu’un début », 22-01-2014. Extraits sur Sisyphe. Journal des débats de l’Assemblée nationale du Québec, 22 janvier 2014
2. Ce type d’argument n’est pas propre à madame Weil ; il est fréquemment invoqué.
3. Ouellet, Francine et al. « L’empowerment » dans Naître égaux – Grandir en santé, Montréal : Régie régionale de la Santé et des services sociaux de Montréal-centre, Direction de la santé publique, 2000, 40 p.
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